Coronavirus : comment l'expliquer aux enfants

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Coronavirus : comment l'expliquer aux enfants

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Photo d'illustration
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© Getty - Jekaterina Nikitina

Entretien. Alors que les écoles seront fermées à partir de lundi pour endiguer le Covid-19, les familles ne savent pas forcément comment expliquer la propagation de la pandémie à leurs enfants. Eléments de réponse avec la cofondatrice du journal pour enfants Le P'tit Libé.

Comment parler de la pandémie du Covid-19 aux enfants ? Bien sûr, on peut demander à des psychologues ou des pédopsychiatres de nous aider à ne pas trop angoisser nos enfants en évoquant un sujet d’inquiétude, et ils ont été beaucoup sollicités par les médias. Mais se poser cette question, et beaucoup de parents se la posent, c’est interroger notre capacité à bien nous informer et à bien informer les enfants, éviter les rumeurs, à leur fournir les moyens d’accéder à une information fiable, claire et compréhensible pour eux. C’est exactement le travail des journalistes de la presse jeunesse d’information qui mettent la pédagogie mais aussi le tact au centre de leurs préoccupations. 

Nous avons joint Elsa Maudet, journaliste à Libération et co-fondatrice du P’tit Libé, un journal en ligne destiné aux 7-12 ans qui a sorti deux numéros spéciaux et propose un récapitulatif spécial coronavirus en accès libre.

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La rédactrice raconte à quel point il est impératif de s'adresser aux plus jeunes sur ces questions : "Il y avait beaucoup d'interrogations de la part des enfants. Est-ce que c'est dangereux ? Est-ce que le coronavirus va m'attraper ? Ce genre de choses, donc on ne pouvait pas passer à côté."

Qu'implique un sujet aussi important, aussi global, comme traitement pour vous ? Quelles sont les manières journalistiques de s'adresser aux enfants pour faire passer l'information ? 

Nous avons une grande responsabilité. Nous devons faire le tri parmi toutes les infos qui circulent sur un sujet justement mondial et qui passionne les gens, qui leur fait peur. Il y a énormément de fausses informations, donc on doit trier. Je regarde beaucoup ce qui est publié sur l'OMS, et justement, l'OMS est assez précautionneuse sur les infos qu'elle diffuse, donc c'est pas mal. 

Typiquement, sur le premier numéro que nous avons diffusé, j'avais hésité à faire un parallèle avec la grippe saisonnière parce que c'était beaucoup ce qui se faisait. Finalement, je ne l'ai pas fait, parce que c'était difficilement comparable. Le nombre de morts de la grippe saisonnière était certes plus élevé, mais en fait pas le nombre en valeur absolue qui compte. On voit depuis que le taux de létalité du coronavirus est plus élevé. 

Il faut vraiment faire le tri et nous, nous ne publions des choses que si nous sommes sûr. S'il y a des rumeurs, il y a des choses en attente, tant pis : on verra plus tard, on publiera quand ce sera vérifié. Typiquement, au début, on disait que le coronavirus venait d'une chauve-souris sur un marché des animaux sauvages en Chine, puis finalement, les experts n'étaient plus très sûrs. Donc nous, à l'époque, on a dit au début "on a cru que, mais en fait, pas sûr". Comme ça, au moins pour les animaux, ça les passionne un peu. On écrit que ce dont on est sûr. Et puis le reste, on verra plus tard. 

Illustration du P'tit Libé sur le Covid-19
Illustration du P'tit Libé sur le Covid-19
- Le P'tit Libé

C'est toute la difficulté de s'adresser aux enfants, en tout cas pour les parents : on a souvent envie de rassurer les enfants. 

Ce que je constate, en tout cas, c'est que les enfants sont plutôt pas paniqués. Je pense parce qu'ils ont bien entendu qu'ils n'étaient pas trop touchés. Certes, qu'ils peuvent l'attraper, mais que cela ne serait pas très grave. Et je vois un peu en demandant à différentes familles, etc., qu'ils ne posent pas forcément énormément de questions. 

Surtout, je pense que ce qu'il faut faire, c'est justement répondre à leurs questions et ne pas aller au-delà.

Et en fait, ce qui est un peu étrange, c'est que c'est un réflexe qui rappelle celui qui a eu lieu au moment des attentats : dire il faut répondre aux questions des enfants, mais pas les anticiper. On se retrouve à calquer sur eux des craintes et des interrogations d'adultes, et que eux n'ont pas forcément. 

La bonne attitude à adopter est d'y aller par étapes, de voir si l'enfant a envie de savoir des choses, de lui répondre, mais pas se mettre à lui expliquer un paquet de trucs sur des comparaisons de morts, etc. Parce que si ce n'est pas dans sa tête, cela ne sert à rien de l'y mettre.

Ecoutez le témoignage de Bonnie, 11 ans, recueilli par Avril Ventura avant l'intervention d'Emmanuel Macron jeudi soir :

ETREETSAVOIR - Parler du coronavirus aux enfants : Bonnie

3 min

Et ne pas chercher à se rassurer, en tant qu'adulte, car c'est quelque chose que l'on observe dans la communication adulte-enfant...

En fait, si on doit rassurer en tant qu'adulte, effectivement, ce n'est pas auprès des enfants qu'il faut le faire. Souvent, notre crainte en ce moment en tant qu'adulte est davantage pour nos parents, nos grands-parents, selon notre âge. 

Et les enfants, eux aussi, comprennent que c'est plus délicat pour les plus âgés. Ils vont donc également s'interroger et s'inquiéter pour leurs grands parents. 

Mais effectivement, si nous avons des inquiétudes, il faut les gérer entre adultes. 

Justement, ce rapport aux grands-parents, aux personnes à la santé fragile, aujourd'hui, c'est ce qui cristallise évidemment l'inquiétude de tout le monde. Avez-vous choisi d'en parler et comment en avez-vous parlé ? 

Nous avons choisi de mentionner le fait, dans un premier temps, que les enfants étaient plutôt épargnés par le virus. Oui, ils peuvent être touchés, mais cela ne les rend pas malades ou pas très malades. Après, nous avons choisi de ne pas écrire explicitement "les grands-parents" parce que cela peut faire peur. Simplement, nous expliquons que cela peut être problématique pour les personnes les plus âgées et les personnes qui ont des maladies par ailleurs. 

En revanche, on a choisi de relativiser : c'est-à-dire que ce virus, oui, fait peur, il touche la Terre entière, etc. Mais quand on regarde les chiffres, il y a quand même très peu de gens concernés. On a choisi de le montrer en data : on fait montrer la population mondiale comme un grand rond. Et puis, il y a un tout petit point qui montre les personnes atteintes. Pour que les enfants se rendent compte que oui, ça fait peur pour Papi-Mamie. Mais finalement, à l'échelle du monde et même à l'échelle du pays, c'est quand même très, très peu de gens qui sont concernés. 

Depuis jeudi soir, avec les annonces du Président Macron, on sait que les enfants français ne vont plus aller à l'école. On ne sait pas quand ils vont y retourner. Est-ce à ce moment là, quand on s'occupe d'un média d'information pour les enfants, qu'on pense avoir un rôle un peu différent à jouer ? Ils ne vont plus être en contact directement avec leurs enseignants, ou en tout cas de manière plus distante via les classes numériques. On ne sait pas trop comment cela va se dérouler. 

Pour nous, c'est vraiment un moment particulier. Habituellement, on sort un numéro chaque vendredi. Et là, on vient de sortir un gros article, justement parce qu'il faut que les enfants sachent ce qui va se passer. On commence clairement par poser les choses sur "qu'est ce qui va se passer à l'école", parce que c'est quand même pas très clair. Et le fait que les enfants soient un peu coupés, oui, des enseignants, des autres à partir de la semaine prochaine, ça joue dans le fait qu'on se sente un peu une responsabilité.

On propose à la fin de l'article aux enfants de nous envoyer leurs questions pour qu'on puisse leur répondre au fur et à mesure, parce que là, les enfants n'auront pas leur enseignant sous la main pour savoir si "ça c'est grave, ou "ça c'est vrai". Nous ne fonctionnons pas comme cela habituellement, on ne fait pas de questions-réponses avec les enfants. Mais là, on l'a mis en place parce qu'il y a justement cette situation exceptionnelle.

Témoignages de Younes, 10 ans, et de Neila, 7 ans :

ETREETSAVOIR - Parler du coronavirus aux enfants : Younes et Neila

3 min

Quand on est parent, on se sent une responsabilité parce que ce n'est pas seulement passer du savoir. C'est la première fois, on installe quelque chose. C'est peut être la première fois qu'un enfant a vraiment une explication sur tel ou tel sujet. Comment percevez-vous cette responsabilité ? La considérez-vous d'ailleurs comme une responsabilité importante ? 

Nous avons une responsabilité super importante. Elle est vraiment, vraiment, dans le fait de trier les infos et de s'assurer que nos écrits sont fiables. La responsabilité est surtout là. En tant qu'adultes, on est un peu tous super connectés à chercher à savoir ce qui se passe et tout. Les enfants ne sont pas forcément dans cette démarche. Il y en a, bien sûr, mais ce n'est pas forcément le cas de tous. 

Il ne faut donc pas calquer nos réflexes d'adultes sur les comportements d'enfants. Notre responsabilité est de dépassionner tout ça, de remettre les choses à plat. Nous sommes en train de préparer un autre dossier sur le coronavirus pour la semaine prochaine, un peu plus classique, comme d'habitude. Et justement, cela sera l'occasion de s'interroger : pourquoi, d'un coup, on nous dit "C'est pas grave pour les personnes de moins de 50 ans", et après, on nous dit "bah si, quand même". Essayer de comprendre les mécanismes qui sont à l'oeuvre au-delà des informations purement factuelles, et décortiquer nos comportements humains. C'est l'occasion de s'interroger sur pourquoi une épidémie fait peur, pourquoi les gens se mettent à acheter des paquets de pâtes.

Notre rôle est d'apporter de l'information vérifiée, fiable, et, d'autre part, d'encourager les enfants à réfléchir à ce qui se passe, parce qu'ils sont quand même dans un tourbillon un petit peu particulier, au milieu d'un événement vraiment exceptionnel. Nous, on doit les accompagner à ce sujet. 

Avez-vous des remontées d'adultes ? 

Oui, mais on n'en a globalement pas que sur ce sujet. Mais oui, on en a quand même des adultes, qui nous disent qu'ils sont contents du traitement d'un sujet. Parce que souvent, avec les médias généralistes, on parle du sujet une première fois, puis on explique tout ce qui en découle. Résultat : si on a loupé le coche de la première explication, c'est compliqué à suivre. En tant que média jeunesse, nous avons pas mal d'adultes qui nous lisent pour comprendre. 

Être et savoir
43 min

Avec la collaboration de Diane Berger et d'Eric Chaverou