Comment l'utilisation de pesticides n'a cessé d'évoluer ces dix dernières années
Par Fiona Moghaddam, Romeo Van-MastrigtL'objectif était ambitieux, il s'est révélé inatteignable. En 2008, le gouvernement lance le plan Écophyto et souhaite réduire de 50% l'usage des pesticides en France. Pourtant, leur utilisation a souvent augmenté ces dix dernières années.
Jusqu'au 30 mars 2019, l'association Générations Futures, accompagnée d'une cinquantaine d'organisations nationales, coordonne la Semaine pour les alternatives aux pesticides. L'objectif est de lutter contre leur utilisation en proposant d'autres moyens, plus écologiques et bénéfiques pour l'environnement et la santé. Car malgré des politiques volontaristes pour réduire l'usage de pesticides en France, la tendance est plutôt à la hausse.
Des indicateurs en hausse
Pour connaître la consommation de pesticides en France, les autorités tiennent généralement compte du NODU pour "Nombre de doses unités", calculé à partir des quantités de produits vendues en France. Mis en place en 2007, lors du vote du plan Ecophyto, le gouvernement de l'époque espérait voir diminuer ce Nodu de moitié à l'horizon 2018.
Un échec puisque, au contraire, en dix ans, le Nodu n'a quasiment pas cessé d'augmenter, passant de 76 millions en 2008 à 94,2 millions en 2017.
Mais le Nodu n'est pas l'indicateur idéal, en tout cas, pas pour l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP). L'UIPP préfère évoquer le nombre de substances actives utilisées, qui, lui, a fortement diminué depuis les années 1990. À l'époque, 110 000 tonnes environ étaient déversées contre environ 60 000 tonnes ces dernières années.
La France est le deuxième pays consommateur de pesticides en Europe, derrière l'Espagne. Mais rapporté au nombre d'hectares, ce classement place la France en neuvième position.
Eugénia Pommaret, directrice générale de l'UIPP
Pourtant, le nombre de tonnes déversées a augmenté de 15% entre 2011 et 2017, pour s'établir aujourd'hui à environ 65 000 tonnes, alerte Générations Futures. Même si l’utilisation des produits les plus dangereux, ceux classés comme cancérogènes, a reculé de 6 % en 2017.
Des quantités vendues mais pas toujours déversées
Les experts s'accordent sur certaines limites du NODU. En effet, les quantités de pesticides vendues ne sont pas automatiquement déversées sur les terres. "Si les parcelles ne sont pas affectées par des insectes ou des maladies, l'agriculteur peut ne pas utiliser le produit", explique Laure Mamy, chercheuse à l'Inra et spécialisée sur l'impact des pesticides sur l'environnement.
Jean-Paul Douzals, directeur de recherches à l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) confirme et évoque aussi les disparités régionales. "La vigne représente par exemple un million d'hectares en France. Dans certaines régions, il y a une réduction significative des quantités de pesticides. Pour d'autres, ce n'est pas le cas, en raison des problématiques climatiques qui peuvent affecter le vignoble."
Certaines années, il peut y avoir une forte baisse de l'usage de pesticides parce qu'il n'y a pas de problèmes parasitaires dans les cultures. Et dans d'autres cas, des conditions climatiques très défavorables peuvent entraîner une forte pression parasitaire et les agriculteurs vont être amenés à traiter plus. L'usage de pesticides dépend également du type de culture et du contexte pédologique.
La chercheuse Laure Mamy
Ces données sont donc difficiles à analyser année par année et d'une manière globale, selon ces deux spécialistes.
Pourquoi une telle hausse ?
Quel que soit l'indicateur retenu pour évaluer l'utilisation de pesticides, leur utilisation est en hausse en France ces dix dernières années. Pour Générations Futures, cela s'explique par la frilosité du monde agricole d'arrêter les pesticides : ils sont un moyen de se protéger face aux aléas climatiques.
"Dans certains cas, il n'y a pas d'alternatives aux pesticides" ajoute Laure Mamy. L'objectif pour un agriculteur, même lorsqu'il souhaite réduire l'utilisation de pesticides, étant de mener à bien sa récolte. "En cas d'événement climatique important, l'utilisation de produits [phytosanitaires] reste un moyen pour les producteurs de sécuriser leur production et donc leur revenu. C'est le principal frein à cette question de réduction des doses" précise Jean-Paul Douzals.
Une étude publiée en 2015 montre aussi que la surface des terres fortement consommatrices de pesticides a augmenté sur la période 1989-2012, ce qui a joué sur l'accroissement de l'usage des produits phytosanitaires. En revanche, entre 2008 et 2012, les auteurs évoquent plutôt "une adaptation des pratiques de protection phytosanitaire face aux variations inter-annuelles de la pression des bio-agresseurs et/ou de la conjoncture économique" qu'une modification de l'occupation des sols pour expliquer la hausse de l'utilisation des pesticides.
Générations Futures mentionne également les coopératives agricoles qui s'occupent à la fois de vendre des pesticides aux agriculteurs et de les conseiller sur leur utilisation. Ce conflit d'intérêt devrait être réglé avec la loi Agriculture et alimentation.
Quelles alternatives ?
De nombreuses alternatives sont déjà en place pour tenter de diminuer l'utilisation de pesticides. Il y a déjà la diminution des doses en elles-mêmes. Il faut tenir compte de la densité de végétation sur une terre et adapter la quantité de produit en fonction. Un dosage que Jean-Paul Douzals compare à celui d'un médicament, qui s'applique selon l'âge et le poids d'une personne. "Si les agriculteurs jouent la sécurité, ils appliquent la pleine dose tout le temps et ce n'est pas intéressant, ni d'un point de vue agronomique, ni environnemental", ajoute le chercheur. Autre méthode pour éviter une consommation excessive, n'utiliser du désherbant qu'un rang sur deux dans les vignes ou vergers.
Le désherbage mécanique est aussi recommandé, à la place du chimique. À l'Inra, Laure Mamy et ses collègues ont accompagné plusieurs projets de recherches en méthodes alternatives. À commencer par la diversification des cultures. Les maladies et les parasites sont spécifiques pour chaque culture. En réimplantant chaque année les mêmes cultures, la pression parasitaire se renforce. Changer de cultures régulièrement permet de réduire cette pression et de limiter le recours aux traitements chimiques.
Entre chaque culture, pour éviter que les terres ne soient nues l'hiver, des cultures intermédiaires sont utilisées. Bien souvent, elles ne sont ni récoltées ni rentables et sont simplement détruites avant la semence des futures cultures, et du désherbant est dans ce cas utilisé. Laure Mamy prône l'introduction de cultures intermédiaires gélives, comme le trèfle ou la moutarde, qui seront détruites avec les premières gelées de l'hiver. "Le sol est protégé, l'enfouissement des résidus de culture apporte de la matière organique au sol et va l'enrichir pour la prochaine culture", détaille la spécialiste.
Des produits de bio-contrôle basés sur des micro-organismes (certains trichoderma, sorte de champignons), des substances d'origine naturelle (l'huile de menthe verte) et des phéromones sont aussi à l'étude. Leur efficacité devra être durable sans modifier l'environnement, les écosystèmes ni avoir d'effet néfaste sur la santé humaine pour que les tests soient concluants.
"Ces méthodes alternatives ont montré que l'usage des pesticides peut être réduit de façon significative, jusqu'à 80% voire plus dans certains cas", affirme Laure Mamy. Une généralisation qui prend du temps reconnaît la chercheuse, en raison de la formation nécessaire et de l'investissement en nouveau matériel nécessaires pour l'agriculteur.
Aujourd'hui, seule 6,5% de la surface agricole française est classée bio en France. Le gouvernement entend la porter à 15% d'ici 2022.