Covid-19 et couvre-feu : la vague de problèmes de santé mentale loin d’être retombée

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Covid-19 et couvre-feu : la vague de problèmes de santé mentale loin d’être retombée

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Les problèmes de santé mentale liés à la crise du Covid-19 en France, ne se sont que très partiellement résorbés. L’impact est plus durable chez les jeunes.
Les problèmes de santé mentale liés à la crise du Covid-19 en France, ne se sont que très partiellement résorbés. L’impact est plus durable chez les jeunes.
© Getty - Justin Paget

Entretien. Troubles du sommeil, anxiété, dépression... Des maux liés à la pandémie toujours très inquiétants pour les populations les plus exposées au couvre-feu désormais en vigueur, pour les précaires et pour les jeunes “qui payent un lourd tribut à la crise”, analyse le sociologue Patrick Peretti-Watel.

CoviPrev, l’enquête de Santé publique France, comme toutes les autres enquêtes menées pendant le confinement, a montré une nette dégradation de la santé mentale de la population française. Pendant cette période, entre le 16 mars et le 11 mai, il y a eu une augmentation sensible des symptômes anxieux, des symptômes dépressifs et des troubles du sommeil. Et depuis le déconfinement, on n’assiste qu’à un léger recul ou une stagnation de ces problèmes. Le niveau d’anxiété dans la population française se maintient par exemple à un niveau quasiment constant (17,6% mi-mai, 18% fin septembre). Et les symptômes anxieux, notamment, sont toujours à un niveau très au-dessus de ceux enregistrés avant la crise sanitaire.

Un rapport publié par le ministère de la Santé, il y a quelques jours, le 9 octobre, confirme "les immenses besoins qui sont nés durant la crise et les très nombreux domaines et publics qui nécessitent des compétences en santé mentale".  

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Cette tendance peut s’expliquer par les dégâts "durables" causés par le confinement et la pandémie et par le climat de forte incertitude, bien installé, en l’absence de visibilité sur un possible retour à la normale. L’instauration d’un couvre-feu, pendant au moins 4 semaines, en Ile-de-France et dans huit autres métropoles, ne peut que renforcer les inquiétudes pour les populations les plus fragiles.

Les jeunes et les personnes en difficulté financière restent les plus touchées, en présentant à une très grande majorité encore aujourd’hui des troubles du sommeil dont les conséquences sur la santé sont significatives. 

En France et à l’étranger, le Covid-19 a un "impact désastreux sur l'accès aux services de santé mentale", "aspect oublié de la pandémie" pour l’Organisation Mondiale de la Santé. La pandémie a perturbé ou interrompu les services essentiels de santé mentale dans 93% des pays du monde, selon une enquête de l'OMS dans 130 pays publiée le 5 octobre. L'institution soulignant qu'"il est urgent d’accroître le financement" de ces structures.

Les prises de risque, dans ce contexte, sont plus importantes dans la sphère privée. 

Entretien avec le sociologue Patrick Peretti-Watel, directeur de recherche de l’Inserm, à l'IHU Méditerranée Infection à Marseille, signataire de l’article Anxiété, dépression et problèmes de sommeil : une deuxième vague de Covid-19, et qui avait déjà pointé sur France Culture au mois de juin cette dégradation de la santé mentale, en particulier pour les plus jeunes et les plus précaires. 

Les symptômes anxieux et les troubles du sommeil sont à des niveaux toujours très élevés, plus de quatre mois après le déconfinement en France.
Les symptômes anxieux et les troubles du sommeil sont à des niveaux toujours très élevés, plus de quatre mois après le déconfinement en France.
- Santé publique France

Les dernières données de Santé publique France confirment-elles une tendance lourde de dégradation de la santé mentale ?

Il n’y a pas en tous cas de retour à la situation antérieure. 

Pour le mois de septembre et en particulier pour les symptômes anxieux, les données sont nettement au-dessus de celles disponibles avant la crise et datant de 2017 – il n’y en a pas de meilleures en France - faute de disposer de données de référence pour le début de l’année 2020, qui auraient permis de mieux évaluer cette dégradation de la santé mentale de la population. 

Nous avons nous-mêmes, à l’IHU Méditerranée Infection, constaté ces problèmes de santé mentale, dans le cadre de l'enquête COCONEL (Coronavirus Confinement Etude Longitudinale) menée jusqu’en juin, et nous les avons qualifiés alors de deuxième vague de Covid-19.  

Cette très nette dégradation de la santé mentale, plus de quatre mois après le déconfinement, ne s’est que très partiellement résorbée. Cela peut être lié au fait que les dégâts causés par l’épidémie et le confinement sont durables. Et puisque nous ne sommes pas du tout encore aujourd’hui dans un retour à la normale, le climat actuel encore très anxiogène et les nombreuses craintes autour de l’épidémie alimentent aussi, selon moi, cette vague de problèmes de santé mentale.  

Et dans l’évolution de l’anxiété selon les profils sociodémographiques, malgré une légère baisse générale, nous pouvons observer des variations notables : la baisse est beaucoup plus importante chez les plus âgés que les chez les plus jeunes.  

Autrement dit, l’impact est plus durable et tarde davantage à se résoudre chez les plus jeunes.  

La tendance est similaire, en fonction de la situation financière. La proportion des plus précaires présentant des symptômes d’anxiété, n’a que très peu faibli depuis la fin du confinement, alors que celle des plus aisés s’est fortement réduite.

Les jeunes et les personnes en difficulté financière restent les plus "impactés" en étant, fin septembre, beaucoup plus nombreux à présenter des symptômes anxieux que les seniors et les plus aisés.

Peut-on parler à la fois de différenciation sociale et de différenciation générationnelle ?

Oui et elles étaient somme toute assez prévisibles.  

Les mesures prises par les pouvoirs publics continuent à mettre en difficulté les étudiants et à compromettre des projets d’insertion professionnelle. Des opportunités de stages ou de premiers emplois, suspendus pendant le confinement, ont pu être annulés au bout du compte.  

Impact durable encore : les jeunes adultes, ceux qui étaient déjà les plus touchés pendant le confinement, manifestement, le sont encore... Ce sont leur études, leur avenir qui sont en jeu !  

Et certains secteurs sont frappés de plein fouet. La fermeture des bars, des restaurants ou de salles de sport induit des problèmes aussi bien pour les indépendants qui possèdent ces commerces que pour leurs employés.  

Manifestation le 25 septembre à Marseille, à l'appel de propriétaires de bars et de restaurants contre les mesures de fermeture temporaires de leurs établissement visant à freiner la flambée des cas de Covid-19.
Manifestation le 25 septembre à Marseille, à l'appel de propriétaires de bars et de restaurants contre les mesures de fermeture temporaires de leurs établissement visant à freiner la flambée des cas de Covid-19.
© AFP - Nicolas Tucat

Les troubles du sommeil qui restent à des niveaux très élevés, en concernant fin septembre plus de 65% de la population, continuent aussi à davantage toucher les plus précaires (74,8%) et les plus jeunes (84,1% pour les 18-24 ans).  

Et il ne faut pas les prendre à la légère. Les troubles du sommeil peuvent avoir un impact significatif sur la santé.  

Les jeunes générations payent un lourd tribut à cette crise sanitaire !

Plus de 70% des jeunes de 25 à 34 ans et près de 75% des personnes en situation financière très difficile présentent encore fin septembre des problèmes de sommeil.

L’instauration d’un couvre-feu pendant au moins quatre semaines, en Ile-de-France et dans huit autres métropoles, ne va-t-elle pas accroître cette vague de problèmes de santé mentale ?

Un impact sur la santé mentale est à prévoir, oui, mais sans commune mesure avec celui lié au confinement pendant lequel des familles devaient vivre toute la journée les uns sur les autres et parfois dans des logements exigus.  

Ce couvre-feu va essentiellement peser sur tout ce qui concerne la sociabilité privée festive, comme cela a d’ailleurs bien été dit.  

Et ce sont encore les jeunes qui sont particulièrement visés, puisque face à la crise sanitaire, il s’agit prioritairement maintenant de protéger les plus fragiles, majoritairement les personnes les plus âgés, et de poursuivre l’activité économique

Les jeunes ne sont pas "à risques" pour la plupart et ne sont pas non plus engagés dans des activités productives dites prioritaires pour assurer leur maintien.  

Mécaniquement, ils sont les perdants de l’histoire !

L’enquête de Santé publique France montre que le léger reflux des problèmes de santé mentale est moins évident chez les plus jeunes et les plus précaires financièrement, en considérant séparément les deux catégories.  

Mais il faut savoir qu’elles se recoupent et si on regardait spécifiquement la persistance des problèmes de santé mentale chez les "précaires jeunes", le constat serait sans doute encore plus alarmant.

L’Organisation mondiale de la santé, l'OMS qui demande des fonds pour la santé mentale, vient récemment de la présenter comme une grande oubliée de la pandémie. Quel est votre analyse à ce sujet ?

La situation est très contrastée selon les pays et là encore, ce sont les plus précaires, les pays les plus précaires qui sont le plus impactés, tous ces endroits dans le monde où la santé mentale est malheureusement déjà peu, mal ou la moins bien prise en charge

À l’instar de la forte dégradation attendue cette année des gains que l’on a pu observer depuis des décennies, en termes de baisse de la mortalité infantile ou en termes de baisse du nombre de personnes qui vivent en situation de pauvreté absolue. 

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C’est toujours une question de priorité. Ce n’est pas spécifique à la santé mentale. A partir du moment où des moyens considérables sont déployés pour faire face à l’épidémie, ce ne sont pas ces mêmes moyens qui sont mis ailleurs. 

Et si on peut noter que le continent africain s’en tire mieux pour le moment que l’Europe au plan sanitaire, un très gros impact est à prévoir, puisque les aides internationales vont logiquement, mécaniquement être fortement réduites. 

En termes de santé, il y a eu partout une réaffectation des moyens et ce n’est pas qu’une question d’argent, puisque des actes chirurgicaux sont reportés, des lits d’hôpitaux et médecins, passent d’un service à un autre et sont affectés à un "service Covid"... 

Cette réallocation des moyens financiers, matériels et humains a forcément une incidence sur la santé mentale, comme sur d’autres priorités de santé publique et une influence délétère

Les Français de plus en plus nombreux à accepter de porter un masque en public sont dans le même temps de moins en moins nombreux à se méfier des regroupements et réunions en face-à-face.
Les Français de plus en plus nombreux à accepter de porter un masque en public sont dans le même temps de moins en moins nombreux à se méfier des regroupements et réunions en face-à-face.
- Santé publique France

Autre évolution, double évolution notable, dans l’enquête de Santé publique France : la forte augmentation du port du masque en public et la forte baisse dans le même temps du refus de participer à des regroupements et réunions en face-à-face ? Comment expliquer cette prise de risque dans la sphère privée ?

Comme l’a bien souligné l'épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'université de Genève, le Covid-19 devient finalement un risque parmi d’autres que nous sommes amenés à gérer au quotidien.  

Ce n’est plus une menace qui est prioritaire sur le reste, dans certaines situations. 

Si un rassemblement privé peut procurer des satisfactions ou apparaît comme une contrainte sociale, les gens vont y consentir quitte à s’exposer au virus, en considérant dans ce contexte particulier que le risque est faible.  

Cela est très général dans les comportements humains par rapport à des risques sanitaires : les gens se sentent toujours beaucoup plus en sécurité avec des personnes qu’ils connaissent, même si évidemment ces personnes peuvent tout aussi bien être porteuses d’un virus que des inconnus croisés dans la rue. 

Le 5 septembre dans la rue Sainte-Catherine, la grande rue piétonne et commerçante de Bordeaux, la quasi-totalité des passants portent le masque de protection obligatoire dans le cadre des mesures prises contre la propagation du Covid-19.
Le 5 septembre dans la rue Sainte-Catherine, la grande rue piétonne et commerçante de Bordeaux, la quasi-totalité des passants portent le masque de protection obligatoire dans le cadre des mesures prises contre la propagation du Covid-19.
© AFP - Philippe Lopez

Et si une corrélation peut être établie avec le port du masque, cela voudrait dire que de plus en plus de Français finalement estiment qu’en respectant cette règle, ils peuvent s’affranchir d’autres mesures, comme celle aussi de la distance minimale de sécurité. 

Il y a une forme de compensation, c’est-à-dire qu’on s’autorise une prise de risque, parce qu’on estime que par ailleurs on a un geste préventif dont on pense qu’il est efficace, parce que particulièrement contraignant. 

Et c’est bien cas pour le port du masque, obligatoire à peu partout, mais perçu comme incongru, dans des réunions privées.  

Du point de vue des interactions sociales interpersonnelles auxquelles nous sommes habitués, les gens enlèvent leurs masques et pour eux, c’est complètement naturel. 

Les gens sont très souvent sensibles à un risque en fonction de leur familiarité avec la source de ce risque. 

Exactement de la même façon, si votre famille habite à côté d’une usine chimique depuis plusieurs générations et que vous connaissez très bien les dirigeants et les personnes qui y travaillent, vous n’aurez pas la même perception du risque, que si vous venez toute juste d’emménager au même endroit et que vous n’avez jamais eu de contact avec l'entreprise. 

Cela peut paraître idiot, mais il ne faut pas oublier que l’être humain est un être social.  

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