Elle a affaibli, tué ou détruit des milliers d'écrivains mais elle a aussi été un puissant levier de création. La drogue sous toutes ses formes a fait partie du processus d'écriture de Baudelaire à Sartre en passant par Balzac ou Jules Verne.
- William Burroughs, est-ce que vous auriez pu créer tout ce que vous avez créé sans la drogue ?
- Non je ne crois pas.
Extrait d'une interview de William Burroughs en 1990, sur France 2.
Leçon 1 : halluciner pour booster l’imagination
Au Ve siècle avant J.-C., Hérodote écrivait déjà sur l’influence euphorisante du chanvre. L’intensification des sensations, le développement de l’imagination, les idées saugrenues sont des effets qui ont été collectivement exploités au XIXe siècle par le Club des Haschischins.
Cécile Guilbert, romancière, essayiste et autrice d'Écrits Stupéfiants (2019) nous explique les pratiques de ce club.
Cécile Guilbert : "Ce petit monde se livrait à des “fantasias” c’est-à-dire des séances d’ingestion de haschisch pour avoir des visions. Parmi tous ces gens il y avait Honoré de Balzac, Théophile Gautier, le plus important qui a donné le plus de textes après ces expériences, Baudelaire aussi venait en voisin, il y avait également Alexandre Dumas qui s’en est servi dans Le Comte de Monte-Cristo pour raconter une expérience de haschisch dans ce grand roman d’aventure."
Son corps semblait acquérir une légèreté immatérielle, son esprit s'éclaircissait d’une façon inouïe, ses sens semblaient doubler leurs facultés.
Description d’une prise de haschisch dans Le Comte de Monte-Cristo.
D’autres drogues psychédéliques telle la mescaline ont été un outil pour des écrivains comme Henri Michaux. Il l’utilisait dans sa recherche de “l’émotion souveraine” même s’il estime qu’elle diminue l’imagination car : “Elle [la mescaline] fait des images cent pour cent pures”.
Leçon 2 : l’opium et ses dérivés pour calmer les nerfs
Pour Jean Cocteau, l’opium était une façon de soulager sa dépression après la mort de son premier amour, Raymond Radiguet. La drogue facilite son travail en l’aidant à se concentrer, en lui offrant un cadre psychologique et moral calmant sa nervosité.
Fumer de l’opium, c’est quitter le train en marche ; c’est s’occuper d’autre chose que de la vie, de la mort.
Jean Cocteau, Opium, 1930.
C’est le choc d’un sevrage difficile qui permet à Jean Cocteau d’écrire en 7 jours Les Enfants terribles (1929).
L’opium favorise la rêverie intérieure, la poésie se prête ainsi particulièrement à sa consommation comme en témoignent les poèmes d'Apollinaire, de Baudelaire et même de Jules Verne :
Je le sens qui circule en moi et qui me pénètre !
De l’esprit et du corps ineffable bien-être,
C’est le calme absolu dans la sérénité.
Jules Verne, 1886
Mais la morphine engendre aussi d’autres types de récits.
Cécile Guilbert : " Les morphinomanes en revanche, ont donné lieux à une littérature à la fin du XIXe siècle qui est extrêmement sensationnaliste et moralisatrice. La morphine donne lieu à des tableaux dans la littérature de fin de siècle, tout à fait terribles comme chez Catulle Mendès, et elle donne lieux à beaucoup de journaux de morphinomanes."
Leçon 3 : s'enivrer pour stimuler son intellect
Guy de Maupassant trouve dans les effluves d’éther “une lucidité supérieure”. C’est suite à des troubles oculaires qu’on lui prescrit de l’éther dont il devient rapidement addict. Il raconte n’avoir pas écrit une seule ligne de Pierre et Jean sans en respirer et livre dans sa nouvelle Rêves une description de l’ivresse éthérique :
C’était une acuité prodigieuse de raisonnement, une nouvelle manière de voir, de juger, d’apprécier les choses de la vie.
Leçon 4 : des excitants pour se sentir surpuissant
Grâce à la frénésie apportée par la cocaïne, Robert Louis Stevenson aurait écrit en 6 jours et 6 nuits les 60 000 mots de son récit d’épouvante, L’Étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde. Quant à Arthur Conan Doyle, il prête au plus célèbre de ses personnages, Sherlock Holmes, une addiction à la cocaïne qui l’aide dans ses enquêtes.
Peut-être cette drogue a-t-elle une influence néfaste sur mon corps. Mais je la trouve si stimulante pour la clarification de mon esprit…
Sherlock Holmes dans Le Signe des quatre.
Autre drogue de la surpuissance : les amphétamines
Cécile Guilbert : "Les amphétamines ont été très importantes dans ce qu’on appelle la Beat Génération, ce groupe d’auteurs et de poètes en rupture de ban dans les années 50, Jack Kerouac, Allen Ginsberg ont pris des amphétamines pour écrire. On sait que Jack Kerouac a écrit Sur la route sans doute sous l’influence des amphétamines.”
En France, Jean-Paul Sartre écrit sa Critique de la raison dialectique sous influence de Corydrane.
Ayant pris dix Corydranes le matin pendant que je travaillais, c’était l’abandon complet de mon corps ; je me saisissais à travers les mouvements de ma plume, mes imaginations et mes idées qui se formaient.
Jean-Paul Sartre, 1974,
À lire : Écrits Stupéfiants, Drogues et littérature d'Homère à Will Self de Cécile Guilbert, éditions Bouquins - Robert Laffont, 2019