
Que certains la critiquent, que les anglicismophobes évitent le terme et la proposent en VF - "clique et collecte" - une chose est sûre : la pratique du click and collect, apparue en avril 2020, se généralise : elle est aujourd'hui proposée par plus de 1400 librairies en France.
Les restrictions imposées par les confinements printemps/automne 2020 donnent naissance à des nouvelles habitudes, et pour les habiller, à des nouvelles formules. L’expression c_lick and collect,_ par exemple, est très tendance en ce moment.
La formule est née en avril 2020, quand de petits magasins non alimentaires se sont organisés pour reprendre leurs activités malgré le confinement imposé - c’était le cas notamment des librairies de quartier. En ce qui concerne les livres, le mode click and collect consiste à les commander sur Internet et aller les retirer sur rendez-vous dans une librairie de son choix (y compris si celle-ci est située plus loin que le kilomètre autorisé, dérogation à la dérogation au nom de l’exception culturelle française).
Le magazine des professionnels de l’édition, Livres Hebdo, qui avait établi en avril 2020 la liste des libraires qui proposaient du click and collect, vient de relancer sa carte participative en l’actualisant au jour le jour.
Aujourd’hui, 1 400 librairies pratiquent quotidiennement le click and collect grâce à leur site de ventes en ligne_._ Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF), dans une interview au journal Le Monde
Cette pratique se généralise notamment parce que, contrairement au printemps, les éditeurs ont décidé de maintenir leurs calendriers de sorties de livres. Du moins, pour le mois de novembre. Conséquence heureuse, si la quasi-totalité des salariés des libraires étaient en chômage technique lors du premier confinement, ce n’est plus le cas aujourd’hui où une partie d’entre eux continuent de travailler pour assurer les précommandes et les retraits. "Cependant, le chiffre d’affaires ne devrait guère dépasser 20 % de l’activité habituelle" nuance Guillaume Husson qui négocie des aides spécifiques avec le gouvernement.
Quand Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, et Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Culture, ont annoncé aux libraires et à toute la filière du livre la re-fermeture des librairies pour la saison 2 du confinement, ils se sont empressés de préciser dans un communiqué que "c_oncernant les librairies, le système de click-and-collect est possible et sera encouragé par des aides spécifiques"_.
L’expression click and collect figure désormais dans les document officiels. Les professionnels du livre et de la distribution, la presse, les médias ont intégré cette formule. Si le confinement perdurait, l’expression pourrait-elle devenir populaire ? Va-t-on employer à notre tour, dans nos nouvelles conversations, à distance, cette expression ? Pourrait-on dire, le plus normalement du monde "J’ai clic-and-collecté le dernier Le Tellier avant avant qu’il ne soit primé" ? Bien entendu, quelques irréductibles anglicismophobes tentent ici et là de corriger le déjà installé _click-and-collect _en un improbable clique et collecte. Good luck friends !
Politiquement incorrect, le "click and collect" ?
Si les médias sont friands des nouvelles expressions, d’autres sont plus prudents. La Maire de Paris, Anne Hidalgo préfère dire : "N’achetez pas sur Amazon, c'est la mort de notre vie de quartier. Achetez chez votre libraire, vous pouvez commander et venir récupérer votre livre".
En femme politique avisée, Anne Hidalgo n’a pas oublié que le premier confinement avait révélé une France confrontée à la fracture numérique. Faire le choix de ne pas employer l’expression click and collect prend ici tout son sens : ne pas exclure les personnes qui n’ont pas encore assimilé toutes les pratiques numériques. C’est d’autant plus juste qu’on peut tout aussi bien téléphoner à son libraire pour passer commande - sans cliquer sur qui ou quoi que ce soit, et sans utiliser la langue de Jeff Bezos !
Vendre des livres comme des petits plats
Dans le quartier du Haut de Belleville, à Paris, une librairie a trouvé une idée astucieuse pour faire revenir avec le sourire ses clients, tout en respectant les mesures imposées. A la manière des restaurants du quartier, la librairie L’Atelier propose en vitrine des livres à emporter comme si c’était des plats. Voilà donc les livres proposés en plusieurs catégories : plat de résistance, plat, entrée, dessert.

Outre qu’un peu d’humour est toujours bienvenu en ces temps angoissants, cette idée originale s’avère judicieuse. Ainsi, au lieu des habituelles prescriptions, parfois sentencieuses, écrites par les libraires, cette classification permet de nous suggérer les goûts et les avis éclairés du maître des lieux sans nous forcer la main.
Voyons voir ce que nous propose le chef de la librairie l’Atelier le jeudi 5 novembre 2020. Pour le plat du jour, ne pas passer à côté du Mathias Enard de saison Le Banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs (Actes Sud). Les entrées sont tout aussi alléchantes, comme cette Histoire du fils de Marie-Hélène Lafon (Buchet-Chastel ). Et pourquoi ne pas s’offrir un dessert aux gardons avec La Mémoire du lac de Gérard Pussey (Le Castor Astral) ? Si on prend les trois, ça nous fait le menu terroir, car, oui, L’Atelier propose également des menus spécifiques. Des menus pour les enfants, bien sûr, classique, mais pas que. Il y a un consistant menu burger avec quelques bons essais pour comprendre l’actualité américaine, on trouve aussi dans le menu maniaque quelques nouveaux ouvrages stupéfiants sans prescription obligatoire de son psy, et depuis dimanche a été introduit le menu bouillabaisse qui nous fait de l’œil. Il faut reconnaître que ce menu avec son entrée polar historico-politique, Marseille 73 de Dominique Manotti (Les Arènes), son plat principal - et très salé - Vanda de Marion Brunet (Albin Michel), et son dessert - succulent - Il est des hommes qui se perdront toujours de Rebecca Lighieri (POL) est au moins aussi tentant que le menu ramen, également proposé.
Ni click, ni collect, la librairie L’Atelier fait comme ses voisins, à la manière du petit restaurant indien d’en face ou de la brasserie kabyle d’à côté, elle propose des livres à emporter et soigne sa vitrine. En plus des commandes par téléphone et par Internet, bien entendu. Faire du lèche-vitrine de librairies ne peut pas nuire à la santé mentale des citoyens masqués de l’an 2020.
