Archive | Pionnière de la cause animale, Colette a envisagé le monde et le désir avec les yeux des bêtes. En 1948 et en 1950, la femme de lettres revient aux sources de son obsessionnel bestiaire : son enfance bourguignonne.
“Sans bêtes, je m’appauvris”, affirmait Colette. Du crapaud de son enfance à ses chattes adorées, Colette n’a oublié aucun des animaux qui ont enchanté sa vie. Dans ses textes, mais aussi à la radio, elle a régulièrement évoqué son amour pour les animaux. Ecoutez la femme de lettres, pionnière de la cause animale, raconter les bêtes comme personne.
Une enfance bourguignonne
Colette, RTF, 1950 : "C’est une sorte de sauvagerie dirais-je dynastique. Nous aimions tous, mes frères et moi et ma mère aussi, nous étions des fervents de la campagne pure, des animaux sauvages qu’on y trouve, des plantes, et de tout ce qui est encore pour moi tellement séduisant, tellement attachant mais qui s’éloigne de moi, à mesure que je vieillis.
- Vous nous parlez, par exemple, d’un crapaud qui chante le soir ?”
- Oui gros crapaud. Mais il était là tout le temps. Je ne l’ai pas vu chanter et je ne sais pas si c’était lui qui chantait. Mais c’était un fort, beau, confortable, énorme crapaud. Je lui grattais la tête. Les crapauds aiment qu’on leur gratte la tête. C’est un détail qui a son importance, mais que l’être humain ignore vraiment trop souvent. Le hérisson que j’ai pu garder, il a eu une fin heureuse. Il est mort d’indigestion. Il avait mangé trop de gigot froid. Les écureuils étaient nombreux. Ils venaient nous regarder manger et ils réclamaient leur part, comme tous les écureuils du monde. Comme ceux qui sont en Amérique et qui sont si familiers.”

La bouledogue Souci
Sensuelle et instinctive, Colette cherche dans ses textes à adopter le point de vue animal. Première "star" à se présenter publiquement avec un bouledogue, elle lance une mode qui ne s'est toujours pas éteinte. En 1948, elle revenait sur la joie partagée avec son bouledogue Souci.
Colette, 1948 : "Ma bouledogue Souci savait un nombre extravagant de mots. Elle les apprenait si rapidement que je m’offrais l’amusement de lui donner des défauts de prononciation. Elle aimait les fruits avec une préférence marquée pour la framboise et le raisin bien mûr, que je désignais pour elle seule, bien entendu, quand nous étions seules, sous les noms de 'frambouaise' et de 'rresin' avec l’h fortement aspiré, je vous en prie. Quelquefois j’oubliais les rites, et je lui demandais : 'Vous voulez une framboise ?' 'Vous voulez un raisin ?' Elle me regardait d’un air buté et ne me répondait rien. Alors je rectifiais, naturellement : 'Vous voulez une petite frambouaise, ou bien un petit rresin ?'
Sur quoi, Souci s’élançait, soulagée, avec des marques de joie et d’acquiescement. Jusqu’au jour où, ayant découvert que non seulement la vigne, mais la framboiseraie, fructifiaient à hauteur de bouledogue, elle se passa de mon aide, et des vocables corrompus, pour prendre vers 7h du matin son petit-déjeuner de “frambouaises et de rresins.”
Je l’avais acheté à l’exposition canine des Tuileries. Premier prix qu’elle était, des bouledogues français, catégorie des moins de 7 kg. Je l’avais payée 9 000 francs."

La chatte Dernière
Dès la publication de ses “Claudines” en 1900, Colette célèbre les chats de la maison. Bien plus tard, ses chattes sont devenues ses seules vraies compagnes de vie et d’écriture.
Colette, 1948 : "L’oreille musicienne du chat fait la différence entre la familiarité et la tendresse. Et ce n’est que par jeu et fantaisie que ma chatte Dernière se plaisait à ce que je lui dise, rudement : 'Chatte, ici tout de suite !', 'Chatte, allez vous coucher.' Qui accompagnaient les rites du soir. Gaiement elle prenait le galop, courait à sa corbeille et obéissait pour imiter le chien.
La chatte Dernière n’eut qu’une chanson attitrée. C’était une très jolie chanson américaine, chantée à ravir par les “Sophomores” ou bien les “Revelers”. Parfois, durant son vénérable sommeil de chatte, je déclenchais la mélodie familière. Elle ne sortait pas toujours de son assoupissement, la chatte, mais sur sa gracieuse bouche endormie, affleurait un sourire de songe et de connivence qui me disait clairement : 'Oui, oui, j’entends, mais ne me réveille pas tout à fait'.
Je crois que la chanson s’intitulait Blue Heaven mais je ne suis pas sûre maintenant. Mais soyez sûr que si je rachète un phono, ça sera surtout dans le dessein d’acheter aussi le disque de la chatte. Quand je cesserai de chanter la chatte Dernière, c’est que je serai devenue muette, moi, sur toutes choses."