Entretien. La Nuit européenne des musées de ce samedi commence à entrer dans les moeurs. Au bénéfice d'institutions qui ont beaucoup évolué ces dernières années. Spécialiste en muséologie, Paul Rasse parle d'un musée réinventé. Il nous a expliqué pourquoi, à partir des origines de ces lieux emblématiques.
Visiter un musée (ou un monument) est de loin l'activité culturelle par excellence, d'après les Français récemment interrogés par le Crédoc et le ministère de la Culture. Et l'on se bousculera encore ce samedi lors de la Nuit européenne des musées. Une occasion rêvée de découvrir la variété de plus de 1 200 "musées de France" et comment ils ont pu se transformer. Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis vient de publier à ce sujet aux éditions du CNRS " Le musée réinventé". Entretien.
En quoi le musée en France a été réinventé ?
Il y a deux grandes périodes. Au départ, les musées ont été créés pour développer les sciences de la nature, l'esthétique, les sciences de l'art, comme des lieux d'accumulation de collections, à l'attention spécifique d'érudits et de scientifiques. L'idée était de rassembler dans un même lieu des objets ou des spécimens à partir desquelles on pouvait construire de la connaissance. Et ce modèle là a fonctionné jusqu'au milieu du siècle dernier.
Et à partir des années 1960-70, le musée est devenu un espace désuet. Ces fonctions ne se justifiaient plus. La recherche se faisait davantage dans les universités. Et pour les musées de Beaux-Arts, la capacité à produire des images de très bonne qualité faisait que l'on avait plus besoin de se rendre sur les lieux où étaient les tableaux.
Musée tombé en ruines même ! Parce que vous évoquez par exemple le sort alors de la Grande Galerie du Muséum d'Histoire naturelle.
On l'avait même fermée à un moment donné parce qu'il pleuvait dedans ! Et elle est restée fermée 25 ans ! La plupart des musées étaient éclairés par des verrières, qui prennent l'eau si on ne les entretient pas. Et comme à l'intérieur du Muséum il y avait pas mal de pots avec du formol ou de l'alcool, les conservateurs disaient que c'était quasiment une bombe en puissance en cas de court-circuit. Avec un grand risque d'incendie. Mais beaucoup de musées aussi étaient tombés en désuétude. Plus personne ne voulait investir dedans, les scientifiques ne les fréquentaient plus, et le grand public lui-même n'y avait pas sa place finalement. Il était confronté à des alignements d’objets et n'y voyait aucun intérêt.
C'était quand même de belles institutions. Il y avait quand même des trésors de l'Humanité dans les musées de Beaux-Arts, donc on ne les laissait pas mourir. Mais bon, cela ressemblait plutôt à des palais oubliés.
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Quand a eu lieu le sursaut alors ?
C'est dans les années 70-80, dans la mouvance de mai 68, qu'un certain nombre de conservateurs ont commencé à se réveiller. Ils ont affirmé qu'il fallait absolument transformer le musée, le rénover et l'ouvrir au public. Il y avait quand même cette idée que le musée pouvait être un lieu d'éducation populaire, ou d'éducation du public, mais cela venait bien après le souci des collections et de leur agencement dans une perspective scientifique. A partir des années 70, les conservateurs vont se dire : si l'on veut faire venir le public, on ne peut pas simplement ouvrir les portes, il faut revoir l'agencement des salles et globalement, finalement, revoir la fonction de l'institution muséale.
Et l'on peut ajouter que, toujours dans la mouvance de 68, est né quand même une expérience de musée, plutôt tourné vers les cultures populaires et porté entre autres par Georges Henri Rivière, le fondateur du Musée national des arts et traditions populaires à Paris. L'idée était de dire que les cultures populaires issues du monde rural, elles aussi quasiment disparues, méritaient bien d'être conservées. Avec une scénographie tout à fait différente, que Rivière appelait contextuelle : on ne classait plus les outils par catégorie, mais tel que l'on pouvait les trouver dans l'environnement.
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Nouvelle scénographie et nouvelle architecture ?
Effectivement, c'est passé par une transformation même des structures physiques du musée lui-même, et donc de son architecture. Et la première chose est déjà de rendre visible le musée de l'extérieur. L'élément important a été la pyramide du Louvre, où finalement on a mis au milieu de la grande cour ce monument, de façon à ce que depuis n'importe où on puisse voir où était l'entrée. Chaque fois que l'on rénove un musée maintenant, on se pose réellement cette question : où est l'entrée et comment la rendre remarquable, qui va marquer la ville.
L'autre idée importante est que l'on ne pouvait plus faire du musée un lieu d'accumulation des collections. Attention, il faut les garder, parce qu'elles font la légitimité du musée. Parce que les collections sont incessibles, inaltérables, inaliénables, le musée a quelque chose d'exceptionnel dans nos univers où tout disparaît régulièrement. Mais, de plus en plus on ne garde pas les collections au musée. La Grande Galerie du Muséum a innové en creusant un immense hangar de 5 étages pour les enterrer. Maintenant, pour d'autres musées, comme Marseille, ou les musées de Nancy, qui ont tous regroupé leurs collections, on créé un lieu de la réserve du musée. Il n'est pas forcément près du musée. A Marseille, il est dans un autre quartier. Cela libère de la place et LE beau bâtiment qui généralement se trouve en centre-ville, avec de beaux espaces, est réorganisé et consacré à l'accueil du public. Pour les collections permanentes et avec des espaces pour les expositions temporaires qui vont permettre de faire venir et revenir le grand public.
On transforme aussi les musées en monuments en soi ?
C'est vrai. On créé de nouveaux musées aussi, notamment pour l'art contemporain. Et là, on va, je dirai, envelopper ces nouvelles fonctions du musée : fonctions d'accueil, d'exposition, mais aussi tous les ateliers qui sont autour, sans oublier un auditorium. Pour les regrouper, on va inviter le grand ou en tout cas on va faire une sélection parmi les grands architectes mondiaux du moment. Et là, tout commence par Beaubourg. Le premier grand musée que l'on créé comme cela dans Paris : en plein centre, on fait venir deux jeunes architectes qui inventent un bâtiment tout à fait inhabituel. Après, le second grand exemple est peut-être le musée Guggenheim de Bilbao. On y a laissé le soin à Frank Gehry de créer une peau finalement. Avec un geste architectural qui va marquer l'espace, marquer la ville, et qui va devenir symbolique.
C'est pour cela que vous les qualifiez de "nouvelles cathédrales" ?
Pour deux raisons. D'une part, effectivement, parce que, comme la cathédrale au Moyen-âge, on a finalement réorganisé la ville autour d'eux. Et parce qu'ils se démarquent : on voit la cathédrale avant de voir la ville.
D'autre part, il y a quand même une dimension sacrée dans le musée. Avec justement cette idée qu'il repose sur des collections inaltérables, qui viennent du plus loin, et qui seront léguées aux générations futures et ainsi de suite. Et donc cela, dans notre monde marqué par l'accélération, ou par l'obsolescence rapide des objets avant même qu'ils ne soient usés. En plus, les musées avaient été créés, au XIXe siècle, un peu en forme moins de cathédrales, mais souvent de temples grecs.
Alors qu'ils se transforment selon vous en média ?
Un média d'abord de masse parce que l'on compte les visiteurs en dizaines, centaines et millions de personnes. Mais aussi parce que la presse en parle, ou la télévision. Et même les gens qui ne vont pas au musée savent qu'il y a telle grande exposition à tel endroit, à tel moment.
Et cela devient un média particulier parce que l'on y pénètre, et qu'il y a des choses à dire sur ce qui est exposé. Donc il y a tout un débat maintenant pour essayer de savoir qu'est-ce que l'on doit dire ? Comment le dire, dans le musée ?
Développe-t-on une vision très érudite de chacun des objets ou au contraire on essaie de tenir un discours général sur le projet de l'exposition ? L'exposition est un discours, et on organise les objets en parcours. L'autre possibilité désormais est que l'on visite le musée un peu comme on feuillette un magazine, avec toute une série d'ensembles muséographiques. Au Muséum d'Histoire naturelle, je pense par exemple au milieu pélagique, avec donc un ensemble qui représente les poissons dans la grande eau. Un peu plus loin, vous avez les animaux qui vivent dans le sable. Plus loin encore, les grands poissons de l'océan, etc.
Il y a plutôt une dizaine d'années, on entrait par un côté et on sortait par un autre, comme si on lisait un roman. Sans pouvoir sans échapper.
Et puis des musées continuent à décliner la connaissance en tenant le public à distance par rapport au savoir qu'ils sont censés incarner.
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Mais pour la majorité des musées, la médiation est devenue essentielle ?
Tout à fait. Au sens large, pour ce qui est finalement le souci du public. Pour le faire venir, et revenir. Et la médiation n'est pas seulement de créer un médiateur qui fait l'interface entre l'oeuvre et le public. La médiation est une réflexion globale sur le rapport du musée à son public, et réciproquement. Ce sont aussi tous les ateliers organisés pour les enfants et toutes sortes d'activités et d'événements liés au musée.
Jusqu'à ce qu'à Rouen le public ne vote fin 2016 sur les oeuvres à exposer.
C'est un peu tout le débat entre les experts et le public. Est-ce que les experts, les conservateurs, les curateurs, décident finalement en fonction de ce qui se fait de mieux dans leur propre milieu ? Ou prennent-ils aussi en considération le grand public ? Et vouloir absolument le prendre en considération, c'est faire venir des grandes masses de public et faire aussi ce que l'on appelle des expositions blockbuster pour attirer les foules, quitte à négliger le contenu.
Qui finalement peut avoir son mot à dire sur ce qui est contenu dans les musées ? Le rapport est un peu compliqué. Il faut trouver je pense un équilibre, pour éviter par exemple de transformer les grandes expositions en parcs d'attractions.
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