Policiers hors-la-loi glorifiés, criminels passés à tabac, les séries policières dépeignent une société ultra-violente où le racisme institutionnel et la violation des droits sont banalisés. Et si on portait un nouveau regard sur nos fictions préférées ?
Sensationnelles, spectaculaires, les séries policières nous conditionnent aussi à accepter les violences policières.
Essimi Mevegue, journaliste, critique de cinéma : "Les séries policières américaines sont par nature très sécuritaires. On n’aborde pas souvent les violences policières, ni la question raciale, ni les défaillances judiciaires liées à la race. On reste souvent sur des crimes de sang et des deals de drogue, des faits divers classiques."
Omniprésentes, les séries policières représentaient 60% des séries en prime time à la télévision en 2019. Selon un rapport de Color of Change, association de défense des droits civiques, les séries policières américaines banalisent le racisme institutionnel et la violation des droits. Les policiers hors-la-loi y sont glorifiés et leur comportement jamais sanctionné. L’étude statistique a été menée sur 353 épisodes de 26 séries policières américaines actuelles.
Emmanuelle Delanoë-Brun , maîtresse de conférences en études visuelles : "C’est rentré dans notre imaginaire de ce que c’est que l’action policière en général. Le criminel est forcément un type extrêmement violent et donc à son endroit on peut être violent. Cela finit par justifier, de façon sournoise, un fonctionnement de la police qui est fondé sur l’usage des armes, l’usage d’une violence illégitime."
Des méthodes brutales justifiées dans le récit
Violences sur des suspects, méthodes brutales, intimidations, profilage racial, vocabulaire injurieux, tous ces comportements apparaissent dans les séries comme acceptables. Sur 453 comportements hors-la-loi recensés dans les épisodes étudiés, seuls 13 donnent lieu à une enquête.
Le cop show a une longue tradition de promotion des forces de l’ordre qui remonte à Dragnet, la première série policière dans les années 1950.
Emmanuelle Delanoë-Brun : “C’est une série qui va d’emblée se constituer avec le concours des forces policières, qui s’appuie sur des témoignages policiers avec des consultants policiers. Et donc qui va faire naître cette idée que les séries policières s’ancrent dans la réalité, donc ce qu’elles racontent, c’est vrai. Ce qu’elles racontent, c’est une police très efficace, au service du citoyen. C’est un message adressé à une Amérique middle-class. C’est un message très conservateur.”
Contrairement aux idées reçues, la majorité des séries actuelles ne représentent pas un schéma policiers blancs/criminels noirs.
Emmanuelle Delanoë-Brun : “Dès les années 1970, vous avez un certain nombre de personnages noirs qui apparaissent dans les séries policières et qui vont faire valoir un récit d’intégration. C’est un discours idéal qui vous dit : 'Vous voyez, on n’est pas raciste, regardez notre police, elle est très diversifiée'. Dans les équipes policières, vous avez beaucoup de personnages noirs, chez les coupables, vous en avez très peu. C’est le discours progressiste idéal que développent les séries policières américaines.”
Selon le rapport, la majorité des séries n’abordent pas la question des inégalités raciales et nient que les Noirs puissent être victimes d’injustice.
Dans les séries, les victimes des crimes sont d’ailleurs plus souvent blanches. Selon l’étude, 35 % des victimes de crime sont des hommes blancs et 12 % des hommes noirs.
Cette glorification de la violence policière s’accompagne d’un regard négatif sur la justice. Par exemple, dans la série Law & order, l’avocat de la défense est présenté comme celui qui remet les criminels dans la nature et entrave l’action des policiers plutôt que celui qui défend les droits des innocents.
Selon le rapport, les biais de représentation viennent aussi du manque de diversité chez les auteurs de séries. L’étude rapporte que 81% des auteurs de séries analysées sont blancs. Pourtant, certaines séries ont tenté une autre approche de l’institution policière, comme The Wire (HBO) avec son approche documentaire et anti-spectaculaire, ou la série Dans leur regard (Netflix) qui retrace une erreur judiciaire.
Essimi Mevegue : “Il doit y avoir une réflexion des dirigeants des chaînes de télévision et de plateformes. Ces dernières ont plus de liberté à aborder ce changement, ces injustices et ces défaillances du système judiciaire. Il y a plus de liberté pour les showrunners lors de l’écriture, ils ne sont pas soumis à l’audience qu’ont les chaînes de télévision. Dans le contexte actuel de dénonciations de violences policières, je pense que dans les années à venir, cela évoluera de manière positive.”