En début de semaine, dans une lettre adressée au Président congolais Félix Tshisekedi à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du pays, le roi Philippe de Belgique a exprimé ses "plus profonds regrets" au sujet de la colonisation. Une première mais qui n'est pas au niveau d'excuses.
"À l’époque de l’État indépendant du Congo des actes de violence et de cruauté ont été commis, qui pèsent encore sur notre mémoire collective. La période coloniale qui a suivi a également causé des souffrances et des humiliations. Je tiens à exprimer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore présentes dans nos sociétés. Je continuerai à combattre toutes les formes de racisme. J’encourage la réflexion qui est entamée par notre parlement afin que notre mémoire soit définitivement pacifiée." Par ces quelques lignes, le roi Philippe a exprimé pour la première fois des regrets pour le passé colonial de la Belgique en République démocratique du Congo. La lettre a été adressée le 30 juin dernier au président congolais Félix Tshisekedi, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du pays. Des regrets qui sont un premier pas, inédit et salué par beaucoup mais ne constituent pas des excuses.
Un débat relancé par la mort de George Floyd
Suite à la mort de George Floyd aux États-Unis, la Belgique a, comme de nombreux autres pays, connu une vague de manifestations contre le racisme et les violences policières ces dernières semaines. Jusqu’à 10 000 personnes se sont rassemblées pour protester à Bruxelles début juin, une statue du roi Léopold II a été retirée d'un square par la ville d'Anvers, une autre dégradée à Bruxelles, les plaques de l’avenue Léopold II à Bruxelles ont été recouvertes de peinture et le buste du roi Baudouin teinté de peinture rouge, symbole du sang des Congolais tués pendant la colonisation.
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Le roi Léopold II, descendant de la dynastie allemande des Saxe-Cobourg et qui a régné de 1865 à 1909 en Belgique, est le plus controversé dans le pays. Arrière-arrière-arrière-grand-père du roi actuel des Belges, Philippe, Léopold II avait fait du Congo sa propriété privée et dix millions de Congolais auraient été tués sous son règne. Le débat sur le passé colonial de la Belgique n’est pas nouveau mais il a été intensifié ces dernières semaines. Le groupe d'activistes belges Réparons l’histoire demande notamment le retrait de toutes les statues de ce roi à Bruxelles. "Il y a trop de symboles du colonialisme à Bruxelles. Cela fait des années que l’on milite et qu’on essaie de se faire entendre par rapport à cela. On a l’impression de prêcher dans le désert, de dire des choses et qu’on ne nous écoute pas", a déclaré à la RTBF une activiste qui participait au déboulonnage de statues début juin.
En février 2019, un groupe d'experts des Nations unies avait appelé la Belgique à des excuses pour les "atrocités" de la colonisation et la classe politique avait peu réagi, le Palais royal ne souhaitant pas commenter et renvoyant aux Affaires étrangères.
Les regrets, cet entre-deux
C’est dans ce contexte que le roi Philippe a exprimé ses regrets historiques concernant le passé colonial de la Belgique au Congo. Une première étape importante."Certains pensent que pour réussir à regarder le passé, il faut commencer par s’excuser ou avoir des regrets ou reconnaître les crimes. Le processus de déconstruction de l’aveuglement des puissances coloniales sur leur passé ne commence alors que par cette reconnaissance ipso facto et préalable de ce qu’il s’est passé, avance l’historien Pascal Blanchard, spécialiste du fait colonial. Dans ce cas, rien ne peut être construit si on ne commence pas par reconnaître les faits."
Pour la ministre congolaise des Affaires étrangères Marie Tumba Nzeza, ces regrets sont du "baume sur le cœur du peuple congolais". La ministre estime que "c’est une avancée qui va booster les relations amicales entre [nos] deux nations. Nos peuples ont grand besoin d’une décrispation sincère et définitive pour permettre au Congo de poursuivre durablement sa croissance et son développement". Jean-Jacques Lumumba, lanceur d’alerte et petit-neveu du tout premier Premier ministre congolais Patrice Lumumba, a expliqué à France 24 que ces propos du roi des Belges vont dans le bon sens mais qu’il souhaite que la Belgique aille plus loin, en reconnaissant sa responsabilité dans les crimes commis avant et après l’indépendance, notamment concernant l’assassinat de Patrice Lumumba. La candidate à la présidentielle 2006 Justine Kasa-Vubu a elle dénoncé un acte de contrition "hypocrite" précise Le Monde. "Pour qu’on pardonne à la Belgique, il faut que le pays reconnaisse ses erreurs, mais surtout qu’il arrête d’interférer encore aujourd’hui dans nos affaires", s’est agacée la fille du premier Président congolais.
Sur Twitter, le mouvement citoyen congolais Lucha voit dans ces regrets un "pas tardif et insuffisant mais un pas dans la bonne direction". Il attend désormais "des excuses officielles et des actes concrets pour restituer autant que possible le patrimoine accaparé, effectuer des réparations matérielles et/ou symboliques, et enseigner fidèlement cette histoire aux nouvelles générations".
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"Réparer les préjudices en termes d’investissements ainsi que des dommages et intérêts", c’est le souhait de Lambert Mende, qui était le porte-parole de l’ancien président Joseph Kabila. Effectivement, comme l’explique Pascal Blanchard, _"__On considère qu’à partir du moment où le mot ‘excuse’ est prononcé, il y aurait alors une forme de responsabilité globale et collective qui pourrait donc induire des réparations automatiques à l’égard du Congo de la part de la Belgique._ Je pense que les juristes ont fortement travaillé sur la question, en évitant que le mot excuse puisse devenir un levier juridique un jour pour pouvoir demander une réparation institutionnelle de l’État belge à l’État congolais."
Le regret, c’est ne pas aller trop loin, éviter de rentrer dans un cadre juridique et de dire qu’il y aurait une responsabilité juridique de l’État belge dans ce qui s’est passé au Congo il y a maintenant un siècle par rapport à l’État belge d’aujourd’hui. Le mot est aussi destiné à ne pas trop heurter les opinions blanches. C’est comme un premier degré de reconnaissance. Mais cela ne veut pas dire que dans quelques mois, le roi des Belges ne prononcera pas le mot ‘excuses’ !
L’historien Pascal Blanchard
Alors qu’elle dévoilait une plaque commémorative de l’indépendance du Congo à Ixelles mardi dernier, la Première ministre belge Sophie Wilmès a rappelé qu’une commission parlementaire "vérité et réconciliation" doit prochainement se pencher "sur le passé colonial de la Belgique afin d’en tirer les enseignements". Les excuses arriveront peut-être une fois le travail de cette commission parlementaire achevé selon certains analystes.
Pascal Blanchard ne voit que le début d’un processus. "On sort de quatre siècles d’histoire très compliquée de l’Occident dans nos sociétés métissées d’aujourd’hui et ce n’est que le début de cela. On est sorti du temps du silence et on entre maintenant dans le temps de la déconstruction : s’excuser, construire la mémoire commune, décoloniser les imaginaires. Les générations d’après doivent gérer les erreurs, les égarements, la complexité des générations précédentes."
Des excuses pas unanimes dans les pays européens
Si c’est la première fois que la Belgique dit regretter son passé colonial, ce n’est pas une première pour un pays européen. Le premier à l’avoir fait, c’est l’Italie. En 2008, l’ancien président du Conseil Silvio Berlusconi avait déclaré lors d’un voyage à Benghazi en Libye : "Il est de mon devoir, en tant que chef du gouvernement, de vous exprimer, au nom du peuple italien, notre regret et nos excuses pour les blessures profondes que nous avons causées." Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avait alors répondu : "Il s’agit d’un moment historique durant lequel des hommes courageux attestent de la défaite du colonialisme". Une déclaration pour "des raisons extrêmement intéressées" rappelle l’historien Pascal Blanchard, "Silvio Berlusconi avait fait une sorte de troc en ramenant en Libye une célèbre statue la Vénus de Cyrène [qui avait été découverte au début du XXe siècle par des archéologues italiens en Libye et exposée depuis à Rome, ndlr] et en lançant la construction d’une autoroute qui devait traverser la Libye, par des sociétés italiennes."
En 2015, l’Allemagne, par la voix de la chancelière Angela Merkel, avait décidé de qualifier de "crime de guerre et génocide" les massacres commis envers les Herero et les Nama en Namibie, entre 1904 et 1908. En août 2018, des ossements de ces tribus exterminées lors de la colonisation ont été remis à la Namibie, un geste de réconciliation insuffisant par la Namibie qui exigeait des excuses officielles. Le 4 juin dernier, le Président namibien Hage Geingob a affirmé devant le parlement que l’Allemagne a accepté de présenter des excuses officielles pour ce génocide. Des négociations ont été entamées il y a cinq ans entre les deux pays en vue d’un accord sur des excuses officielles et la promesse d’aides au développement en guise de dédommagement.
Plusieurs milliers de victimes de la répression de l’insurrection des Mau-Mau dans les années 1950 au Kenya ont été indemnisées en 2013 par la Grande-Bretagne. "L’État britannique a reconnu via la justice sa responsabilité dans ces crimes de guerres", commente Pascal Blanchard. Le chef de la diplomatie britannique William Hague avait alors déclaré : "Le gouvernement reconnaît que des Kényans ont été soumis à des tortures et à d’autres formes de mauvais traitements entre les mains de l’administration coloniale", avant de présenter ses "regrets sincères".
En mars dernier, le roi des Pays-Bas Willem Alexander a déclaré pour la première fois lors de sa première visite d’État à Jakarta en Indonésie : "Je voudrais exprimer mes regrets et présenter mes excuses pour la violence excessive de la part des Néerlandais au cours de ces années", en référence aux quatre années de répression menée par les Pays-Bas lors de l’indépendance du pays, entre 1945 et 1949.
En France, aucun chef d’État n’a pour le moment présenté d'excuses pour la colonisation. En 2017, Emmanuel Macron, en visite en Algérie, avait qualifié la colonisation de "crime contre l’humanité" en prononçant cette phrase : "La colonisation fait partie de l’histoire française, c’est un crime contre l’humanité, une vraie barbarie et cela fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes."
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Mais comme le rappelle Pascal Blanchard, à l’époque, Emmanuel Macron était un simple candidat à l’élection présidentielle : "Il n’était pas la parole publique de la France et n’engageait pas la France. Depuis qu’il est Président, il n’a pas repris ce phrasé…"
En décembre dernier, lors d’une conférence de presse à Abidjan aux côtés du président ivoirien Alassane Ouattara, Emmanuel Macron a qualifié le colonialisme d’"une erreur profonde, une faute de la République". Un préalable à de futures excuses ?