Covid-19 : la France agroalimentaire en temps de crise

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Covid-19 : la France agroalimentaire en temps de crise

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Supermarché à Chambéry , le 22 mars 2020.
Supermarché à Chambéry , le 22 mars 2020.
© Maxppp - Vincent Isore

Repères. Des réseaux de distribution centralisés mais des sites de productions disséminés : la France est capable de nourrir sa population en cas de crise. Seule inconnue : l'état de santé des travailleurs de l'agroalimentaire.

Le secteur a été déclaré prioritaire par Bercy, alors que sévit "la plus grave crise sanitaire du siècle" selon le président de la République. L'agroalimentaire français est en première ligne lors des crises qui paralysent le pays, puisqu'il lui faut continuer de nourrir la population malgré les risques. Comment est structuré le réseau de production et de distribution alimentaire français ? Les craintes d'une pénurie sont-elles fondées ? Tour d'horizon.

Réseaux de distribution

"Il n’y a aucun risque de pénurie alimentaire ou de rupture d’approvisionnement à craindre en France. Il n’y a donc pas lieu de constituer des stocks personnels de produits." Déclaration de Véronique Neiertz, la secrétaire d'Etat chargée de la consommation en... 1991. A cette date, le déclenchement de la première guerre du Golfe à la fin de 1990 avait fait se ruer les Français dans les magasins. Par crainte, à l'époque, de vivre une troisième guerre mondiale et d'avoir à subir de potentiels rationnements. Crainte dissipée relativement rapidement, mais déjà, comme le prouve les appels à la raison de celle qui était à l'époque en charge de la consommation au gouvernement, le bon fonctionnement des circuits de distribution en France était mis en avant. 

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Ces circuits se sont structurés il y a une quarantaine d'années sous l'impulsion des entreprises intégrées du commerce de détail, maillon final de la chaîne de distribution. Principalement la grande distribution. Cette dernière a cherché à optimiser la taille de ses magasins en fonction de ses fournisseurs, et en cherchant toujours plus de rentabilité. Or cette rentabilité passait par la réduction maximale du volume de ses stocks. Réduction encouragée par la loi : la loi Royer de 1973  réglementant l'urbanisme commercial, et qui demandait à ce que les surfaces commerciales soient massivement dédiées à la vente, et non aux réserves. 

C'est ce qu'explique Marc Filser, professeur de Sciences de Gestion à l'IAE, l'Institut d’Administration des Entreprises à l'Université de Bourgogne, spécialiste des réseaux de distribution :

Marc Filsner, spécialiste des réseaux de distribution

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Les détaillants intégrés se sont mis à réduire le recours aux grossistes et aux entrepôts qui assuraient la fonction de stockage entre magasins et producteurs. Ils ont fait appel à des prestataires de services logistiques qui leur ont permis de rationaliser les flux de marchandises..

Que sont devenus les grossistes ? "Ils n'ont pas disparu, explique Marc Filser, mais leur champ d'activité s'est réduit et ils se sont spécialisés soit en direction de produits spécifiques (produits frais), soit vers des secteurs d'activités comme ce qu'on appelle CHR : Cafés, Hôtellerie, Restauration, qui sont des secteurs où la demande est volatile et où la flexibilité est de mise." 

C'est ainsi que se sont développées des enseignes de libre service de gros, comme Cash and Carry, ou Promocash.

Où se trouvent les stocks ? 

Principalement chez les producteurs et industriels de l'agroalimentaire. Leur volume de stocks est d'ailleurs formalisé à l'occasion des négociations annuelles commerciales qui ont lieu chaque année entre novembre et le 1er mars. Ces négociations contractualisent les exigences des détaillants quant à l’organisation des flux de marchandises, leur volume, leur capacité à être mobilisables et transportables. Pour prévoir cela, les détaillants (qui gèrent les surfaces de vente) disposent d'outils de plus en plus fiables qui permettent d'organiser ce flux-tendu

Paradoxalement, ce système français où la grande distribution est très centralisée (quelques centrales d'achat seulement, et assez peu de concurrence) permet aussi une forte réactivité des flux en fonction de la demande. Une demande qui peut varier d'une région à l'autre : or, cette organisation permet de réaffecter facilement les flux en fonction des variations de la demande. 

Par ailleurs, cette chaîne logistique a déjà eu affaire à des contextes suscitant des achats frénétiques en vue de stockage chez les particuliers (Première guerre du Golfe, épidémie de SRAS en 2005, H5N1 en 2009, mais aussi grèves et blocages) : elle a appris à s'adapter. Selon Marc Filsner, "La situation actuelle est exceptionnelle, mais les acteurs ne sont pas dépourvus de solutions."

Le point crucial reste le transport de marchandises. Le travail des chauffeurs est en effet déjà soumis à de fortes tensions. Cette inquiétude a conduit le président de l'association des industries agroalimentaires (Ania), Richard Goirardot, à mettre en garde contre d'éventuelles difficultés logistiques. "J'appelle à trouver des solutions rapidement pour sécuriser le transport des marchandises (...) En temps de guerre, sans logistique une armée n'est rien", ajoute-t-il, saluant "l'engagement des salariés (de l'agroalimentaire) à remplir leur mission, celle de nourrir les femmes et les hommes".

Des structures de production disséminées sur le territoire, un avantage

Au contraire d'autres industries comme l'industrie automobile, très centralisée, la filière agroalimentaire française possède des unités de production, plutôt de petite taille, disséminées partout sur le territoire (les exploitations agricoles et les PME de transformation notamment). C'est d'ailleurs pour préserver cette "territorialisation" de l'alimentation que plusieurs députés réfléchissent à élaborer une nouvelle "grande loi" sur le foncier agricole, pour éviter la concentration des terres qui serait un danger, justement, pour la dissémination de la production. 

Par ailleurs, ces dernières années, du fait d'une demande croissante, les distributeurs ont accentué leur approvisionnement en produits locaux. Ces derniers occupent une place croissante dans les étals. Cela aussi contribue à la flexibilité des approvisionnements pour répondre à la demande.

Dans l'absolu donc, la France peut largement produire et distribuer les denrées alimentaires nécessaires pour répondre à la demande. Mais le secteur est gros consommateur de main d'oeuvre, et c'est sur cette main d'oeuvre que tout repose, comme l'explique Marc Filsner :

Marc Filsner sur la santé de la main d'oeuvre

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La filière alimentaire demande beaucoup de main d'oeuvre, qu'il s'agisse de l’industrie, de la logistique ou des points de vente. Il faut donc que les employés du secteur restent en bonne santé physique pour continuer de travailler. Mais la production est suffisamment disséminée en très nombreuses petites unités sur le territoire pour faire l'hypothèse raisonnable d'une continuité des approvisionnements en produits alimentaires. 

Tout repose, particulièrement dans le secteur agroalimentaire, sur la force et la capacité de travail de sa main d'oeuvre, parfois très peu rémunérée (cf le salaire moyen des agriculteurs, par exemple). Et pourtant le secteur agroalimentaire français est la première industrie du pays en termes d'emplois. On estime que près de deux millions et demi d'emplois en sont dépendants.  Elle regroupe près de 17 647 entreprises, dont 76% sont des TPE, et 22% des PME. De quoi réfléchir à l'importance stratégique de la filière, rempart essentiel de la population en temps de crise grave.