Comment le centrisme a bataillé contre la Ve République, de Lecanuet à Macron
Par Camille Renard
Previously. PREVIOUSLY | Alors que le MoDem fête ses 10 ans, un homme "ni de droite ni de gauche" est élu président de la République. Voici cinq jalons de l'histoire électorale du Centre sous la Ve République, pour comprendre les atouts et les limites de cette force politique dans notre régime.
“Plaine” ou “Marais” face aux révolutionnaires Montagnards à la fin du XVIIIe siècle, orléanisme libéral au XIXe siècle, “troisième force” gouvernante sous la IVe République : fort de cet héritage, le centrisme est pourtant difficilement parvenu à gouverner ces 60 dernières années. Le refus du leadership étant une de ses caractéristiques, ses percées lors d'élections présidentielles ne se sont produites que lorsque des figures charismatiques se sont imposées : Jean Lecanuet, Valéry Giscard d'Estaing, François Bayrou... et aujourd'hui, Emmanuel Macron. Selon l’historienne du centrisme Sylvie Guillaume, le Centre peut se définir par au moins trois objectifs communs : desserrer le carcan étatique (régionalisme et européanisme), réformer la société (ni dans le dogmatisme, ni dans l'extrémisme), et défendre le parlementarisme. Ces principes politiques sont le dénominateur commun des trois grandes tendances du centrisme qui ne cessent de se déchirer, de se retrouver et de se séparer à nouveau, expliquant en partie son échec électoral : le radicalisme, la démocratie chrétienne et le libéralisme. Voici cinq jalons de l’histoire de cette force politique sous la Ve République :
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1) Le référendum de 1962 : l'instauration d'un régime présidentiel, ou la disparition programmée des centristes
Les centristes, fort attachés au parlementarisme, préconisent le Non au référendum de 1962 sur l'élection au suffrage universel direct du président de la République. Ils sont battus à plat de couture : le Oui l'emporte à 62,25%. Cette réforme du mode de scrutin leur coûtera cher. S'installent ainsi dans la vie politique française un contact plus direct entre l'élu et le peuple, et la bipolarisation de la vie politique. Avant 1962, souligne Nicolas Sauger, chercheur à Sciences Po, les centristes avaient d'ailleurs une place importante dans le gouvernement du pays, impulsant largement la construction européenne. Après, cela va se révéler plus difficile.
2) 1965 : Lecanuet ou la surprise du "Kennedy français"

Lors de la première élection qui suit la réforme du mode de scrutin, celle de 1965, le candidat de centre-droit Jean Lecanuet comprend l'importance de mener une campagne médiatique, par l'image, notamment à la télévision. A peine crédité de 3% des intentions de vote au moment de sa candidature, il accède à 16% des votes à l'issue du premier tour, créant la surprise dans l'opinion publique. Il a été soutenu par les partis refusant la bipolarisation de la vie politique, choqués par la réforme du mode de scrutin de 1962. Cette relative victoire souligne également une proposition d'alternance : une figure de la jeunesse (il a 45 ans) et du renouvellement, défendant la construction européenne, réformiste, issu des chrétiens démocrates.
3) 1969 : L’échec de Gaston Defferre et la percée d'Alain Poher
Gaston Defferre, de centre gauche, se positionne en ticket avec Pierre Mendès-France. Son discours ne séduit pas l'électorat. Victime de la triple concurrence du candidat de centre-droit, Alain Poher, président du Sénat, qui recueille 23% des voix, de celle de Michel Rocard (PSU), ainsi que de celle de Jacques Duclos, qui fait le plein des voix communistes, Defferre ne recueille que 5 % des suffrages exprimés. Cet échec conduit à la refondation du Parti socialiste en 1969, qui choisit une alliance sur sa gauche plutôt que sur son centre, avec le Parti communiste français, aboutissant à partir de 1972 au "Programme commun".
4) 1974 : La victoire de Valéry Giscard d’Estaing ou la branche libérale au pouvoir

Opposé à Jacques Chaban-Delmas, qui bénéficie de l'appui du puissant parti gaulliste, Valéry Giscard d'Estaing, 48 ans, accède à la présidence de la République en 1974. Les débuts de sa mandature sont marqués par le réformisme (légalisation de l'avortement, abaissement de la majorité), le libéralisme économique, et sur le plan institutionnel, une révision constitutionnelle qui élargit la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel aux parlementaires. L'UDF, créée en 1978 dans la foulée de l'accession au pouvoir de Valéry Giscard d'Estaing, parvient à se constituer comme une force politique de gouvernement grâce à la légitimité du président. Le mouvement ne peut se maintenir au centre après l'échec de 1981, quand l'alliance avec la droite s'impose. S'ensuivent deux élections présidentielles sans candidat centriste : aux élections de 1988, Raymond Barre, et de 1995, François Balladur, représentent des visions plus droitistes que centristes, selon le politologue spécialiste du Centre Julien Sauger.
5) 2007 : François Bayrou, le 3e homme ou la stratégie d’autonomisation

Faisant suite à l'élection de 2002 où François Bayrou était déjà présent, l'élection de 2007 représente une rupture dans le vote centriste. François Bayrou recrute pendant sa campagne vers le centre gauche, et près de 15 % des sympathisants socialistes se portent sur sa candidature. "Troisième homme" de l'élection de 2007, il crée dans la foulée de l'élection un nouveau parti, le MoDem, qui adopte un positionnement indépendant de la droite et de la gauche. Ceux qui refusent cet éloignement de la droite fondent le Nouveau Centre (Hervé Morin, André Santini...).
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