Comment lire la carte à un milliard d'étoiles de la mission Gaia

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Comment lire la carte à un milliard d'étoiles de la mission Gaia

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Mission Gaïa : seconde carte du ciel
Mission Gaïa : seconde carte du ciel
- ESA/Gaia/DPAC

Entretien. Une seconde carte de notre galaxie comptant plus d'un milliard d'étoiles, la plus précise jamais publiée, vient d'être dévoilée dans le cadre de la mission spatiale européenne Gaia. Elle peut sembler nébuleuse pour les néophytes. Lecture d'image avec l'astrophysicien Olivier La Marle.

En 2016, 1,15 milliard d'étoiles avaient été cartographiées grâce aux mesures effectuées par les deux télescopes du satellite Gaia. Celui-ci a été mis en orbite le 19 décembre 2013 par une fusée Soyouz lancée depuis la Guyane, dans le cadre de la mission Gaia, orchestrée par l'Agence Spatiale Européenne (ESA). 22 mois plus tard, le second volume de ce catalogue vient de sortir et a porté ce chiffre à 1,7 milliards d'étoiles cataloguées. Cette carte de notre galaxie, la Voie Lactée, est la plus précise jamais publiée. Et même si elle ne représente que 1% des étoiles de notre voûte céleste, c'est incomparable avec la précédente carte. Elle avait été dressée par le satellite Hipparcos entre 1989 et 1993, et recensait 118 000 étoiles. Sans compter que ce catalogue devrait encore s'enrichir, la mission Gaia n'en étant qu'à ses prémices.

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A l'occasion de la sortie de la première carte, Olivier Joie-La Marle, responsable du thème astrophysique au Centre national d'études spatiales (CNES), nous avait aidé à la décrypter. Entretien.

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Que représente exactement cette image ?

"Il s'agit d'une projection de la galaxie : ce qu’a vu le satellite Gaia avec ses deux télescopes. C’est du 360° ! Gaia regarde dans toutes les directions, donc il faut imaginer qu’on est au milieu d’une sphère et qu'on regarde toute la voûte céleste de nuit, sauf que Gaia voit aussi l’hémisphère sud. Pour pouvoir afficher la carte sur un écran, on a ouvert cette sphère, on l’a étalée en deux dimensions. Il faut imaginer que si on faisait se rejoindre le bord gauche et le bord droit, le haut et le bas, ça ferait une boule. Attention, ce n'est pas une photo ! C'est une reconstitution, d’après les données de Gaia, de la densité d’étoiles. À chaque pixel est associé un nombre d'étoiles. Je n’ai pas malheureusement l’échelle pour dire "le blanc, c’est tant d’étoiles par pixel, le noir, c’est tant d’étoiles", mais c’est l’idée. Le blanc, c’est certainement des centaines de milliers d’étoiles par pixel. Ce qu’on retrace sur cette carte ce n’est pas la position des étoiles, ce serait illisible : elles sont tellement juxtaposées qu’on ne pourrait rien voir à l’écran. Donc ce qu’on a simplement représenté, c’est la densité."

À découvrir : Depuis l’époque de la mission Hipparcos, des animations existent sur le site de l’ESA : Star Mapper. Un énorme zoom permet de voir les étoiles distinctes les unes des autres.

Quel est cette ligne horizontale noire et vaporeuse, au milieu de la carte ?

"Ce sont des nuages de poussière et de gaz, au centre de la galaxie. Notre galaxie, on la voit par la tranche, puisqu’on est dedans. C’est une sorte de disque dans lequel on se situe, quelque part un peu en banlieue (on n’est pas au centre). Et donc l’image que voit Gaia, qui est très proche de nous à l’échelle de la galaxie, est la même que celle que nous voyons. La nuit, quand on regarde le ciel, on voit une grande bande laiteuse, qui est le disque de notre galaxie. Et au centre, on voit ces espèces de volutes noires, un peu comme des nuages de fumée. Ces nuages denses forment un écran de fumée qui nous cache les très nombreuses étoiles qu’il y a derrière, ce qui explique que ces zones nous apparaissent sombres."

Pourquoi le centre de la sphère est-il particulièrement lumineux ?

"Le centre de la sphère, c’est le centre de la galaxie. C’est là où il y a la plus grosse densité d’étoiles. C’est donc de là que vient la plus forte luminosité. On voit une sorte de boule. Le centre de la galaxie n’est pas une boule, ce serait plutôt une grosse barre, mais nous la voyons en projection, en deux dimensions…"

Quelles sont ces zones circulaires dans lesquelles apparaissent des stries ?

"Cela n’a rien de physique et ne correspond pas du tout à la réalité. Ça témoigne simplement de la façon dont Gaia effectue son relevé. Dans les futures images, ces réseaux vont progressivement disparaître. Gaia tourne sur lui-même et effectue un relevé. Le champ de ses deux télescopes, de l’ordre de un degré, peut-être un peu moins, balaye le ciel. Les télescopes regardent à peu près chacun à 106° d’écart l’un de l’autre, donc un peu plus qu’un angle droit. À chaque tour sur lui-même, Gaia se décale un petit peu. Pour l’instant, il n’a pas encore bien croisé tous ses passages, et c’est ce qui fait apparaître ces effets de stries. Certains endroits ont été mieux couverts que d’autres, alors ils sont bien lisses, et il y a des zones avec des formes de haricots, où Gaia est passé moins souvent. C’est un peu un effet de pixellisation si vous voulez…"

"Il faut imaginer le champ de vue de ces télescopes comme un pinceau qui peindrait la galaxie. Si vous êtes en train de repeindre un plafond, vous mettez un coup de pinceau, puis un autre coup de pinceau à côté, etc. Il va apparaître des sortes de rayures. Plus tard vous allez refaire des coups de pinceau croisés, pour estomper ces effets de rayures."

Qu'est-ce que ces deux gros points lumineux, visibles en bas à droite ?

"Ce sont des galaxies extérieures. On dit que Gaïa sonde la Voie Lactée, mais il sonde même au-delà. Ce sont des galaxies qui sont à des distances bien supérieures aux étoiles. Typiquement, ces deux objets s’appellent les Nuages de Magellan. Ils sont visibles avec des télescopes depuis l’hémisphère sud de la Terre. Ce sont deux petites galaxies qui sont en orbite autour de la nôtre. On appelle ça des "galaxies satellites" de notre grosse galaxie. Il y en a beaucoup d’autres mais celles-là sont assez bien connues. Gaia arrive même à distinguer les étoiles dans ces galaxies extérieures...

Sur la carte annotée, ces points blancs ne sont pas des étoiles, mais des galaxies plus où moins proches de la notre.
Sur la carte annotée, ces points blancs ne sont pas des étoiles, mais des galaxies plus où moins proches de la notre.
- ESA/Gaia/DPAC

C'est assez compliqué de dire à quelle distance Gaia peut sonder... C’est très dépendant de ce qu’on demande comme précision. Pour ce satellite, c’est 10 kiloparsec [le parsec est une unité de longueur utilisée en astronomie NDLR], ça veut dire à peu près 30 000 années-lumière, c’est un peu plus loin que le centre de la galaxie. Donc on va sonder la moitié de la galaxie avec 10% de précision sur la mesure des distances. Mais Gaia va voir quelques-unes des étoiles les plus lointaines, au fin fond de la galaxie. Il va également mesurer les positions et les distances, mais avec une précision moindre… Il va même voir des galaxies très lointaines, à des distances dites cosmologiques, où interviennent des affaires d’expansion de l’univers… Ce sont des quasars, qui sont des galaxies très lumineuses, que l’on voit bien, même si elles sont très lointaines, mais qui nous apparaissent comme des points. On a une carte de ces quasars, 250 000 sur le ciel… là on est sur des distances… on ne parle plus en années-lumière, mais en portions de l’univers !"

La mission Gaia se poursuit, et ce nouveau catalogue est appelé à s'étoffer : "Ce qui est révélé cette semaine est à la fois énorme, et à la fois un petit apéritif de ce qui va suivre", s'enthousiasme Olivier Joie-La Marle. Son objectif ? Appréhender toute la structure de la galaxie, en déterminant la position des étoiles dans l'espace, leur mouvement, leur vitesse en 3D, la mesure de leur couleur, leur métallicité (grâce à laquelle on connaîtra leur âge)... Gaia s'attachera aussi à détecter et trajectographier les exoplanètes. Une mission qui enrichira nos connaissances sur la formation de la Voie Lactée et qui, à terme, permettra certainement le recensement de plus de deux milliards d'étoiles : "L'objectif initial était de un milliard d'étoiles, mais le satellite marche tellement bien qu'on va certainement le doubler."

> Pour écouter l'entretien dans son intégralité :

L'astrophysicien Olivier La Marle explique comment lire la carte de la mission Gaia

10 min

Durée : 10 min

> Pour aller plus loin : Pourquoi certaines étoiles échappent-elles au balayage des télescopes ? Comment sait-on que la Voie Lactée compte entre 100 et 200 milliards d'étoiles ? Quelle sera la suite de la mission Gaia ? L'astrophysicien répond à ces questions dans la suite de l'entretien :

Olivier La Marle sur la mission Gaia et ses perspectives

16 min

Durée : 17 min