Comment devient-on académicien ?

Publicité

Comment devient-on académicien ?

Par
L'Académicienne Dominique Bona lit son discours de réception devant ses confrères , le 23 octobre 2014
L'Académicienne Dominique Bona lit son discours de réception devant ses confrères , le 23 octobre 2014
© AFP - KENZO TRIBOUILLARD

Jeudi 31 janvier 2019 les immortels ont procédé à l’élection du successeur du fauteuil de Michel Déon. Aucun candidat n’ayant obtenu la majorité, l’élection est blanche et reportée. L'occasion de se pencher sur les critères d'admission à l'Académie française, à travers quelques cas pratiques.

Depuis la mort du dramaturge Michel Déon, le 28 décembre 2016, le fauteuil numéro huit de l'Académie française est vide. Jeudi 31 janvier 2019, les immortels ont procédé à l’élection de son successeur, pour la troisième fois… Et ce n’est toujours pas la bonne ! Car pour devenir Académicien, il faut obtenir la majorité absolue des suffrages. Aucun candidat n’ayant obtenu assez de voix, l’élection est donc blanche et reportée à une date ultérieure. Les candidats, parmi lesquels les écrivains Pascal Bruckner et Charles Dantzig, l'essayiste Benoît Duteurte, ou encore l’ancien ministre de la culture Luc Ferry, devront donc, s’ils le souhaitent, poser à nouveau leur candidature pour accéder au statut d’immortel. Mais quels sont les critères pour entrer sous la Coupole du Quai Conti ? Retour sur les pratiques et les usages de l’Académie française à travers quelques cas célèbres.

Quelles sont les qualités d’un académicien ?

  • L’amour de la langue

"Personne ne sera reçu dans l’Académie qui ne soit agréable à Monseigneur le Protecteur et qui ne soit de bonnes mœurs, de bonne réputation, de bon esprit et propre aux fonctions académiques", proclamaient les premiers statuts de l’institution créée en 1635, sous le règne de Louis XIII. Un précepte qui n’a pas bougé depuis plus de trois siècles, mis à part cette règle : les candidats doivent être âgés de moins de 75 ans.

Publicité

Les missions de l’académicien résident avant tout dans la mise en valeur et le perfectionnement de la langue française. Les 36 immortels actuels sont donc d'éminents intellectuels diplômés, et auteur de travaux notables. Parmi eux figurent 20 écrivains, 5 historiens, 4 philosophes, trois anciens hauts fonctionnaires, un avocat, un biologiste, un médecin, et un homme d’Église. Pourtant, Dominique Bona, l’assure : "Tout le monde peut se présenter à l’Académie française". Alors verra-t-on bientôt Fabrice Luchini porter l’habit vert et l’épée sous la Coupole ? L’entrée d’un acteur chez les immortels serait une première. Fabrice Luchini avait lui-même exprimé son souhait de les rejoindre, dans un entretien accordé au Figaro Magazine le 31 octobre 2018 :

D'autres académiciens comme Valéry Giscard d'Estaing m'ont sollicité à leur tour. J'ai d'abord argué que je n'étais qu'un saltimbanque, doublé d'un mauvais caractère, mais je crois que je vais me lancer et tenter de me faire élire à l'Académie française. Fabrice Luchini

  • Travailler son réseau

Fabrice Luchini avait également été sollicité par Jean d’Ormesson. Pour Dominique Bona, il s’agit d’une candidature très sérieuse :

Fabrice Luchini a une œuvre, ses spectacles pendant lesquels il lit de très beaux textes de la littérature française. Son interprétation, son amour de la langue française. Cela ne me gêne pas qu’il n’ait pas de roman à présenter, il serait certainement un très bon défenseur de la langue. Dominique Bona

Pour la philosophe et anthropologue Barbara Cassin, aucun doute, le réseau joue pour beaucoup. Dans l’émission "A voix nue" qui lui était consacrée, le 21 décembre 2018, elle expliquait avoir été poussée par Marc Fumaroli, essayiste et critique littéraire, qui est aussi l'un de ses amis académiciens :

D’abord, j’ai eu le grand prix de l’Académie française en 2012, pour l’ensemble de mon travail philosophique. J’étais donc déjà en contact avec ce monde. J’y ai des amis, comme Jean-Luc Marion. Il y avait une espèce d’ouverture de ce côté-là. Marc Fumaroli m’a téléphoné et me dit "Mais enfin, Barbara, qu’est-ce que vous faites ? Présentez-vous !" Barbara Cassin

"Ma campagne a été extrêmement agréable et facile, d'abord parce qu’elle a été très courte, elle a duré un mois" Barbara Cassin (À voix nue, 21/12/2018)

29 min

Quel est le protocole pour entrer à l’Académie ?

  • Pas une seule, mais plusieurs lettres de motivation

Une fois qu’on a été recommandé ou sollicité, démarre la "campagne académique". Parmi les premières choses à faire, poser sa candidature en envoyant une lettre manuscrite au secrétaire perpétuel de l’institution, l’historienne Marie-Hélène d’Encausse. "Cette lettre, c’est trois lignes", confie Dominque Bona. ""Madame le secrétaire perpétuel, j’ai l’honneur de vous informer que je suis candidat ou candidate au fauteuil de votre regretté confrère Monsieur X", et c’est terminé, on signe"", poursuit l'écrivaine.

Deuxième étape : la rédaction de lettres pour tous les membres de l’Académie, afin de détailler, cette fois-ci, les motivations du candidat. Un exercice de style qui mêle le fond et la forme :

Il est conseillé d’écrire une lettre développée pour montrer son intérêt pour la langue, et montrer en quoi l’Académie trouverait un intérêt dans la candidature d’un tel ou d’une telle. Ce n’est pas une obligation, mais si vous ne le faites pas, cela risque d’être mal compris. Dominique Bona

  • La "visite de l'académicien"

Enfin, il est d’usage que le ou la candidat(e) propose à chaque académicien sa visite, c’est la fameuse "visite de l’académicien". Les immortels peuvent les recevoir chez eux, pour apprendre à mieux les connaître. Mais cette étape n’est pas obligatoire, et la pratique reste gênante pour certains d'entre eux, qui ne préfèrent pas les rencontrer dans un cercle privé, comme l'expliquait l’académicienne Florence Delay, invitée de l'émission "Un autre jour est possible", consacrée à l'histoire de l'Académie française, et diffusée le 7 novembre 2014 :

La visite, c’est très étrange. Certains reçoivent le futur candidat chez eux. Ou on reçoit ou on ne reçoit pas. L’usage recommande ce que le règlement interdit, le règlement interdit la visite, mais l’usage le recommande. Donc certains se réfugient derrière le règlement et d’autres se soumettent à l’usage. Florence Delay

"La visite de l'Académicien, c’est très étrange.(...) L’usage recommande ce que le règlement interdit, le règlement interdit la visite, mais l’usage le recommande" Florence Delay ("Un autre jour est possible", 07/11/2014)

9 min

  • Le vote et le risque des croix

Les élections ont toujours lieu le jeudi, après l'ordre du jour, établi chaque semaine par le secrétaire perpétuel. Le scrutin est direct et secret. Les académiciens qui ne sont pas présents ne votent pas ni par procuration, ni par correspondance. Pour qu'un candidat soit élu, il doit recueillir la majorité absolue des suffrages.

Les bulletins blancs ne sont pas pris en compte. En revanche, les immortels peuvent les marquer d'une croix, ce qui signifie qu'ils rejettent là tous les candidats qui se sont présentés à eux. Lors de l'élection du successeur au fauteuil de Félicien Marceau, en 2013, auquel candidatait Alain Finkielkraut, huit académiciens avaient barré leur bulletin de vote en signe de désaveu, ce qui n'a pas empêché le philosophe de rejoindre la Coupole.

Trois, voire quatre tours de scrutin peuvent être nécessaires pour atteindre la majorité absolue, comme cela fut le cas pour Michel Déon. Au-delà, le directeur consulte la Compagnie pour décider de sa volonté soit de poursuivre le vote, soit de l’abandonner.

Un académicien doit-il avoir la nationalité française ?

  • Le cas Jorge Semprun

« Aucune condition de titres ou de nationalité ne figure dans les statuts », indique le règlement de l’Académie française. Pourtant, dans les faits, cela semble plus compliqué. En 1995, le cas Jorge Semprun pose problème. Ecrivain espagnol et ancien ministre de la Culture dans son pays, Jorge Semprun est connu pour avoir écrit des scénarios pour Alain Resnais (La guerre est finie, Stavisky), Joseph Losey (Les Routes du Sud) ou encore Costa-Gavras (Z, L'Aveu, Section spéciale). Alors âgé de 72 ans, Jorge Semprun annonce son intention de se présenter à l’Académie, au fauteuil du philosophe Henri Gouhier. Mais sa candidature déclenche une polémique au Quai Conti. Certains académiciens lui reprochent d'abord son passé d'ancien communiste, quand d'autres tiquent sur sa nationalité étrangère, comme le souligne l’académicienne Florence Delay :

Le jour de son élection, quelqu’un a dit "Mais écrit-il en français ?". Alors a commencé un malentendu épouvantable, on lui a rapporté que c’était son passé communiste qui lui avait nui. Semprun a été très blessé, et nous a tourné le dos. Pour pallier ce problème, Hélène Carrère d’Encausse est allée trouver le président de la République, pour être bien sûr qu’il n’y aurait jamais une opposition à un écrivain non-français, mais écrivant en français. Florence Delay

  • Le cas Julien Green

Bien avant la candidature de Jorge Semprun, plusieurs académiciens ayant la double nationalité ont été élus, mais la plupart ont été naturalisés Français avant leur élection, comme Henri Troyat, écrivain d'origine russe élu en 1959, et naturalisé en 1935, ou encore le dramaturge roumain Eugène Ionesco, élu en 1970 et naturalisé en 1950.

Elu à l'Académie française au mois de juin 1971 au fauteuil de François Mauriac, Julien Green (D) est accueilli le 16 novembre 1972 par Maurice Genevoix sous la Coupole.
Elu à l'Académie française au mois de juin 1971 au fauteuil de François Mauriac, Julien Green (D) est accueilli le 16 novembre 1972 par Maurice Genevoix sous la Coupole.
© AFP - ARCHIVES / AFP

Le premier étranger à avoir rejoint la Coupole est l'écrivain américain Julien Green, élu au premier tour au fauteuil de François Mauriac, en 1972. Le président Georges Pompidou lui avait alors proposé la nationalité française qu'il décline. Fait rare : en 1996, Julien Green décide de quitter l'Académie française. Il se justifie alors à l'AFP en ces termes :

Je me sens exclusivement américain. (...) Je ne me reconnais plus dans l'Académie actuelle... J'ai été élu malgré moi. Julien Green

  • Le cas Dany Laferrière

En 2015, l'écrivain québécois d'origine haïtienne Dany Laferrière est le deuxième écrivain étranger à entrer sous la Coupole. Dans sa lettre de candidature, l'auteur avait déjà souligné l'importance de a francophonie au-delà du territoire français :

Depuis trente ans, j'ai créé un pont entre Haïti et le Québec, deux pays où dix millions de gens parlent le français. Il faut parier sur cette relation.

Dany Laferrière lors de son discours de réception à l'Académie française le 28 mai 2015.
Dany Laferrière lors de son discours de réception à l'Académie française le 28 mai 2015.
© AFP - Thomas Samson

Adepte de l'autofiction, l'oeuvre de Dany Laferrière est marquée par le thème de l'exil, et notamment par sa fuite d'Haïti sous la dictature de Jean-Claude Duvalier. Dans l'émission "A voix nue", qui lui été consacrée le 29 mai 2015, l'écrivain revenait sur le concept d'universalité, qui nourrit son travail depuis toujours :

Je crois que j'écris pour aller autre part que là où je suis. Cet endroit, où l'écrivain rencontre le lecteur, qui n'a pas d'adresse, et qui n'a pas d'agent immigration, qui n'a pas de police... il existe et il est à protéger. Et on ne peut pas y entrer sans une certaine naïveté, la foi que nous sommes tous des enfants. Dany Laferrière

Dany Laferrière : Le sacre académique de l'universalité ("À voix nue", 29/05/2015)

28 min

Pourquoi n’y-a-t-il eu que neuf femmes à l’Académie ?

Il aura fallu plus de trois siècles pour qu’un individu de sexe féminin porte l’habit vert. Jusque dans les années 1980,  l'Académie Française était un bastion réservé aux hommes, rien qu'aux hommes. Le 6 mars 1980, Marguerite Yourcenar st la première femme à entrer à l’Académie Française. Elle en est d'ailleurs la première étonnée, si l'on en croit sa réaction lorsqu'elle apprend la nouvelle de son élection :

Quel peut être mon premier sentiment, excepté de la reconnaissance, pour les personnes qui ont bien voulu m’élire ? [...] Tout, mêmes les coupoles finissent par changer aussi. (...) J’ai l’habitude de ne jamais prévoir les choses qui vont se passer, de ne jamais demander d’avance à quoi les gens vont ressembler avant de les avoir vus, et par conséquent, de ne jamais me demander quand on va être élu, et à quel moment, et pourquoi. Marguerite Yourcenar

Une femme sous la Coupole (Marguerite Yourcenar les détours du temps, 2 août 2007)

53 min

Marguerite Yourcenar entre à l'Académie Française, 22 janvier 1981
Marguerite Yourcenar entre à l'Académie Française, 22 janvier 1981
© Getty - Francis Apesteguy

Bien avant elle, d'autres femmes avaient candidaté comme ce fut le cas de la journaliste féministe et députée européenne Louise Weiss, ou de l'écrivaine Françoise Parturier. Dès le XVIIIe siècle, d'Alembert avait tenté d'y faire entrer son amie, l’épistolière Julie de Lespinasse. Pour Dominique Bona, il y eut de nombreux "ratés" dans l'histoire de l'Académie française, parmi lesquelles une écrivaine dont elle a rédigé la biographie :

Pour moi le principal raté, c’est Colette, et je le regrette infiniment. Je regrette que l’Académie française ne l’ait pas choisie, mais c’est très très tard les femmes à l’Académie, il faudra attendre Marguerite Yourcenar. Pour les femmes, il y a évidemment un défi particulier, car c’est encore plus difficile. On sait qu’à l’Académie on est peu nombreuses, et ce serait pas mal qu’on soit un peu plus.

L'heure n'est pas encore à la parité à l'Académie française : depuis Marguerite Yourcenar, neuf femmes ont accédé à la Coupole du Quai Conti.