Covid-19 : ces métiers en première ligne face au virus

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Covid-19 : ces métiers en première ligne face au virus

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Malgré l'épidémie et le confinement généralisé, ils continuent de travailler : ici un chauffeur de taxi Gare d'Austerlitz à Paris le 17 mars.
Malgré l'épidémie et le confinement généralisé, ils continuent de travailler : ici un chauffeur de taxi Gare d'Austerlitz à Paris le 17 mars.
© AFP - Christophe Archambault

Témoignages. Ils ne sont pas soignants mais ils exercent des métiers qui les placent en première ligne face au coronavirus : commerçants, livreurs, caissiers, artisans, taxis… Ils nous racontent leur quotidien et pourquoi ils continuent à travailler depuis le début de l’épidémie.

La France est confinée mais eux ne le sont pas. Ils travaillent dans des commerces essentiels ou rendent des services indispensables aux personnes en ces temps d’épidémie. Ils ne sont pas soignants mais leur métier les expose au Covid-19 : comment travaillent-ils ? Pourquoi continuent-ils ? Ils nous racontent leur quotidien.

Taxi : “90% de courses en moins mais je continue”

“L’activité a chuté depuis le début du confinement, je n’ai jamais vu ça”, explique Mohammed, taxi à Paris depuis dix ans. “Le nombre de courses a baissé de 90% : mes collègues taxis locataires ont rendu leur voiture et ceux qui sont artisans restent chez eux. Il n’y a que ceux qui ont des clients réguliers, comme moi, qui continuent”. Mohammed peut en effet compter sur ses contrats avec Radio France, France Télévisions et la Caisse d’assurance maladie pour continuer son activité, mais au ralenti.

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"Auparavant, je faisais aussi des courses avec des clients pris dans la rue, environ une dizaine par jour, mais aujourd’hui, il n’y en a plus… Je n’en ai que trois en une semaine”, ajoute ce chauffeur, dont la femme et les enfants restent au domicile. “Ma compagne est assistante maternelle mais elle est diabétique donc à risque, elle reste confinée”. Mohammed continue de travailler car il a des charges fixes mais surtout, il se dit au service du public. En tant que taxi conventionné avec la Sécurité sociale, il transporte des patients au traitement lourd, qui ne peuvent pas s’arrêter malgré le confinement : “dialyse, radiothérapie, chimiothérapie…”

Inquiet ? Il ne l’est pas vraiment. “Je ne m’inquiète pas financièrement, je sais que ça va reprendre mais en revanche, pour certains de mes collègues endettés, ça va être dur, même si le gouvernement a annoncé des mesures de soutien”. Et la peur du coronavirus ? Mohammed assure prendre ses précautions et met en œuvre les mesures préconisées par le gouvernement : conduire avec une vitre au moins entr'ouverte quand un client est à bord, désinfecter la voiture chaque jour, ne pas prendre les clients qui présentent les symptômes du Covid-19. “On ne peut pas être protégé à 100% mais je suis prudent, c’est moi qui ouvre la porte, le coffre, qui porte les bagages, etc. Et quand une personne âgée monte à bord, je mets un masque, car je peux aussi être porteur sans le savoir”. 

Pharmacienne : "On limite les contacts au maximum"

Dans sa pharmacie du 17e arrondissement, Cécile reçoit encore les clients mais sans contact direct et équipée de masque et de gants.
Dans sa pharmacie du 17e arrondissement, Cécile reçoit encore les clients mais sans contact direct et équipée de masque et de gants.
© Radio France - Maxime Tellier

Cécile est pharmacienne de quartier dans le 17e arrondissement de Paris. Elle témoigne derrière la barrière de fortune qu’elle a installée à l’entrée de son officine : une bande de rubalise et un papier indiquant qu’elle est toujours ouverte. “Nous avons installé cela dès le début du confinement, le lundi 16 mars. Il faut que nous soyons très vigilants, pour nous mais aussi pour les patients. Après chaque visite, on se lave les mains à la solution hydroalcoolique - chaque ordonnance peut être un vecteur -, on fait très attention à garder la distance, on ne les laisse plus entrer comme avant”.

"Nous sommes deux habituellement mais ma préparatrice doit garder ses enfants”, précise Cécile, qui reçoit des clients régulièrement quand nous lui rendons visite, le 23 mars. “On continue comme ça tant qu’on est en forme et que le confinement continue. Nous sommes là pour servir les patients mais si je n’ai personne pour me remplacer, je devrai fermer effectivement."                                    
Cécile, pharmacienne de quartier à Paris.

Cécile ne semble pas inquiète mais elle sait que le confinement n’en est encore qu’au début, “on sait que la période sera longue, il faudra tenir”, reconnaît la pharmacienne qui s’est inquiétée surtout au début : “La première journée du confinement, lundi, a été difficile, on n’a jamais vu ça avec une file d’attente d’une dizaine de personnes dans la rue. Tout le monde paniquait un peu et a fait le plein de ce dont ils avaient besoin. Je pense que beaucoup sont partis en province depuis”

Côté approvisionnement, les médicaments et produits habituels arrivent toujours, ce qui n’est pas le cas des masques ou des gels hydroalcooliques. L’officine fabrique et vend sa propre solution et de l’alcool à 70 degrés. En revanche, pour les masques, “On a énormément de demandes mais on ne les distribue pas directement. Nous les donnons aux médecins, 18 par semaine pour chacun, qui sont censés les distribuer aux patients. On a reçu une commande la semaine dernière mais on en a réceptionné que la moitié… Je pense qu’une partie a été volée. Cette commande va nous tenir quinze jours mais là, on n’a presque plus rien. Même pour nous… Parfois, je n’en mets plus”.

Caissière : "Je suis souvent au bord des larmes” 

Dans la voix de Dominique Hautier, caissière au Carrefour Market de Nangis, en Seine-et-Marne, et déléguée CGT, on sent la fatigue, voire l’épuisement. “Ça pèse vraiment sur la vie de tous les jours” souffle-t-elle, “il est clair qu'on est quand même en contact permanent avec les gens”. Evidemment, à sa caisse, elle porte un masque, des gants jetables, son flacon de gel hydroalcoolique est toujours plein, sa caisse est protégée par une vitre en plexiglas et les clients sont priés de se tenir à un mètre de distance minimum mais tout de même : “c’est quasiment mission impossible” avoue-t-elle, “les clients ont toujours ce réflexe de se pencher sur vous pour vous demander un renseignement, pour vous montrer l’article”.

Dominique est d'autant plus préoccupée qu’elle est asthmatique : “Je me sens très, très oppressée. Est-ce que c'est dû à cette angoisse ? Parfois j’ai du mal à respirer… Dans le cerveau vous savez comment ça se passe ! On se dit ça y est, je l'ai chopé”. 

Dominique Hautier, caissière : "Il y a les irréductibles, ceux qui ne comprennent pas"

5 min

Surtout dans un magasin, d’après la caissière, trop fréquenté par des clients qui peuvent se montrer inconscients face au risque. Elle les appelle “les irréductibles”, ceux qui “ne comprennent pas”, ceux qui “prennent ce confinement pour des vacances (…). Moi, j'ai vu des enfants assis par terre en train de feuilleter des BD dans le rayon presse”. Elle raconte cette anecdote, la gorge serrée, survenue un matin quand une infirmière en réanimation de l’hôpital voisin est venue faire ses courses : “Quand elle a vu le nombre de clients, quand elle les a vu flâner dans le magasin, quand elle a vu même des enfants. Elle n'a pas pu s'empêcher d'exploser un peu et de crier sur les gens qui étaient à côté en leur disant 'Mais, qu’est ce qu'il y a dans le fait de ne pas sortir que vous ne comprenez pas ? J'ai descendu des personnes à la morgue ce matin. On n'en peut plus. Plus vous sortez, plus on aura de cas. Arrêtez ! Arrêtez !' Elle était en larmes et je dois dire que je n'étais pas loin d'être en larmes aussi”. 

Des insouciants qui, rappelle Dominique, mettent en danger tout le monde, “y compris le petit papi qui n’a personne pour lui faire ses courses et qui est obligé de venir acheter sa nourriture”

Heureusement il y a aussi les mots de soutien des reconnaissants, “j'ai souvent les larmes aux yeux parce que on n'a pas l'habitude de ça”. Et la prime de 1 000 euros promise par Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour ? L'essentiel n’est pas là pour la caissière. Avec 33 ans d’ancienneté et un salaire de 950 euros net (pour 30 heures par mois), la priorité pour Dominique c’est la sécurité des employés et une réévaluation de leur salaire après la crise. Et puis, conclut la caissière, dans un soupir, “une prime, c'est pas cher payé. Je veux dire 1 000 euros… Ça ne paye pas le cercueil”

La fédération CGT du commerce et des services a déploré dimanche dernier (22 mars) un premier décès dû au Covid-19 dans le secteur. Un homme de 45 ans, responsable de la sécurité au centre commercial O’Parinor à Aulnay-Sous-Bois en région parisienne.

Boulanger : "Ça devient un petit peu sportif"

Sur la vitrine de la boulangerie de Thierry Guillaume, rue d'Auteuil, à Paris 16e : des consignes aux clients en ces temps d'épidémie.
Sur la vitrine de la boulangerie de Thierry Guillaume, rue d'Auteuil, à Paris 16e : des consignes aux clients en ces temps d'épidémie.
© Radio France - Anne Lamotte

Thierry Guillaume, boulanger dans le 16e arrondissement de Paris ouvert 7 sur 7 depuis dix jours fait tout ce qu'il peut pour garder le Covid-19 loin de sa boutique : c’est masques ou torchons devant le visage pour tout le monde, gel hydroalcoolique, gants jetables pour les deux vendeuses en boutique (sécurité oblige, une pour servir, une pour encaisser) et plaque de plexiglass ajoutée devant la caisse. “Où il y a un risque malheureusement" reconnait-il "c'est le peu de personnel (il reste 4 employés autour de lui au lieu de 8 habituellement) que j'ai qui vient travailler et qui pourrait avoir un contact dans les transports en commun”.

Et certains clients se montrent plus que méfiants soupire le boulanger : “Il suffit qu’une baguette touche nos vêtements pour qu’ils disent : “Ah bah non votre baguette, elle a touché votre vêtement, j'en veux pas !”. Il y a aussi ceux, de plus en plus nombreux d’après lui, à exiger de régler en carte bancaire. Et les autres qui payent en billet refusant de chercher dans leurs pièces. Pas question d’entrer en contact avec des objets que d’autres - malades - auraient pu toucher avant : “l’espèce, la liquidité devient très problématique” observe ainsi le boulanger, “on a une pénurie de monnaie, on a beau demander à la banque de nous dépanner, il n’y en a pas, ça devient un petit peu sportif”. 

Thierry Guillaume, boulanger : "Si la baguette touche nos vêtement, ils n'en veulent plus!"

2 min

Dans sa boutique, fini les gros gâteaux d’anniversaire, mais du pain chaud tous les jours et aussi, désormais, quelques œufs et litres de lait. Pas suffisant pour rivaliser avec le supermarché ouvert sur le même trottoir à quelques mètres de là : “Hier, nous avons brassé 510 personnes (…) d’habitude on a 1 500 personnes” conclut, soucieux, Thierry Guillaume. Trois fois moins de clients qu’en temps normal. Et des conséquences logiques sur sa caisse : “C'est 2 euros en moyenne par personne dans une journée (soit un chiffre d’affaire de 1000 euros). C’est pas terrible”.

Professeure des écoles : “On continue de faire classe pour les enfants de soignants”

En une journée, les enseignants ont dû s’organiser. Le vendredi 13 mars, ils apprennent que les écoles ne rouvriront pas le lundi suivant : “On a eu quelques heures pour trouver comment continuer à travailler avec les élèves et assurer la continuité pédagogique”, explique Cécile Quinson, professeure des écoles en CE1 à Fontenay-sous-Bois et secrétaire départementale du syndicat SnuiPP FSU : “On a distribué nos adresses mail, donné des dossiers, des exercices… Tout cela dans l’urgence”

Et en plus de cela, il a fallu s’organiser pour assurer la garde des enfants de soignants : 

Les consignes du ministère ne sont arrivées qu’en fin de semaine. Avant cela, il a fallu faire preuve de bon sens ! Nous avons dû nous débrouiller pour trouver du matériel sanitaire et définir les gestes barrière. Heureusement, nous n’avons que peu d’élèves, 4 seulement pour une grosse école qui compte 29 classes… La plupart des parents soignants s’organisent pour faire garder leurs enfants. Ils savent aussi qu’ils sont potentiellement plus porteurs du coronavirus que d’autres enfants, car les parents sont plus exposés.                                
Cécile Quinson, enseignante en CE1 à Fontenay-sous-Bois

Des parents ont apporté du gel hydroalcoolique, d’autres ont fourni quelques masques, la mairie en a fourni aussi… Quant aux enseignants, ils viennent à l’école sur la base du volontariat, deux par demi-journée. “Mais aucun matériel n’est fourni par l’Education nationale. Je trouve ça grave car nous prenons des risques”, continue Cécile Quinson. “D’autant que les enfants, les petits notamment, ne comprennent pas vraiment qu’il faille mettre au moins un mètre de distance entre nous. Et quand nous les aidons à réviser, lire, compter, la vigilance baisse et nous avons forcément des contacts”.

Cécile Quinson doit aussi gérer le maintien du contact avec ses 28 élèves, “dont deux qui n’ont pas du tout internet, je leur ai donné des devoirs avant qu’ils partent. Mais pendant le confinement, nous n'aborderons pas de notions nouvelles, certains élèves seraient trop défavorisés… Le travail consiste à réviser, à maintenir le contact. D’autant que les parents doivent aussi télétravailler, faire à manger, les courses… Et ils ne sont pas enseignants !”

Plombier : “la notion d’urgence a changé”

Pour Bruce Barelly, plombier à Paris, le début du confinement rime avec inactivité. Ici, une photo prise avant le confinement !
Pour Bruce Barelly, plombier à Paris, le début du confinement rime avec inactivité. Ici, une photo prise avant le confinement !
- Bruce Barelly

“Avec le confinement du jour au lendemain, tout s’est arrêté”, confie Bruce Barelly, 46 ans, plombier-chauffagiste dans le 17e arrondissement de Paris. Cet ancien de la pub reconverti depuis trois ans recevait une dizaine de coups de fil par jour habituellement, “pour des urgences ou des devis mais depuis une semaine, le robinet s’est fermé et on n’a plus rien”. “La situation est particulière il faut bien le dire, c’est soi moi qui n’ai pas envie de venir, soit eux qui n’ont pas envie que je vienne.”

Je me faisais la réflexion récemment, on a l’impression que la notion d’urgence a changé. Avant, ça n’était pas urgent mais il fallait le traiter de manière urgente et là, on est contraint et forcé de rester chez nous et donc l’urgence peut attendre. On remet la notion d’urgence ou d’immédiateté à sa place, peut-être.                                              
Bruce Barelly, plombier à Paris

En cas de besoin, il propose tout de même des conseils à ses clients : “On fait un Skype ou un FaceTime et je leur explique quoi faire. Tournez le machin à gauche, mettez une bassine et on se revoit dans un mois. Je peux aussi faire un dessin et l’envoyer par SMS. En cas de réelle urgence bien sûr, je peux intervenir mais ça n’est pas encore arrivé. Dans ce cas là, j’ai de quoi me protéger et protéger mes clients mais le stock est limité ; de par ma profession, j’ai pas mal d’équipements de prévention sanitaire : lunette, masque de filtration assez sophistiqué mais je n’ai qu’un seul exemplaire avec trois ou quatre filtres et c’est tout".

Pour l’instant, Bruce Barelly n’est pas trop inquiet mais le confinement n’en est qu’au début : "J’ai la chance d’être seul à mon compte, pas de salaire à payer, de local ou de flotte de véhicules. Je n’ai pas de rentrée financière mais pas de sortie non plus et de toutes façons, mes fournisseurs sont bloqués, je n’ai plus de matériel et je ne peux pas commander. il faut attendre et essayer de faire en sorte que l’orage se passe le mieux possible et que ça fasse le moins de dégâts".

Banquier : “On ne nous laisse pas le choix, nous sommes réquisitionnés”

Greg est conseiller d’agence à la Société Générale en région parisienne. Il occupe ce poste depuis douze ans mais a voulu garder l’anonymat, et pour cause, il est critique des décisions de sa direction : après une semaine de confinement, il estime que les mesures de sécurité ne sont pas suffisantes. “Pas de masques, pas de gants et on vient seulement de nous fournir en gel hydroalcoolique”, explique le jeune homme, qui est partagé, entre volonté d’être au service du public mais aussi se protéger. “Le président de la République a dit que les banques étaient un service essentiel à la nation et donc on est sur le front ! Je le comprends mais les mesures de sécurité tardent à être mises en place”.

En attendant, des règles de distanciation sociale sont instaurées : pas plus de cinq agents en même temps dans l’agence, pas plus de trois clients, une distance d’un mètre minimum entre chacun mais des clients qui peuvent passer sans rendez-vous aux horaires habituels d’ouverture. “Le télétravail est impossible pour notre métier, notamment pour des raisons de sécurité informatique, l’accès aux applications et aux données clients ne serait pas sûr si on le faisait de chez nous”. D’autant que les personnes qui frappent à la porte sont celles qui savent le moins gérer leurs comptes à distance, précise Gregory : 

Les clients qui font des placements financiers et qui seraient inquiets pour leurs placements en bourse sont généralement ceux qui ont l’habitude de travailler ou de consulter leurs comptes à distance. La typologie des clients qui continuent de venir sont plutôt le tout venant : dépôt de chèque, retraite d’argent, la personne qui ne sait pas utiliser son application de téléphone…                                  
Greg, agent à la Société Générale

Greg se dit parfois inquiet mais moins que certains collègues. Lui est célibataire et sans enfant quand d’autres ont du monde à la maison : conjoint, parents, enfants… “Mais si votre enfant a plus de 15 ans et que vous n’avez pas de problème de santé, on est obligé de travailler, sous peine de sanction. On s’expose aux transports en commun, aux clients, aux collègues… Je connais des agents qui ont été déclarés positifs au coronavirus et qui faisaient le même travail que nous. Certains de mes collègues sont hors d’eux et ne comprennent pas qu’on les mette à l’abri”. Greg espère que les mesures de sécurité vont s’améliorer, avec l’arrivée de gants et de masques, car le confinement est parti pour durer...