Comprendre la guerre au Yémen en dix dates

Publicité

Comprendre la guerre au Yémen en dix dates

Par
27 septembre 2018 : des enfants yéménites armés avec leurs pères lors d'un rassemblement à Sanaa en soutien au mouvement chiite houthi contre l'intervention menée par les Saoudiens dans la capitale.
27 septembre 2018 : des enfants yéménites armés avec leurs pères lors d'un rassemblement à Sanaa en soutien au mouvement chiite houthi contre l'intervention menée par les Saoudiens dans la capitale.
© AFP - Mohammed Huwais

Quatre ans après le début de la guerre entre des rebelles yéménites chiites Houtis et une coalition de pays arabes menée par l'Arabie saoudite, le conflit s'enlise. Malgré les efforts de l'ONU. Le pays s'enfonce dans le chaos, avec plus de 10 000 tués depuis 2015. Comment en est-on arrivé là ?

La guerre actuelle au Yémen était au départ un conflit tribal et confessionnel interne à ce jeune pays, créé en 1990. Mais désormais, l'enjeu est régional et implique deux puissances voisines : l'Arabie saoudite et l'Iran. Au milieu, le pays le plus pauvre de la péninsule arabique sert de champ de bataille et la population sombre dans la violence, la faim et les maladies, en particulier le choléra. Avec plus de 10 000 tués depuis 2015, plus de 60 000 blessés et déjà 3,4 millions de déplacés, selon un bilan partiel de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Des ONG estiment que le nombre de morts est nettement plus élevé, certaines citant un bilan cinq fois supérieur.

En décembre 2018, une trêve des combats a été décrétée, grâce à l'accord de Stockholm, pour la province d'Hodeida, port vital du pays sur la Mer Rouge. Mais des combats se poursuivent et il y a encore quelques jours, la Haut-Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU a dénoncé le lourd tribut payé chaque jour par les enfants : "Depuis l'accord de Stockholm du 13 décembre, on estime que huit enfants sont tués ou blessés quotidiennement au Yémen", a déclaré Michelle Bachelet. Quelque 80% de la population, soit 24 millions de personnes, ont besoin d'assistance, d'après l'ONU. Les 2/3 des régions du pays sont en situation de pré famine.

Publicité

Et il y a déjà près d'un an, lors d' une conférence de donateurs, le secrétaire-général de l'ONU, Antonio Guterres, avait insisté sur le fait que le Yémen connaissait "actuellement la pire crise humanitaire dans le monde" et que l'ONU avait besoin, pour ses programmes d'urgence dans ce pays, de 2,4 milliards d'euros. Retour sur les moments importants qui ont structuré le conflit.

2004 : la rébellion des chiites de Saada

Dans le nord du pays, dans le gouvernorat de Saada, à la frontière avec l'Arabie saoudite, les chiites zaydites entrent en conflit avec le pouvoir central de Sanaa. Le Yémen est majoritairement sunnite, mais compte une forte minorité chiite : 40% de la population. Ces derniers estiment être mis à l'écart de la vie politique et économique du pays. S'en suivent des manifestations et des heurts avec le pouvoir central qui dénonce une rébellion. La police tue des dizaines de contestataires et en arrête des centaines.

Le meneur de la contestation, Hussein Badreddine al-Houthi, qui donne son nom aux rebelles ("houthistes"), est tué en septembre 2004 par les autorités. A cette date, le conflit connaît une inexorable escalade dans la violence.

2009 : le conflit prend une dimension régionale

En cinq ans, les rebelles ont gagné du terrain, notamment le long de la frontière avec l'Arabie saoudite où le face à face avec l'armée saoudienne fait plusieurs morts de part et d'autre. L'armée saoudienne effectue ses premières frappes aériennes. Par ailleurs, l'Iran est soupçonné de participer au conflit en fournissant des armes aux rebelles.

Un membre des forces loyalistes à Taëz, troisième ville du Yémen.
Un membre des forces loyalistes à Taëz, troisième ville du Yémen.
© AFP - Abdulnasser Alseddik / ANADOLU AGENCY

2011 : la chute du président Saleh

Dans la foulée du printemps arabe en Tunisie et en Egypte, le Yémen connaît une série de manifestations populaires qui démarrent au début de l'année 2011. Les rebelles houthistes se joignent à la contestation lancée par des étudiants.

Malgré les annonces du président Ali Abdallah Saleh concernant l'organisation anticipée d'élections et une révision de la Constitution, les manifestations ne faiblissent pas et se terminent souvent par une répression sanglante. Il faut l'intervention des Etats-Unis et des pays du Golfe pour négocier le départ du président Saleh. Ce dernier accepte de céder le pouvoir dans le cadre d'un accord de transition. Début 2012, le vice-président Abd-Rabbo Mansour Hadi prend la tête du pays puis remporte les élections organisées dans la foulée.

Pendant cette période, Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) profite du chaos pour étendre son influence territoriale.

Manifestation contre le Président Ali Abdallah Saleh en décembre 2011 à Sanaa. Avec pour slogan "exécution"
Manifestation contre le Président Ali Abdallah Saleh en décembre 2011 à Sanaa. Avec pour slogan "exécution"
© AFP - Mohammed Huwais

2014 : les Houthistes rejettent le projet de Fédération

En janvier, l'instance chargée du dialogue national préconise de transformer le pays en Etat fédéral composé de six provinces. Le projet prévoit que le gouvernorat de Saada, fief des rebelles chiites, soit intégré à un territoire plus vaste au sud. Mais les Houthistes refusent : ils demandaient une région qui leur soit propre et un accès à la mer.

Dès l'été 2014, les rebelles reprennent leur offensive et étendent leur influence. En septembre, ils entrent dans la capitale Sanaa. En janvier 2015, ils assiègent le palais présidentiel. En mars, ils contrôlent Taëz, plus au sud. La troisième ville du pays.

2015 : intervention de la coalition arabe

La situation en juin 2015
La situation en juin 2015
© Visactu

En mars 2015, le président Hadi fuit Aden, où il avait trouvé refuge après le siège du palais présidentiel de Sanaa. Il rejoint l'Arabie Saoudite. Dans la nuit du 25 au 26 mars, l'armée saoudienne, à la tête d'une coalition arabe soutenue par les Etats-Unis, bombarde le palais présidentiel déserté, l'aéroport international, une base militaire et le bureau politique des rebelles. Le président iranien condamne une "agression militaire" et une "démarche dangereuse".

Du Grain à moudre

Mars 2017 : les ravages d'une "guerre oubliée"

Saida Ahmad Baghili, le visage de cette guerre oubliée, aux conséquences dramatiques
Saida Ahmad Baghili, le visage de cette guerre oubliée, aux conséquences dramatiques
© AFP - Stringer

Après deux ans de bombardements et de combats, l'ONU estime que le conflit a causé la mort de près de 7 700 personnes, principalement des civils, et a fait plus de 40 000 blessées.

La communauté internationale s'inquiète aussi du nombre de bavures ou d'attaques intentionnelles de la part de la coalition contre des civils. Fin 2015, au moins 131 personnes, dont des femmes et des enfants, sont tuées dans le bombardement d'une salle où était célébré un mariage. En octobre 2016, c'est une cérémonie funéraire qui est visée. Bilan : plus de 140 morts.

Par ailleurs, l'ONU pointe le risque de famine. Selon l'organisation, 14 millions de personnes souffrent d'insécurité alimentaire, dont sept millions d'insécurité alimentaire sévère. Dans certains gouvernorats, 70% de la population lutte pour se nourrir. Les enfants sont particulièrement touchés.

Action contre la faim, Handicap international, Médecins du Monde, Première Urgence internationale, Solidarités international, et CARE évoquent " l'une des plus graves crises humanitaires au monde". Précisions de Bénédicte Robin, le 23 mars 2017 :

Des ONG alertent sur la situation au Yémen

1 min

Les Enjeux internationaux
9 min

Fin 2017 : la mort de l'ancien président Ali Abdallah Saleh

Après son départ du pouvoir, le président Saleh est revenu sur le devant de la scène yéménite en 2015 en rejoignant les rebelles houthistes pour reprendre le pouvoir. Cette alliance va durer deux ans : le 2 décembre 2017, l'ancien président a, de manière spectaculaire, décidé de se rapprocher du camp saoudien pour obtenir une levée du blocus à l'origine de la situation humanitaire désastreuse. Ce revirement est dénoncé comme une trahison par les houthistes qui sont engagés dans des combats avec des partisans d'Ali Abdallah Saleh. Le 4 décembre, des militants houthistes ont fait circuler sur les réseaux sociaux des images du cadavre de l'ex président. Sa mort a été confirmée par des cadres de son propre parti. 

Avril 2018 : l'ONU presse l'Arabie saoudite de trouver une issue à cette "guerre stupide"

10 000 morts, 53 000 blessés, et 22,2 millions d'habitants qui dépendent de l'aide humanitaire. Le bilan après trois ans de conflit est dramatique. "Il n'y a pas de solution humanitaire à des problèmes humanitaires" a dit le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres lors d'une rencontre avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Celui-ci venait de remettre un chèque 930 millions de dollars pour financer le programme de l'ONU en faveur du Yémen. "Pour mettre un terme à la souffrance au Yémen" a expliqué le secrétaire général de l'ONU "la solution est politique et nous sommes à votre disposition pour travailler afin de trouver une solution".

Antonio Guterres et le principe héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Le 27 mars 2018 à l'ONU.
Antonio Guterres et le principe héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Le 27 mars 2018 à l'ONU.
© AFP - BRYAN R. SMITH

Décembre 2018 : l'accord de Stockholm

Sous l'égide de l'ONU, et après des appels à la fin des hostilités de Donald Trump, Emmanuel Macron, Theresa May, ou Angela Merkel, les différentes parties réunies à Stockholm du 6 au 13 décembre aboutissent à un accord. Le texte est adopté à l'unanimité en vue d'une trêve à Hodeida, principal point d'entrée de l'aide humanitaire internationale, et dans sa région. Une mission d'observation de l'ONU sur place est aussi décidée, composée à terme de 75 membres. De quoi enfin faire naître un espoir, également alimenté par la pression internationale exercée sur l'Arabie saoudite, sur la défensive après l'assassinat en octobre en Turquie du journaliste et opposant saoudien Jamal Khashoggi par un commando venu de Ryad. L'affaire a considérablement terni l'image du royaume. Ainsi que des polémiques sur les ventes d'armes, impliquant notamment la France (3ème fournisseur d'armes de l'Arabie saoudite), et la mise en danger des populations civiles.

L'accord de Stockholm vu depuis Sanaa. Reportage d'Omar Ouahmane

1 min

4 ans après le début du conflit, "personne n'a véritablement envie de s'asseoir à une table" 

En cette fin mars 2019, le conflit semble gelé, les lignes de front ne bougent plus, la capitale Sanaa restant contrôlée par les rebelles chiites Houthis. La trêve tient à peine à Hodeida, une employée yéménite d'Action contre la Faim y a par exemple été tuée par des éclats d'obus début mars, un échange de prisonniers agréé il y a des mois ne s'est pas concrétisé, un désengagement des belligérants prévu à Taëz, une grande ville du sud-ouest du pays, semble bien lointain, et les observateurs de l'ONU ne sont pas aussi nombreux que prévu. Une impasse explique François Frison-Roche, spécialiste du Yémen au CNRS :

Personne n'a véritablement envie de s'asseoir à une table. Les Houtis sont certainement capables de tenir encore un certain temps, pas très longtemps car les stocks d'armes doivent s'épuiser. Mais ils sont en position de force et ils le savent. Les Saoudiens auraient certainement envie de se débarrasser du problème yéménite mais ils ne veulent pas subir un affront supplémentaire par une forme de défaite militaire ou des négociations qui les forceraient à reconnaître une forme d'échec. Ils sont partagés entre cette volonté de sortir de ce conflit qui finit par leur coûter cher, financièrement et en image de marque internationale, et le fait de ne pas tolérer pour leur image régionale de donner l'impression qu'ils s'affaiblissent en négociant.

Les Nations unies devraient toutefois présenter au gouvernement yéménite et aux rebelles Houthis un nouveau plan pour le retrait des combattants de la ville de Hodeida, a déclaré le 19 mars le médiateur de l'ONU pour le Yémen Martin Griffiths. Le principe de ce redéploiement avait été approuvé dans le cadre de la trêve de Stockholm. M. Griffiths a déclaré qu'il espérait une "rapide validation du plan" et s'est montré confiant qu'un accord mènerait à un règlement politique de la guerre. 

Fin février, le secrétaire général des Nations unies réclamait plus de 4 milliards de dollars pour l'aide humanitaire au Yémen en 2019, tandis que des humanitaires accédaient pour la première fois en six mois à des entrepôts de céréales dans l'ouest du pays. En attendant, le choléra poursuit ses ravages :

Infographie publiée le 26 mars 2019
Infographie publiée le 26 mars 2019
© Visactu