COP24 : comment va la planète, trois ans après l'accord de Paris ?

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COP24 : comment va la planète, trois ans après l'accord de Paris ?

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La COP 24 se tiendra à Katowice en Pologne, un pays qui tire 80% son électricité du charbon
La COP 24 se tiendra à Katowice en Pologne, un pays qui tire 80% son électricité du charbon
© Getty -

Alors que va s'ouvrir la COP24, à Katowice en Pologne, qu'en est-il des promesses formulées lors de la COP21 ? Les engagements en matière de réductions des gaz à effet de serre sont-ils en passe d'être respectés, deux ans avant l'entrée en vigueur effective de l'accord de Paris ?

"L'accord est adopté". C'est par cette phrase et sous des applaudissements nourris que Laurent Fabius, président de la COP21, concluait en décembre 2015 les longues heures de tractations pour parvenir à arracher l'adoption par 195 pays de l' accord de Paris. Parmi les "acquis importants" soulignés par Laurent Fabius, l'objectif central de l'accord consiste à contenir l' augmentation de la température moyenne en deçà de 2 degrés, tout en s'efforçant de limiter cette augmentation à 1,5 degré d'ici la fin du siècle. 

Trois ans après la COP21 et alors que va s'ouvrir le 2 décembre prochain à Katowice la COP24, " les engagements pris à Paris ne sont pas tenus" selon Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies. Le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ( GIEC), publié en octobre 2018, a démontré les limites de l'accord de Paris : les émissions de gaz à effet de serre sont de nouveau en hausse après une période de stagnation et les financements des engagements pris lors de la COP21 ne sont pas au rendez-vous. 

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L'accord de Paris est-il caduc ?

Pour les experts du climat, les conclusions du rapport du GIEC ne sont pas une surprise. "On savait que les engagements pris par les Etats lors de la COP21 n’étaient pas suffisants pour atteindre la trajectoire des 2 degrés, se souvient François-Marie Bréon, chercheur en climatologie et directeur adjoint du laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). Le dernier rapport du Giec l’a clairement expliqué." Le point central de l'accord de Paris vise à limiter le réchauffement climatique à 2 degrés, voire à 1,5 degré. Pour atteindre cet objectif, les 195 pays signataires ont soumis leurs contributions nationales portant sur les efforts à faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, ces estimations sont loin d'être réalistes selon le rapport du Giec, commenté par Emilie Both, en charge des questions climatiques au sein de l’ONG Oxfam France : "Lorsque l'on agrège ces contributions, on arrive à un réchauffement global de 3 degrés d’ici la fin du siècle. Il est donc absolument indispensable de revoir ces engagements à la hausse très rapidement. Si rien n’est fait, ce seuil de 1,5 degré sera dépassé dès 2030. Il faut donc se saisir de cette question lors de la COP24." L'accord de Paris prévoit également que les Etats mettent à jour leurs contributions d'ici 2020. La COP24 "doit donc permettre d'enclencher les premiers signaux positifs pour que l'ensemble de ces contributions soient revues à la hausse", affirme Emilie Both. 

Théoriquement, les objectifs fixés lors de la COP21 peuvent encore être atteints selon Valérie Masson-Delmotte, climatologue au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et coprésidente du groupe de travail sur les sciences du climat du GIEC : "D'un point de vue du fonctionnement du climat, il n'est pas impossible de contenir le réchauffement de la planète, même à 1,5 degré. Cela étant, ça demande des transitions sans précédent historique. Cela demanderait d'agir extrêmement vite. Il faudrait que les émissions mondiales de dioxyde de carbone baissent de moitié d'ici 2030. Notre rapport montre que les solutions technologiques sont là. Il y a des leviers d'action à tous les niveaux de la société, que ce soit du côté des Etats, des collectivités, des entreprises ou des citoyens. Mais on montre également qu'il y a des barrières. Il y a donc un enjeu de gouvernance, de sorte à permettre que ces solutions soient déployées le plus rapidement possible."

Hausse des émissions de gaz à effet de serre

L'une des ambitions majeures de l' accord de Paris consiste à atteindre "un pic des émissions de gaz à effet de serre dès que possible". Autrement dit, il s'agit de plafonner ces émissions avant de les réduire. Cette trajectoire est loin d'être respectée, au grand dam de François-Marie Bréon : "Les émissions de gaz à effet de serre avaient plutôt stagné entre 2015 et 2016. C’était un signe d’espoir. Mais en 2017, elles sont reparties à la hausse. C’est inquiétant. Il semblerait que rien ne change. Il n’y a pas eu la décroissance que l’on attendait après les accords de Paris." Selon les données publiées par la société d'informations et de conseils Enerdata, les émissions de dioxyde de carbone (CO2) du G20 (80% des émissions de gaz à effet de serre de la planète) ont augmenté de 2% en 2017 après avoir stagné pendant trois ans. Dans le détail, la Russie (+ 4,8%) et l'Inde (+ 3,9%) font partie des mauvais élèves. De son côté, l'Europe a vu ses émissions de gaz à effet de serre augmenter de plus de 2% en 2017. 

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Le dernier rapport de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), publié en novembre 2018, est également alarmant. Il indique qu'en 2017, le CO2 a atteint 405,5 ppm (nombre de molécules du gaz à effet de serre considéré par millions de molécules d'air), contre 403,3 ppm en 2016 et 400,1 ppm en 2015. "La science est claire : sans la réduction rapide du CO2 et des autres gaz à effet de serre, le changement climatique aura de plus en plus d'impacts destructeurs et irréversibles sur la vie sur Terre", a commenté Petteri Taalas, le secrétaire général de l'OMM. Petteri Taalas a également précisé que "la dernière fois que la planète avait subi la même concentration en CO2 c'était il y a 3-5 millions d'années, quand la température était de 2-3°C plus élevée et le niveau de la mer de dix à vingt mètres plus haut que maintenant".

En affinant l'analyse des émissions de gaz à effet de serre, on observe que, malgré le discours climato-sceptique de Donald Trump et en dépit de la volonté présidentielle de relancer l'exploitation du charbon, les Etats-Unis "ont diminué de manière assez forte leurs émissions en 2014, 2015 et 2016 avant de stagner en 2017", selon François-Marie Bréon. Le climatologue précise également que "parmi les gros émetteurs que sont l’Europe, la Chine et les Etats-Unis, les meilleurs élèves sont les Américains parce qu’ils effectuent ces dernières années une transition du charbon vers le gaz, ce qui pèse moins sur leurs émissions." Du côté de la France, selon Eurostat, les émissions de CO2 ont augmenté de 3,2% en 2017 par rapport à l'année précédente. La moyenne de l'ensemble des pays de l'Union Européenne s'établit à + 1,8%. 

Ces hausses d'émissions de gaz à effet de serre peuvent s'expliquer en partie par l'augmentation de la consommation de charbon. "_On est dans une phase d’explosion du charbon et c’est dramatique__,_ soupire Jean-Baptiste Fressoz, historien spécialiste du climat au CNRS. Il y a eu une explosion du charbon en Chine. Les mesures pour réduire les émissions de CO2 dues au charbon ne réussissent pas vraiment. Et puis, toutes ces techniques, tous ces brevets liés au charbon, il faut bien les utiliser. Donc les entreprises chinoises deviennent les fers de lance du développement du charbon pour tout le reste de l’Asie : au Pakistan, au Vietnam, etc." Selon les données recueillies par Enerdata, après trois années de déclin, la consommation mondiale de charbon est repartie à la hausse de +1% en 2017. Bien que l'Union Européenne voit sa consommation baisser, notamment en Allemagne (-6,2%) et au Royaume-Uni (-20%), l'utilisation des centrales à charbon explose en Russie (+7,5%) et en Inde (+3%).

Le constat de l’urgence climatique est partagé. Mais les actions mises en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas à la hauteur. Cela me désespère.                                  
François-Marie Bréon, chercheur en climatologie.

La solidarité Nord-Sud à la peine

Lors de la COP21, les Etats développés ont réaffirmé la promesse faite en 2009 qui consistait à débourser 100 milliards de dollars par an à destination des pays "vulnérables". Cette aide doit permettre aux Etats en voie de développement de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de s'adapter aux impacts déjà concrets du changement climatique. Ce financement doit être opérationnel en 2020 mais d'après les premières estimations, la somme est loin d'être atteinte. "Sur la dernière période de comptabilisation des financements, celle de 2015-2016, les Etats développés ont reporté 48 milliards de dollars par an en moyenne de financements publics, s'alarme Emilie Both de l'ONG Oxfam France. On est donc bien loin des 100 milliards. Et surtout, sur ces 48 milliards de dollars, on estime que le financement net de l’action climatique censé revenir aux pays en voie de développement est bien moindre. Cela est dû notamment à des effets de surestimations des montants." Une nouvelle évaluation des financements sera rendue publique juste avant le début de la COP24, mais d'après Emilie Both, "on sait déjà que l’on sera encore loin des 100 milliards de dollars". Si cette promesse n'est pas tenue à l'horizon 2020, les populations les plus vulnérables "ne pourront pas avoir accès à une énergie propre, soutenable et durable, argumente Lucile Dufour, responsable des politiques internationales au sein de l’ONG Réseau Action Climat. Les populations vont donc avoir recours à des énergies fossiles responsables des changements climatiques comme le charbon. Et puis ce manque de financements va être un frein à l’adaptation de ces populations, notamment concernant leurs pratiques agricoles pour faire face aux sécheresses ou aux inondations.

Les 100 milliards de dollars ont également pour objectif d'instaurer un climat de confiance entre les pays du Nord et ceux du Sud. Le déblocage de la totalité de ces fonds serait, selon Emilie Both, "un gage de solidarité envers ces pays vulnérables qui subissent le plus les changements climatiques alors qu’ils ont moins contribué au problème que les pays du Nord et qu’ils ont moins de ressources pour y faire face." La question des financements sera donc au centre des discussions lors de la COP24, d'autant que "la COP22 et la COP23 n’ont pas permis de réelles avancées sur cette question puisqu’il n’y a pas eu de réelles annonces" conclut Emilie Both. 

Les sécheresses répétées font baisser chaque année le niveau du lac Turkana au Kenya
Les sécheresses répétées font baisser chaque année le niveau du lac Turkana au Kenya
© Maxppp - Valerian Mazataud

Retrait des Etats-Unis

L'annonce du retrait de l'accord de Paris par le président américain Donald Trump, le 1er juin 2017, aura fragilisé encore un peu plus le bilan que l'on peut désormais tirer de la COP21. Et même si les statuts juridiques de l'accord de Paris ne prévoit une sortie officielle et effective que quatre ans après avoir dénoncé l'accord, les effets concrets se font déjà ressentir. Les Etats-Unis ont notamment stoppé leur participation au Fonds vert pour le climat, le mécanisme financier des Nations-Unies censé faire transiter des financements des pays développés vers les pays en voie de développement. Les États-Unis s'étaient en effet engagés à financer près du tiers du Fonds, soit 3 milliards de dollars sur les 10 milliards prévus pour la période allant de 2014 à 2018. L'administration Obama aura tout de même eu le temps de débourser 1 milliard de dollars. Mais les 2 milliards restant ne seront pas versés par Donald Trump. "Le fait que les Etats-Unis n’ont pas honoré leur promesse a été perçu comme un affront par les populations les plus vulnérables. Le Fonds vert avait vraiment besoin de cet argent américain pour mener ses actions" s'insurge Lucile Dufour. Pour autant, une note d'espoir vient tempérer le discours de la responsable des politiques internationales au sein de l’ONG Réseau Action Climat : "Aujourd’hui, le Fonds vert a une nouvelle dynamique. Il approuve de plus en plus de projets dont la qualité augmente. Il vient de lancer sa reconstitution. Cela veut dire qu’il va pouvoir accueillir de nouvelles promesses financières des pays. Voilà pourquoi nous attendons des pays de l’UE et notamment de la France qu’ils annoncent dès cette COP 24 qu’ils sont prêts à contribuer de manière significative à ce Fonds."

Le 1er juin 2017, Donald Trump annonce le retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris
Le 1er juin 2017, Donald Trump annonce le retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris
© Maxppp - Ron Sachs

L'annonce du retrait américain de l'accord de Paris pourrait également grever les financements de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) selon Dominique Auverlot, de l'organisme gouvernemental France Stratégie : "Le retrait américain se traduira vraisemblablement par l’arrêt de la participation américaine au budget de la CCNUCC"

Quelques "bonnes nouvelles"

L'élection de Donald Trump aura tout de même servi d'électrochoc au sein de la société américaine. "La société civile américaine présente à Bonn lors de la COP23, des entreprises, des maires, des gouverneurs, a montré qu’elle était toujours engagée pour appliquer l’accord de Paris, rappelle Lucile Dufour. Cela s’est illustré à travers deux mouvements : " We are still in", on est toujours engagé, et " America’s Plegde", qui est une alliance des grands gouverneurs pour le climat." Ces acteurs se sont donc engagés à respecter la promesse initiale de réduction de 26% à 28% des émissions de gaz à effet de serre aux Etats-Unis d’ici à 2025 par rapport à 2005. 

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La COP23 aura aussi été l'occasion d'introduire "le dialogue Talanoa" comme concept philosophique permettant d'optimiser les négociations. Selon l' ONU, cette forme de "dialogue ouvert, participatif et transparent [a pour but d'éviter] délibérément le reproche et la critique pour créer un lieu sûr d'échange d'idées et de prises de décisions collectives. Le dialogue Talanoa sera constructif, conciliant et orienté vers la recherche de solutions et connaîtra à la fois des échanges techniques et politiques." Concrètement, cette forme de négociations est censée, selon Emilie Both, "relever les ambitions climatiques des Etats lors de la COP24".

L'intervalle séparant la COP21 et la COP24 aura également vu une augmentation globale de l’utilisation des énergies renouvelables. "La capacité d’énergies renouvelables installées a atteint un quart de la production globale d’énergie en 2017, analyse Lucile Dufour. De plus, aujourd’hui il y a plus de 100 villes au monde qui ont un mix énergétique composé d’énergies renouvelables à plus de 70%". Pour le climatologue François-Marie Bréon, il est difficile de mettre en avant des "bonnes nouvelles", bien que le chercheur admette que "le monde médiatique a intégré que le changement climatique était quelque chose de grave. Or, ça n'a pas toujours été le cas. Il y a une dizaine d'années, les publications climato-sceptiques étaient nombreuses dans la presse grand public. Désormais, le constat est unanime. Malheureusement, quand il s'agit de passer à l'action, plus personne n'est d'accord !" 

ECOUTEZ LE PODCAST DE RADIO FRANCE "AGIR POUR MA PLANÈTE" : 

A l'occasion de la COP24, retrouvez toutes les émissions et les chroniques sur le changement climatique , par les antennes de Radio France. Quel est l'impact du réchauffement climatique sur l'environnement ? Quels dangers, quelles solutions ? A retrouver sur iTunes, sur Deezer ou en fil RSS.