Covid-19 : en France, Italie, Espagne, Allemagne, comment les médecins s'attaquent à la maladie
Par Maxime Tellier, Benoît Bouscarel, Fiona Moghaddam, Rosalie LafargeIls sont médecins - français, italien, espagnol, allemand - et tous se battent pour sauver leurs patients du Covid-19. Leurs méthodes et leurs traitements parfois varient mais tous partagent un même avis : il n’y a pas d’approche unique car la maladie change énormément selon les patients.
France, Italie, Espagne et Allemagne : comment ces quatre pays européens et voisins s'y prennent-ils pour sauver et soigner leurs patients ? Si la situation sanitaire est différente selon les lieux ( l'Allemagne compte moins de décès), tous ces systèmes de santé doivent faire face à une épidémie inédite dans son ampleur et à une maladie qui prend des formes très différentes selon les patients. Quels sont les traitements utilisés ? Combien de temps les malades restent-ils hospitalisés et quand sont-ils considérés comme guéris ?
Les docteurs Jean-François Timsit (de l'hôpital Bichat à Paris), Francesco Alberti (président de l’ordre des médecins de la province d’Imperia en Italie), Miquel Barceló (de l’hôpital de Puigcerda en Espagne) et Thomas Schulz (virologue à l'université de Hanovre en Allemagne) nous répondent.
Avec une seule certitude pour tous ces soignants : il n'y a pas de traitement miracle.
En France, un traitement en quatre temps
L'hôpital Bichat est l'un des trois centres franciliens de référence pour les maladies biologiques et les risques épidémiologiques, comme l'est le Covid-19. Au sein du service de médecine intensive et réanimation des maladies infectieuses, le professeur Jean-François Timsit a mis en place deux grands types de traitements pour les patients atteints du Covid-19.
Le traitement dit symptomatique "consiste à supporter les défaillances des différents organes touchés, en particulier avec la ventilation et l’intubation", explique Jean-François Timsit. Le système respiratoire est le premier touché par cette maladie mais dans les formes sévères, il arrive que d’autres organes vitaux soient atteints, comme le coeur, les reins et le foie.
Le deuxième traitement est un "traitement étiologique". Cela consiste d’abord en un traitement anti-viral avec diverses molécules qui peuvent être administrées : l'hydroxychlorochine, certains médicaments contre le VIH peuvent avoir une certaine activité comme le Kaletra, le remdesivir est une molécule utilisée pour d’autres virus et est pour l’instant en autorisation temporaire d’utilisation, puis une dernière molécule, le Favipiravir qui a été mis au point pour lutter contre le virus Ebola et aurait une certaine activité in vitro contre les virus. Pour le moment, "aucune [de ces molécules] n’a fait la preuve d’une efficacité certaine" précise Jean-François Timsit. L’équipe médicale choisit d’utiliser l’une d’elles en fonction de chaque patient et des risques potentiels encourus à l’utilisation de certaines molécules (l’hydroxychloroquine peut entraîner des troubles du rythme cardiaque, le Kaletra, des anomalies sur le foie…)
Puis il y a un traitement immunologique car le virus entraîne une production excessive d’inflammation par les cellules immunitaires de l’organisme. Dans ce cas, le système immunitaire du patient dépasse son aptitude à tuer les virus et a tendance aussi à tuer un certain nombre de cellules de l’organisme et donc à interférer sur le bon fonctionnement des vaisseaux. Ce phénomène intervient chez tous les patients mais à des niveaux différents. Chez les jeunes gens par exemple, les atteintes sont souvent légères comme au niveau des fosses nasales ou des atteintes cutanées, cela peut être également de ne pas avoir de goût ni d’odorat, des atteintes spécifiques du virus sur certains systèmes nerveux. Au bout de cinq jours de maladie, il peut y avoir des atteintes pulmonaires et cette inflammation est d’autant plus dangereuse. Dans les formes les plus sévères, il peut y avoir des atteintes rénales et du foie. D’où l’utilisation de médicaments qui interfèrent sur l’immunité de l’organisme, comme les corticoïdes utilisés pour certains malades très inflammatoires.
Et "le dernier traitement qui est sans doute celui sur lequel on fait le plus de progrès, c’est de _prévenir les complications__. Il y a des complications propres aux malades en réanimation et habituelles comme les infections nosocomiales - sachant que chez ces malades, après avoir eu cette excitation du système immunitaire, il y a un comportement très inapproprié vis-à-vis de la défense des autres germes qui est donc amoindrie. Ils ont également une forte propension à faire des phlébites et des embolies pulmonaires. On apprend à mieux prévenir ces complications et donc à améliorer les pronostics des formes les plus graves"_, ajoute le professeur Timsit.
C’est une maladie effroyablement grave. On reste combatifs, avec certains résultats, bien que pour l’instant, le médicament miracle n’a pas vu le jour…
Jean-François Timsit, chef du service de médecine intensive et réanimation des maladies infectieuses de l'hôpital Bichat à Paris
"Le grand tournant de la maladie : l’intubation"
Pour le moment, le taux de mortalité est évalué à environ 30% pour les malades qui sont en réanimation, avec une variante en fonction de l’intubation ou non des patients. Lorsque les malades sont intubés, le taux de décès grimpe à 50%. "Dès qu’on passe à l’intubation, c’est-à-dire la nécessité de mettre un tube dans la trachée et d’utiliser des machines pour ventiler et endormir les malades, on est à un tournant de la maladie qui est très très sévère", avertit Jean-François Timsit. Lorsque les malades sont intubés, ils restent entre 15 jours et trois semaines en ventilation mécanique, "c’est très long". Même pour les personnes âgées de 20-30 ans, les taux de mortalité sont élevés dans ces cas les plus sévères, aux environs de 30%. Le taux de mortalité diminue s’il n’y a pas besoin de ventilation ou d’intubation, à environ 10%.
Mais les survivants ne sont pas guéris pour autant. Les malades les plus sévères ont besoin d’une longue rééducation et réadaptation ventilatoire et respiratoire. Ils sont alors envoyés dans des centres de soins de suite et de rééducation respiratoire pour plusieurs semaines. Pour les patients les moins sévères passés par le service, ils récupèrent en une quinzaine de jours à un mois et sont suivis soit au sein des services de l’hôpital, soit ils sont renvoyés chez eux avec un suivi à domicile. Les malades semblent bien récupérer et le Covid-19 semble laisser peu de séquelles respiratoires mais il faut encore attendre pour connaître les conséquences sur le long terme de la maladie. Autre élément non négligeable, certains patients souffrent après leur passage à l’hôpital de stress post-traumatique. "Les personnes ne s’attendaient pas à être malades, elles n’ont pas de maladie chronique et tout à coup, elles se retrouvent face à la mort. Elles ont alors beaucoup de difficultés à remonter la pente. C’est vrai pour des malades sévères mais aussi pour des personnes qui ont été hospitalisées et qui ont du mal à se remettre", note Jean-François Timsit. Le médecin qui en profite pour dire à quel point l’équipe est ravie des lettres, photos ou vidéos envoyées par ses anciens patients touchés par le Covid-19 qui donnent ainsi de leurs nouvelles.
La plupart des jeunes patients font des formes extrêmement minimes du coronavirus. Ce qui pour le Dr Timsit est "la fois un très grand bénéfice et un gros risque car ce sont eux qui vont aller dans la rue, discuter ou faire des barbecues avec les voisins et eux qui vont transmettre le virus. Il est probable que les gens très peu symptomatiques soient aussi très fortement transmetteurs du virus". Les femmes développent généralement des formes moins sévères du virus, des études sont en cours pour savoir si les hormones sexuelles joueraient un rôle de protection éventuelle. Les patients les plus âgés et les personnes de 50-60 ans avec un surpoids modéré, du diabète ou des maladies coronariennes ont des risques d’évolution moins simples de la maladie.
Si le confinement a permis de "diminuer un peu l’explosion du système de santé, pour Jean-François Timsit, notamment aux urgences où le nombre de passages a considérablement diminué", le réanimateur s’inquiète pour les prochains jours.
Les gens sont ressortis [le week-end dernier, ndlr] avec beaucoup d’insouciance. Le climat reste tempéré et un peu humide, ce qui, en tout cas pour les autres coronavirus, favorise leur multiplication. Nous ne sommes donc pas du tout confiant pour les dix prochains jours. Il n’y a pas jusqu’à présent de catastrophe sanitaire au point où on ne peut plus soigner les patients mais il y a tout de même une vraie tension. Ce matin (mardi 7 avril), sur les 32 lits dont je m’occupe, il y avait deux places disponibles. Heureusement, peu de patients qui n’ont pas le Covid-19 justifient d’être hospitalisés en réanimation en ce moment. C’est peut-être un des effets du confinement et le fait qu’il y a moins d’interventions chirurgicales lourdes.
Jean-François Timsit
Le médecin redoute qu’à la levée du confinement, on observe un nouveau rebond de la maladie. L’immunité requise des personnes pourrait ne pas être atteinte, elle serait, pour le moment, bien loin de toucher la barre des 60% de la population nécessaire. "Cela risque de durer très longtemps, je pense que mon service va être plein de patients atteints du Covid-19 pendant plusieurs mois et j’imagine mal que cela soit fini avant septembre", redoute ce spécialiste. D’ailleurs, il indique également que "le niveau d’anticorps produits ne semblerait pas suffisant pour complètement annihiler la possibilité de revoir le virus. On n’est pas sûr que le niveau de protection persiste". Cela signifie-t-il que des personnes atteintes pourraient être à nouveau touchées ? C’est une crainte… Il n’est pas impossible également, d’après le médecin, que la maladie réapparaisse à l’avenir, par petites vagues, avec une population certes moins sensible qu’actuellement.
En Italie, des traitements sans cesse adaptés face à la variété de la maladie
Le 7 avril, l’hôpital de Sanremo comptait près de 200 patients atteints du Covid-19 dont 25 étaient intubés avec une moyenne de deux décès chaque jour, d’après le Dr Francesco Alberti. Président de l’ordre des médecins de la province d’Imperia (subdivision de la région de Ligurie, frontalière avec la France), ce neurologue a repris du service en raison de la pandémie : il avait pris sa retraite il y a un an et demi et s’occupe désormais des relations avec les familles des patients. “Grâce à l’informatique, j’ai accès aux dossiers des malades depuis chez moi : examens, analyses… Et j’appelle les parents proches pour les tenir au courant. Nous sommes 4 ou 5 à faire ce travail car les familles n’ont pas le droit de se rendre à l’hôpital et on leur demande de ne pas téléphoner à l’établissement. Ce dispositif n’est destiné qu’aux proches des patients mais nous ne nous occupons pas de ceux qui sont en réanimation. Leurs cas sont trop compliqués et ce sont les médecins réanimateurs qui s’en chargent.”
La Ligurie n’est pas la région la plus touchée par l’épidémie, contrairement à la Lombardie et à la Vénétie, mais le nombre de cas et de morts reste élevé, comme ailleurs. En matière de traitement, l’hôpital de Sanremo n’a pas de réponse unique : “Nous faisons beaucoup d’expérimentations et de nombreux essais, car la maladie est très différente et plus ou moins grave selon les patients”, explique le Dr Alberti. “S’il n’y a que de la fièvre et qu’elle ne dure pas plus de 4 ou 5 jours, nous prescrivons du paracétamol. Au delà, nous utilisons des antiviraux pour limiter la progression de la maladie : les médicaments les plus utilisés sont l’hydroxychloroquine (marque Plaquenil) associée à un antibiotique (l’azithromycine), sachant que l’hydroxychloroquine peut donner des problèmes de rythme cardiaque. Nous donnons également d’autres antiviraux comme le Remdesivir et le Favipiravir… En cas d’emballement du système immunitaire, nous menons aussi une expérimentation avec le Tocilizumab, un médicament immunologique prescrit habituellement pour les problèmes rhumatoïdes”.
Il n’y a pas de protocole thérapeutique unique. Les médicaments que nous utilisons sont “off label”, c’est-à-dire que nous les prescrivons en dehors de leurs indications. Le ministère de la Santé et l’agence italienne du médicament nous ont autorisé à utiliser ces médicaments, même si à l’origine ils sont prescrits pour d’autres maladies.
Docteur Francesco Alberti, médecin à l’hôpital de Sanremo et président de l'ordre des médecins d'Imperia
Inventif, il faut l’être aussi pour oxygéner les patients. _“__Nous utilisons un masque de plongée pour certains malades_ mais si ça ne leur suffit pas pour respirer, alors nous les intubons. Dans ce cas là, ils restent intubés 15 à 20 jours s’il n’y a pas de complication, cela varie selon les personnes.”
Pour ce qui est de la guérison, l'expérience est encore trop courte pour savoir si les malades auront des séquelles mais l’hôpital demande aux patients qui rentrent chez eux d’observer un confinement d’au moins quinze jours “car la période totale de contagion atteindrait 30 à 35 jours selon plusieurs études scientifiques”, précise le Dr Alberti. S’il n’y a pas eu de complication, les patients qui quittent l’hôpital sont très fatigués mais ils récupèrent très bien. "Pour les autres, la récupération est très, très lente".
Et ici comme ailleurs, les personnes les plus touchées sont en général des hommes, les cas les plus graves étant plus fréquents chez les patients atteints de comorbidités : diabète, hypertension, obésité… Des pathologies qui compliquent la maladie due au Covid-19. Interrogé sur la suite, le professeur Alberti a encore du mal à imaginer un retour à la normale : "Pas avant le mois de juin et il faut savoir que certains experts n’excluent pas un retour de l’épidémie à l'automne".
En Espagne, les moyens du bord
Miquel Barceló, chef du service des urgences de l’hôpital franco-espagnol de Puigcerda, en Catalogne, préfère parler de "critères de sortie d’isolement", plutôt que de guérison du Covid-19. Les autorités sanitaires, côté français comme côté espagnol, préconisent d’attendre "huit jours au moins après les premiers symptômes et 48 heures après la disparition de la fièvre, pour permettre cette sortie d’isolement", toujours accompagnée du port d’un masque pendant au moins sept jours pour le patient. L’idée est d’éviter que le malade soit contagieux à sa sortie de l’hôpital.
Mais ces critères eux-mêmes sont flous, et leur appréciation forcément subjective. Elles est largement compliquée par les divers degrés de gravité de la maladie, les durées variables de temps d’incubation, qui peut aller pour certains patients jusqu’à 14 jours, par la diversité de ses symptômes, et par le manque de fiabilité des tests dont on dispose pour l’instant. D’après Miquel Barceló, il arrive en effet que les médecins constatent des tests "faux négatifs" :
Il y a des tests qui nous reviennent négatifs, alors que le malade est positif. C’est-à-dire, des patients à qui ont fait un test, le test revient négatif et le malade a quand même la maladie. Des fois, on est obligés de refaire le test, une deuxième ou une troisième fois, et là il revient positif. Donc, même là-dessus, on a du mal à étiqueter les genres de sortie de la maladie ou pas. Il y a des signes cliniques qui sont subjectifs, des tests qui ne sont pas fiables à 100%. On s’appuie aussi sur des images radiologiques. Cela fait un faisceau d’arguments mais rien de concret. Le fait que le malade n’ait plus de signes cliniques, appuyé avec un test négatif, va nous faire penser que le malade est sorti d’affaire, mais ce n’est pas sûr à 100%. C’est pour cela que même quand il n’y a plus de signes, on continue l’isolement pendant un certain temps, pour diminuer les chances de contagion. Ou on lui fait porter un masque, parce qu’on n’est pas sûr à 100% qu’il ne soit plus porteur du virus.
Miquel Barceló, chef du service des urgences de l’hôpital franco-espagnol de Puigcerda en Catalogne
La confrontation avec le nouveau coronavirus, responsable du Covid-19, est "une cure d’humilité pour beaucoup de monde", d’après Miquel Barceló, car les membres du corps médical, en Espagne comme en France, se retrouvent face à une maladie que finalement personne ne connaît et sur laquelle les apprentissages se font quotidiennement.
Impossible, par exemple, d’établir le moindre pronostic fiable, à l’arrivée d’un patient. Et l’âge n’est pas un critère valable. "Depuis le début de la crise, on a tout vu, explique Miquel Barceló : des gens âgés, des gens plus jeunes, autour de la soixantaine. L’âge ne joue pas. On pourrait dire, et encore ce n’est pas sûr, que les malades qui ont certaines comorbidités, des maladies chroniques, comme le diabète, l’hypertension, ont plus de chance de le développer, mais il n’y a pas de modèles. _On est face à un virus qui échappe aux modèles qu’on avait jusqu’à maintenant__". _
Comme pour la grippe, qu’ils connaissent évidemment beaucoup mieux, les médecins doivent se contenter, en présence du nouveau coronavirus, d’opérations relevant de ce qu’ils appellent le traitement symptomatique. Miquel Barceló explique ainsi que "quand le malade a besoin d’oxygène, on lui apporte de l’oxygène, on peut aussi l’intuber, ou le placer sous respirateur. On peut lui donner du paracétamol pour combattre la fièvre, mais il n’y a pas de vrai traitement pour soigner la maladie".
Sur l'hydroxychloroquine, Miquel Barceló se refuse à donner un jugement à l’emporte-pièce. De part sa position, notamment géographique, il est pourtant à même d’observer et d’analyser les différences de comportement sur l’usage de ce médicament, en France et en Espagne :
Il y a un comportement plus ou moins téméraire par rapport à ce médicament-là [l'hydroxychloroquine]. C’est-à-dire que là où on est placé, on n’est pas loin de Barcelone, la vitesse de la maladie y est très importante, et il y a beaucoup de malades en réanimation et beaucoup de décès par rapport à l’Occitanie. Et donc, dans les hôpitaux barcelonais, la mise en place de ce médicament est plus importante, parce que je pense, face à cette dérive de la maladie, on se dit : il faut faire quelque chose. Il y a peut-être moins d’arrêt à utiliser ce médicament-là. C’est difficile [de se situer sur ce débat sur l'hydroxychloroquine]. On court après la maladie, on n’est pas devant, donc cela fait prendre des décisions compliquées. C’est sûr qu’on a une maladie qui avance très vite, et qu’on a des moyens peut être qui peuvent améliorer la survie à cette maladie, mais d’un autre côté, moi je crois aussi à une médecine scientifique, une médecine qui a fait ses preuves. Et c’est compliqué. Je n’ai pas la clé, là-dessus.
Miquel Barceló
Sur la question de l’immunité, là encore, l’humilité est de mise, explique Miquel Barceló : "On peut imaginer, une fois le malade guéri de cette maladie, qu’il peut y avoir immunité, puisqu’on observe le développement d’anticorps, mais on ne peut pas le savoir encore".
En Allemagne, le numérique à l'appui
Dans la gestion européenne de cette crise sanitaire, l’Allemagne semble se démarquer. Selon le dernier bilan établi ce mercredi par l’Institut fédéral Robert Koch, le Covid-19 a fait 1 861 morts en Allemagne où 103 228 cas ont été recensés, soit un taux de mortalité de 1,8%.
A travers ces chiffres, certains ont voulu croire à un "miracle allemand". Sans valider l’expression, le docteur Martin Karwat, généraliste spécialisé dans les maladies infectieuses à Munich, avance tout de même une explication. "En Allemagne, on teste plus largement et depuis plus longtemps qu’ailleurs", explique-t-il, précisant que le laboratoire avec lequel il travaille reçoit près d’un millier de prélèvements par jour. De plus, d’après ce généraliste, les premiers patients infectés en Allemagne ont été repérés suffisamment tôt et ont ainsi pu être isolés et suivis.
Pour autant, le professeur Thomas Schulz, virologue à l’Université de Hanovre, réfute le prétendu "miracle allemand". "Il n’y a pas de miracle", déclare-t-il d’emblée. A l’image du généraliste munichois, il s’appuie sur la masse de tests effectués dans le pays. "Nous testons plus largement, donc forcément, nous trouvons plus de personnes malades qu’ailleurs, ce qui fait automatiquement baisser le taux de mortalité", analyse le professeur Schulz.
Ce virologue soulève néanmoins une différence entre l’Allemagne et ses voisins européens. "Les capacités de notre système de santé sont plus élevées qu’ailleurs, c’est une vérité, nous avons plus de lits en soins intensifs que la France ou l’Italie". Au-delà de cela, le professeur Schulz assure que les principes de soin sont les mêmes en Allemagne qu’en Italie ou qu’en France par exemple.
Au début de l’épidémie, on hospitalisait relativement systématiquement les personnes testées positives pour les garder en quarantaine, mais assez rapidement, on a changé notre fusil d’épaule : l’idée, comme ailleurs, c’est de maintenir les gens chez eux le plus longtemps possible et de ne les envoyer à l’hôpital que lorsque cela devient indispensable.
Professeur Thomas Schulz
"A Berlin et dans le Brandebourg, nous avons ainsi mis à disposition des lits équipés de respirateurs artificiels", explique par exemple le professeur Steffen Weber-Carstens, consultant principal au service d'anesthésiologie à l'hôpital de la Charité à Berlin, spécialisé dans la médecine opératoire des soins intensifs. "Mais surtout, poursuit-il, nous avons mis en place une structure de mise en réseau numérique : _à Berlin, tous les hôpitaux Covid sont reliés par un réseau télémédical, ainsi les médecins du Centre d'insuffisance pulmonaire de l'hôpital de la Charité peuvent conseiller les équipes des différentes structures pour les cas les plus difficiles__"_.
Selon ce professeur, en Allemagne, "les symptômes sont traités selon les standards internationaux". "A Berlin et dans le Brandebourg, l'approche est moderne pour traiter l'insuffisance respiratoire, poursuit-il, nous utilisons la ventilation non invasive, la respiration artificielle, des procédures spéciales telles que les positions couchées, mais aussi l'ECMO (extracorporeal membrane oxygenation), une technique qui permet une forme d'oxygénation extracorporelle", détaille celui qui est aussi porte-parole du centre ECMO de La Charité. "Nous devons attendre d'avoir traité un nombre suffisant de patients pour faire une évaluation, alors qu'actuellement, à Berlin et dans le Brandebourg, on compte 180 patients en soins intensifs dont 80% sont ventilés".
D'après le virologue Thomas Schulz, en Allemagne, l'idée est de "laisser les patients sous respirateur artificiel le moins longtemps possible. Au début de l’épidémie, on a pu penser que quelques jours suffiraient, aujourd’hui, on a plutôt l’impression qu’il faut au moins deux semaines en moyenne. Donc en ce moment, quand on place un patient sous respirateur artificiel, on prévoit de le faire pour deux semaines en général. Mais ce n’est qu’une prévision". Ce que confirme le professeur Steffen Weber-Carstens de l'hôpital de la Charité à Berlin, sur la base d'un partage d'expérience d'autres collègues. Selon eux, "les patients sont ventilés pendant environ 14 jours en moyenne, et restent à l'hôpital pendant deux à trois semaines", mais ces chiffres demanderont à être précisés après examen des différents registres à l'issue de la pandémie, pointe l'anesthésiste.
Quant aux antiviraux, nous utilisons tous les concepts de thérapie à disposition dans le cadre d'études et nous administrons les médicaments après une stricte analyse du rapport bénéfices/risques pour le patient. Aucune étude ne permettant de démontrer l'efficacité des médicaments, il est impossible de formuler une recommandation fondée sur des données probantes, toutes les substances (hydroxychloroquine, Kaltetra, Remesivir, Favipiravir, azithromycine…) doivent prouver leur efficacité dans des études scientifiques. Professeur Steffen Weber-Carstens
D’après le généraliste de Munich, le docteur Karwat, "il n’y a pas, à ce jour, de procédure de soin généralisée à tout le pays, tout simplement parce qu’aucune étude ne permet d’assurer que tel ou tel médicament est le plus efficace, ou que telle ou telle molécule n’a pas d’effet secondaire trop lourd sur un patient Covid, il va falloir des recherches supplémentaires pour déterminer cela". Et le professeur Schulz, de l’institut de virologie de Hanovre, va dans le même sens. "Pour l’instant, dit-il, les seules petites études dont nous disposons ne permettent pas de trancher le débat, _nous avons ainsi les mêmes questionnements qu’ailleurs sur l’hydroxychloroquine__"_.
S'il est "trop tôt pour évoquer un retour à la normale", selon le professeur Steffen Weber-Carstens à Berlin, les chiffres des derniers jours en Allemagne seraient en tout cas encourageants, d'après le professeur Thomas Schulz de l'institut de virologie de Hanovre. _"Les optimistes disent que nous avons atteint le pic, ou que nous en sommes très proches, car le nombre d’infection et de décès semble se stabiliser",_ note le virologue. Pour autant, il est évidemment bien trop tôt pour tourner la page. "Ce n’est qu’un sentiment, pas une prédiction scientifique", précise d’emblée le professeur Schulz, mais selon lui, ce virus va encore "nous occuper pendant au moins deux ou trois ans : ce ne sera pas la même situation à gérer évidemment, mais il y aura de nouveaux cas et les personnes âgées vont vivre plus dangereusement ces prochaines années".
"Le problème, poursuit le professeur Schulz, c’est qu’on a de plus en plus de patients qui vont mieux, qui n’ont plus de symptômes, qu’on pourrait penser guéris, mais lorsqu’on effectue un nouveau test, on trouve encore la présence du virus". Et sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres concernant ce coronavirus, ce spécialiste se garde de toute conclusion hâtive. "On ne sait pas non plus à quel point on peut être immunisé une fois qu’on a été infecté", abonde le professeur Thomas Schulz pour qui, là encore, "il est trop tôt pour dire qu’une personne malade, puis guérie, ne présentera plus jamais les symptômes de la maladie".
C'est pour cela que le travail de la recherche s'annonce primordial. Et notamment celui de l'informatique médicale d'après le professeur Felix Balzer, médecin spécialiste en anesthésiologie et professeur pour " E-Health and Shared Decision Allocation" à l'hôpital de la Charité, ainsi qu'au Einstein Center Digital Future de Berlin. "La disponibilité des données est extrêmement importante", souligne-t-il d'entrée de jeu.
L'accent est mis, d'une part, sur la collecte rapide et uniforme des données, d'autre part sur leur consolidation qui générera en bout de chaîne une valeur ajoutée décisive à long terme, pour mieux se préparer à de futurs événements épidémiologiques.
Professeur Felix Balzer.
Felix Balzer souhaiterait à ce sujet, que les patients puissent contribuer directement à la récolte de ces données, à travers des applications par exemple. "Les procédures informatiques peuvent également nous aider à identifier les meilleures pratiques et ainsi s'en servir comme d'un modèle à dupliquer", ajoute Felix Balzer avant de plaider pour un vaste "réseau couvrant tous les hôpitaux universitaires, en Allemagne et au-delà, afin de fournir un soutien basé sur des données pour coordonner au mieux la recherche et les soins apportés aux patients".