Un an après le début de l'épidémie, les campagnes de vaccination ont débuté un peu partout dans le monde. Mais cette perspective ravive de nombreuses questions : comment fonctionnent les vaccins ? Sont-ils dangereux ? Fonctionnent-ils face aux "variants" ? France Culture fait le tri.
Le début de la campagne de vaccination a soulevé l'espoir, sinon de retrouver une vie normale, a minima d'endiguer la pandémie de coronavirus. Cet horizon s'est d'abord opposé, en France, à un scepticisme bien ancré : selon une enquête mondiale publiée en 2019 par Wellcome/Gallup, 1 Français sur 3 pense que les vaccins ne sont pas sûrs. Paradoxalement, si beaucoup d'individus estiment que les vaccins sont potentiellement dangereux, ils ne doutent pas pour autant de leur efficacité. En France, alors que la campagne de vaccination s'accélère, la confiance dans les vaccins s'accroit peu à peu : ce sont désormais 56 % des français (contre 42 % fin décembre) qui sont prêts à se faire vacciner.
Les vaccins continuent cependant de susciter beaucoup d'interrogations. France Culture tente de faire le tour de la question de la vaccination, en s'appuyant sur les émissions de la chaîne.
Comment fonctionnent les nouveaux vaccins à ARN messager ?
Le premier vaccin efficace à 95% contre le Covid-19 a été annoncé le 9 novembre par le groupe pharmaceutique américain Pfizer, associé à l'allemand BioNTech. Contrairement aux vaccins classiques, ce vaccin est à ARN messager. Mais que signifie “vaccin à ARN messager” ? L’ARN messager, pour acide ribonucléique messager, est une copie temporaire d’une section de notre ADN. Lorsque l’on injecte dans notre organisme un brin d’ARN messager, on injecte en réalité les instructions d’assemblage qui vont permettre à nos cellules de créer des protéines spécifiques, capables de nous défendre.
Dans le cas du coronavirus, pour schématiser, nos cellules vont produire d’elles-mêmes la protéine S, ou spicule. Les spicules sont les picots qui hérissent la couche extérieure des coronavirus et qui lui servent de porte d’entrée pour infecter les cellules. Mais les spicules sont inoffensives en elles-mêmes : en détectant ces dernières, le système immunitaire va fabriquer les anticorps qui vont permettre de faire rempart aux coronavirus.
Le vaccin à ARN présente pour avantage, en l’état actuel des technologies, d’être facile à développer. La nouveauté a néanmoins pour corollaire un manque de recul scientifique sur les éventuels effets secondaires, comme le rappelait Nicolas Martin, producteur de "la Méthode scientifique", dans La Question du jour :
Il faut être un peu prudent. On est face à une technologie émergente très prometteuse, certes, facile à produire, mais peut-être avec quelques effets secondaires qui peuvent apparaître sur le long terme.
Pourquoi faut-il vacciner un certain seuil de population ?
On en a beaucoup entendu parler au fil des derniers mois : les vaccins permettent d'atteindre la fameuse "immunité de groupe". "On parle aussi d'immunité collective ou d'immunité grégaire, précise Nicolas Martin dans l'émission "Radiographies du coronavirus". C'est en fait la part de la population qui doit être immunisée, donc qui doit avoir développé des anticorps, pour qu'une épidémie puisse être interrompue. Et cette part de la population, c'est un calcul assez logique qui correspond en fait au taux de reproduction initial : le R0, c'est-à-dire le nombre de personnes qui sont contaminées par une seule personne malade" :
Si on prend un R0 de 3 (c'est-à-dire qu'une personne malade va en contaminer 3 autres), si on fait quelques calculs, 1 000 personnes en contaminent 3 000, 3 000 en contaminent 9 000, etc. C'est la logique épidémique exponentielle. Or, si dans la population, 50% des gens sont immunisés, eh bien 1 000 personnes ne contaminent plus 3 000 personnes, mais 1 500. Et si on monte à 66 % et au-delà de 70%, au-delà de deux tiers, 1 000 personnes en contaminent un peu moins de 1 000. Et donc, c'est la fin de l'épidémie puisque il n'y a plus de progression exponentielle. Ce qui veut dire qu'aujourd'hui, selon les chercheurs, pour atteindre cette immunité de groupe, il faudrait bien que deux tiers de la population soit immunisés.
L'objectif des vaccins est donc de permettre d'atteindre 66% de personnes immunisées à une maladie donnée. Aujourd'hui, face au Covid-19, le taux d'immunité en France était estimé, à l'issue de la première vague, à 4,4% de la population.
Les vaccins, rappelons-le, ont permis d'éradiquer la variole (qui avait un taux de mortalité de 30%), et de réduire de 86 % le nombre de décès causés par la diphthérie ou la poliomyélite. Les vaccins ont également considérablement réduit le nombre de morts dus à la coqueluche, la rougeole, le tétanos ou encore l'hépatite B.
Quelle est la stratégie française de diffusion du vaccin ?
Avec un tel impact sur nos vies, on pourrait s'attendre à ce que les gens se ruent sur cette solution au Covid-19. Entre le mois de décembre et le mois de janvier, les intentions des Français quant aux vaccins ont vu un changement s’amorcer : ils sont désormais 54% à y être favorables, soit 15 points de plus qu’en janvier. La défiance face aux vaccins reste néanmoins de mise, et le gouvernement français devra donc faire preuve d'une grande pédagogie.
Malgré quelques accros au démarrage, le calendrier de vaccination se poursuit donc en France. Pour le gouvernement français, la vaccination doit se dérouler en trois étapes :
La première campagne de vaccination doit être réservée aux résidents et professionnels de santé à risque et âgé de plus de 65 ans des Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), des unités de soins longue durée, des résidences autonomies et des résidences services seniors. Soit 1 million de personnes qui peuvent être vaccinées d’ici fin janvier.
Face aux critiques, le gouvernement a avancé la seconde partie de la campagne de vaccination de deux mois. Cette campagne, qui concerne les personnes présentant un facteur de risque, une pathologie chronique, et les professionnels de santé, pompiers et aides soignants âgés d’au moins 50 ans (soit 14 millions de personnes) a donc débuté dès début janvier, et non au mois de février comme initialement prévu. Le gouvernement a également lancé lundi 18 janvier la vaccination des plus de 75 ans quel que soit leur lieu de résidence, soit 5 millions de personnes.
La troisième phase, toujours prévue à la fin du printemps, permettra d'élargir la vaccination aux autres tranches de la population de plus de 18 ans. Pour faire face au défi logistique, 800 centres de vaccination ont été ouverts.
Mais se pose encore le problème de la pénurie : sur les 12 millions de doses nécessaire à la campagne de vaccination, seuls 1,6 millions d'entre elles ont été reçues (1,545 million du vaccin Pfizer-BioNTech et 55 000 de celui de Moderna).
Que sont les “variants” du Covid-19 ?
VUI-202012/01, 501.V2, P1… Depuis quelques semaines, des “variants” du coronavirus, c’est-à-dire des mutations du virus Sars-Cov-2, sont apparus et inquiètent la communauté scientifique. La mutation en elle-même n’est pas réellement une surprise : comme tous les virus, à l’instar de la grippe, le Sars-Cov-2 mute. Il ne s’agit pas d’une mutation volontaire de sa part, mais d’erreurs dans son code : lorsque le virus se reproduit, il recopie sa séquence ARN composée de 30 000 nucléotides. Pour chaque copie, il fait environ une erreur. La plupart du temps ces dernières sont sans conséquences pour le virus, voire négatives. Mais il arrive également que certaines lui bénéficient, comme le racontait Etienne Simon-Lorière, virologue et responsable de l’unité Génomique évolutive des virus à ARN à l’Institut Pasteur, dans La Méthode Scientifique :
Les mutations, ce sont des erreurs de copie. Lorsque le virus fait des copies de son génome, lorsqu'il va infecter une cellule, c'est quelque chose qui est effectivement relativement rare. [...] Il y a un système de relecture et donc on a une situation où, lorsque le virus copie son génome entier, qui fait presque 30 000 nucléotides, il fait en moyenne une erreur. Évidemment, quand on considère que ce sont des milliers, voire des milliards de copies de virus qui sont faites au sein d'une personne pendant le cours de cette infection, ça fait énormément de chance de faire des changements qui vont venir s'accumuler au génome. Ce qui nous intéresse et qu'on suit au cours de l'épidémie, ce sont les mutations qui sont fixées dans l'épidémie, qui ont eu un succès épidémiologique et qu'on voit se diffuser dans les populations. On parle alors de substitution et ce nombre-là, c'est ce qu'on estime. Et on estime qu'en moyenne, le Sars-Cov-2 accumule environ un petit peu moins de deux mutations chaque mois. Si l'on compare des variants que l'on détecte, qu'on séquence aujourd'hui, un peu plus d'un an après l'apparition du virus, on peut s'attendre à un peu plus d'une vingtaine de changements par rapport au virus originel.
Ce sont ces mutations qui ont donné lieu à l’apparition de différents variants du Sars-Cov-2, et que les journalistes nomment, par facilité pédagogique, en fonction de leurs lieux d’apparition.
- Le variant britannique, ou VUI-202012/01
Nommé "B.1.1.7" ou "VUI-202012/01" (pour Variant Under Investigation n° 1 du mois de décembre 2020), le variant “britannique” serait plus contagieux que la forme “standard” du Sars-Cov-2. Selon le premier ministre britannique, Boris Johnson, il est 70 % plus contagieux que le virus classique. Cette nouvelle version du virus présente 23 mutations, comparativement au génome du virus originel, séquencé au début de l’épidémie. Parmi ces dernières, huit impliquent la protéine de spicule présente à la surface du virus, qui permet d’infecter les cellules des êtres humains. D’après une étude publiée dans Annals of Surgery début novembre [en anglais], le SARS-CoV-2 accumule une à deux mutations par mois. Un rythme deux fois moins rapide que celui de la grippe, et quatre fois moins élevé que celui du VIH. Le variant VUI-202012/01 présente donc un nombre anormalement élevé de mutations. “Il y a des hypothèses qui sont discutées, explorées, explique Etienne Simon-Lorière. [...] Ce variant aurait pu évoluer au sein d'une personne immunodéprimée et dans lequel un nombre plus grand de mutations que ce qu'on attend en moyenne aurait pu se fixer dans le génome puisqu'il n'y avait pas de défenses immunitaires pour essayer de contrer le virus.” La crainte reste celle d’une plus grande contagiosité du virus, avec un taux de reproduction de 0,4 à 0,7 fois plus important que le virus habituel : si ce dernier n’est, dans l’état actuel des connaissances, pas plus mortel, une plus grande contagiosité augmentera mathématiquement le taux de mortalité, et rendra d’autant plus difficile d’endiguer la pandémie. Dans les faits, rien n’a encore définitivement prouvé que ce variant a une plus grande transmissibilité, même si de nombreux indices convergent dans cette direction. La mutation N501Y est particulièrement étudiée : elle affecte la protéine de spicule du virus et augmenterait nettement la liaison chimique entre le virus et les cellules humaines, ce qui favoriserait l’infection.
- Le variant sud-africain ou 501.V2
Si le variant sud-africain diffère du variant britannique, les deux virus partagent beaucoup de similarités. Cette nouvelle occurrence du virus possède elle aussi son lot de mutations, dont plusieurs affectent la protéine spike. L’une de ces mutations repérée dans le variant sud-africain, baptisée E484K, n’est pas présente dans le variant du Royaume-Uni, et pourrait diminuer la reconnaissance du virus par les anticorps et donc faciliter une réinfection. On y retrouve également la mutation N501Y. Tout comme pour le variant britannique, le variant sud-africain n’est pas plus pathogène, mais il semble être bien plus contagieux.
- Le variant brésilien ou P.1
C’est au Japon qu’a été identifié le variant brésilien. Parmi plusieurs mutations, les chercheurs ont une fois encore trouvé les mutations N501Y et E484K. Le variant brésilien a cependant eu pour particularité de toucher la population de la ville de Manaus, pourtant déjà durement touchée par l’épidémie de coronavirus, au point que les scientifiques estimaient que l’immunité de groupe n’était pas loin d’être acquise… ce qui n’a pas empêché une flambée de recontaminations. Une constatation qui fait craindre un variant plus contagieux et qui remet en question l’immunité acquise après une première contamination.
- Et de nombreuses mutations à venir ?
On l’a vu, les mutations du Sars-Cov-2 sont très nombreuses. On en a d’ailleurs dénombré plus de 80 000 depuis l’apparition du virus : dans leur immense majorité, elles disparaissent naturellement, n’apportant rien au virus. A en croire les résultats de ces dernières semaines, nous ne sommes cependant pas à l’abri de futures mutations du coronavirus. Dans Le Journal des sciences du 18 janvier 2021, Natacha Triou rappelait ainsi que deux nouveaux variants américains, portant des mutations génétiques encore jamais observées, sont en train d’être étudiés...
La vaccination protège-t-elle de ces variants ?
Exception faite du variant anglais, il n’y a pas au 20 janvier 2020 trace des variants brésiliens ou sud-africains en France. Mais d’après les épidémiologistes, le variant anglais risque bien de devenir prédominant d’ici le mois de mars. Ce dernier est d’ailleurs d’ores et déjà apparu dans au moins 60 pays et territoires. Face à ce risque de recrudescence épidémique, les vaccins sont-ils encore utiles ? Le 8 janvier dernier, Pfizer-BioNTech ont assuré que leur vaccin était efficace contre la mutation N501Y, présente dans le variant anglais. Mais leurs analyses en laboratoire n’ont pas encore porté sur la mutation E484K : il est encore trop tôt pour conclure à l’efficacité du vaccin contre les variants brésilien ou sud-africain. En l’état actuel des connaissances, les scientifiques estiment cependant que rien ne permet de conclure que les vaccins ne seront pas efficaces contre cette mutation.
“Tous les candidats vaccins qui sont en cours de déploiement en ce moment vont présenter à l'organisme l'ensemble de la protéine de spicule, qui est une grande protéine. Et donc, ce n'est pas parce qu'il y a un ou deux changements localement et même ici sept ou huit changements le long de la protéine, que l'ensemble des anticorps vont être moins efficaces. Certains de ces anticorps pourraient être moins efficaces. Les autres, eux, seront toujours capables de se lier à la protéine et l'empêcher de faire la liaison et d'entrer dans la cellule”, précisait à ce sujet Etienne Simon-Lorière, virologue et responsable de l’unité Génomique évolutive des virus à ARN à l’Institut Pasteur, dans La Méthode scientifique. Comme avec la grippe, il va cependant falloir envisager d’adapter les vaccins aux diverses mutations. La technique de vaccin ARN devrait permettre de s'adapter relativement rapidement en cas de changement majeur :
Ce sont des techniques qui nécessitent pas de longue période d'adaptation, comme cela avait pu être fait historiquement pour le vaccin contre la fièvre jaune ou le vaccin contre la rougeole. C'est quelque chose qui a été synthétisé en copiant ce qui a été séquencé tout au début de l'épidémie en Chine et donc faire une adaptation c'est très, très rapide en effet.
Le dirigeant du laboratoire allemand BioNTech, Ugur Sahin, a ainsi assuré, lors d’une conférence de presse, qu’il était capable “techniquement de délivrer un nouveau vaccin en six semaines” en cas de mutation du virus. “En principe, la beauté de la technologie de l’ARN messager est que nous pouvons directement commencer à concevoir un vaccin qui imite complètement la nouvelle mutation”.
Les vaccins suffiront-ils à nous protéger ? Et combien de temps le feront-ils ?
Il risque d’être difficile d’atteindre l’immunité collective grâce au vaccin : ce résultat dépendra grandement de leur efficacité face au taux de contagion du Covid-19. Concernant la rougeole, par exemple, environ 95 % de la population doit être vaccinée pour atteindre l'immunité collective.
Pour ce qui est du Covid-19, selon une étude parue début octobre dans l'American Journal of Preventive Medicine, l’efficacité du vaccin devait être de 60 % dans le cas où 100 % de la population se fait vacciner, et de 80 % si cette couverture descend à 75 % de la population, comme lorsque la vaccination n’est pas obligatoire. Avec des taux d’efficacité supérieurs à 90 %, les premiers vaccins devraient donc remplir leur rôle efficacement. Cependant, pour une efficacité maximum, il faut également que le vaccin soit stérilisant, c’est-à-dire qu’il protège contre la transmission du virus. Dans l’immédiat, on sait que les vaccins développés protègent l’individu vacciné, mais on ignore encore s’ils empêchent la transmission de cet individu vers un autre. De la même façon, les données manquent encore pour savoir combien de temps ces derniers protègent un individu du virus. S’ils s’avèrent efficaces durant quelques semaines, il faut maintenant découvrir si cette protection se prolonge plusieurs mois, voire plusieurs années.
Dans l'état actuel des connaissances scientifiques, on estime cependant que le vaccin protège à titre individuel, mais que la personne vaccinée peut rester contagieuse, même si elle le sera probablement moins, en raison d'une charge virale plus faible.
En l’absence de ces données, la communauté scientifique, l’OMS en tête, se veut prudente et rappelle qu’en l’état, le vaccin ne suffira pas à mettre fin à l’épidémie, même s’il devrait permettre de l’enrayer, et elle insiste pour que les mesures prises continuent d’être appliquées, notamment les gestes barrières.
Comment les vaccins contre le covid-19 ont-ils pu être développés si rapidement ?
Longues, onéreuses : les techniques de développement des vaccins sont connues pour prendre plusieurs années et coûter extrêmement cher. Mais on sait que la mobilisation internationale a permis de débloquer des fonds hors normes pour accélérer la recherche d’un vaccin efficace contre le Sars-Cov-2. Là, où il faut en moyenne compter 1 milliard d’euros pour le financement d’un vaccin classique, plusieurs milliards ont ici été alloués à la recherche en plus des fonds propres de l’industrie pharmaceutique. Les Etats-Unis ont investi plus de 10 milliards d’euros avec le projet “Warp Speed”, l’Union européenne a quant à elle débloqué plus de 2 milliards. Indépendamment, certaines structures ont également débloqué d'autres financements, tel le CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations) qui a aidé neuf programmes de recherche différents à hauteur de 1,3 milliard de dollars. Si l’augmentation des financements n’est pas une surprise, le raccourcissement des délais l’est plus : l'inquiétude légitime d'un vaccin mal maîtrisé, car développé trop vite, a été soulevée de nombreuses fois.
Il faut d'abord rappeler que l’étude du Sars-Cov-1, à l’origine de l’épidémie de SRAS en 2002, si elle n’avait pas débouché sur un vaccin, a permis de mieux anticiper le fonctionnement du Sars-Cov-2, et donc d’accélérer d’autant le processus de recherche. La technologie “nouvelle” - utilisée depuis les années 90 - des vaccins à ARN a ainsi permis, une fois le génome du Sars-Cov-2 séquencé, de développer des candidats vaccins à une vitesse encore jamais vue : les premiers essais ont pu débuter dès le mois de mars. L e vaccin développé par Moderna par exemple [en anglais] a été créé dès le 13 janvier, quelque jours à peine après le séquençage du génome, ce qui a permis au laboratoire de se consacrer très rapidement aux phases d'essais.
Quant aux processus de vérification des vaccins, ils ont été considérablement accélérés : l’Agence européenne des médicaments (EMA) a créé des procédures pour évaluer plus rapidement qu’à l’accoutumée les vaccins en développement [en anglais] sans pour autant déroger à la rigueur scientifique. La “rolling review” consiste ainsi à analyser les données fournies par les laboratoires toutes les deux semaines et doit ainsi permettre de réduire le processus de 210 jours à moins de 150 jours. Par ailleurs, les résultats des entreprises pharmaceutiques font toujours l’objet d’une vérification par des comités d’experts indépendants.
Il faut rappeler que la fabrication d’un vaccin, une fois créé et testé sur des animaux, se déroule en quatre étapes pour l’homme :
- La phase 1 consiste à tester le vaccin sur quelques dizaines de personnes afin d’en vérifier l’immunogénicité (provoque-t-il une réponse immunitaire ?), l’innocuité (provoque-t-il des effets indésirables), et la tolérance du corps humain au produit.
- La phase 2, cette fois menée sur plusieurs centaines de personnes, continue de vérifier les paramètres de la phase 1, mais essaye aussi de déterminer quelle est la meilleure posologie : à quel moment vacciner, à quelle dose, et quelle fréquence adopter ? Combien de temps le vaccin protège-t-il ?
- La phase 3 consiste à tester le vaccin sur plusieurs milliers de personnes. Elle vise à déterminer la balance bénéfice/risque du vaccin et à établir son efficacité à grande échelle. Cette étude permet aux laboratoires, lorsque les résultats sont positifs, de poser des demandes d’autorisation de mise sur le marché auprès des agences concernées.
- La phase 4 est celle de la pharmacovigilance : elle a pour but la surveillance de l’évolution du vaccin une fois ce dernier diffusé et le signalement de tout effet secondaire encore inconnu.
Ces étapes prennent, en temps normal, plusieurs années. Elles ont été, face à l’urgence, accélérées grâce aux nouveaux protocoles mis en place et une concentration de moyens encore jamais vue.
Pour gagner du temps, les laboratoires ont également pris le risque de lancer simultanément plusieurs phases : les phases 1 et 2 ont ainsi été lancées concomitamment, puis les phases 2 et 3 se sont également chevauchées. Il s’agit ici d’une prise de risque dans la course au vaccin, l’échec d’une phase entraînant naturellement l’arrêt des phases suivantes. De la même façon, certains laboratoires, comme Pfizer, ont décidé de lancer la production de leurs vaccins avant même d’avoir obtenu l’aval des autorités, afin d’assurer une distribution plus rapide et de réduire les délais pour la mise sur le marché des vaccins. Toutes ces pierres apportées à l’édifice ont permis de développer, bien plus rapidement qu’à l’accoutumée, des vaccins contre le Sars-Cov-2, sans pour autant se départir de la nécessité d’une recherche scientifique stricte et rigoureuse.
Pourquoi de la défiance à l’égard des vaccins ?
L'hésitation vaccinale a rejoint, en 2019, les dix grandes menaces mondiales pour la santé identifiées par l'Organisation mondiale de la santé, et l’Unicef alertait quant à elle d'une préoccupante recrudescence des cas de rougeole dans le monde.
La défiance à l'égard des vaccins n'a pourtant rien de nouveau. Ils sont mis en question dès leur apparition, pour des raisons théologiques notamment, mais aussi en raison des ratés de la vaccination à une époque où l'immunologie n'existe pas encore, comme le rappelait Françoise Salvadori, docteure en virologie/immunologie, dans une émission de "La Méthode scientifique" sur les origines de la défiance vis-à-vis des vaccins :
Le mythe de l'empoisonnement, on va toujours le retrouver. Mais à ce moment-là, c'était le matériel lui-même qui était le poison. Quand la pratique de bras à bras s'est répandue, ce qui était malheureusement aussi répandu, en même temps que la vaccine, c'était les maladies conjointes, c'est-à-dire qu'on sait que ça a été une grande pourvoyeuse de syphilis. Parce que ne sachant pas comment se transmettaient les maladies, qu'un sang était potentiellement contaminé, la peau également. Quand on prenait chez quelqu'un pour immuniser quelqu'un d'autre, on prenait aussi tout ce qu'il hébergeait, y compris la syphilis.
"Il y a quatre thèmes récurrents qui sont réactualisés à chaque époque, raconte l'historien des sciences Laurent-Henri Vignaud. Il y a d'abord le thème de la religion, du destin, la question de savoir si on peut s'autoriser à se prévaloir contre le destin. Le deuxième thème est celui de la nature, on conçoit la vaccination comme un geste artificiel et donc contre-nature. Le troisième thème est celui des sciences alternatives, c'est le discours des gens qui ne croient pas à la théorie des germes et à l'immunologie. Enfin, un dernier thème qui a toujours existé mais qui est particulièrement fort aujourd'hui, c'est le thème politique : il s'agit de savoir si un État peut forcer ses citoyens à recevoir un vaccin s'ils n'en ont pas envie ou n'en ressentent pas le besoin."
La défiance, de nos jours, provient de plusieurs sources : non seulement l'incompréhension d'une obligation à se faire vacciner qui ne fait pas toujours sens, mais aussi la crainte des effets secondaires potentiels pour la santé, notamment en raison des adjuvants, pourtant mis hors de causes au cours de nombreuses études, et absents des vaccins à ARN messager. Ces deux inquiétudes se nourrissent d'une méfiance vis-à-vis de l'Etat et de ses possibles collusions avec de grands groupes pharmaceutiques.
Pourquoi certains vaccins sont-ils obligatoires ?
Longtemps, seuls trois vaccins ont été obligatoires pour les enfants en France, ceux contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite. En janvier 2018 sont venus s'y ajouter huit autres vaccins, cette fois contre la coqueluche, l’haemophilus, l'influenza B, l’hépatite B, le méningocoque C, le pneumocoque, la rougeole, les oreillons et la rubéole.
Invité en 2017 de "La Méthode scientifique", Lise Barnéoud rappelait alors que les trois premiers vaccins obligatoires "sont uniquement un héritage historique. Ce sont les trois premiers vaccins, au début de la première moitié du XXe siècle, à avoir été proposés à toute la population. Et les vaccins qui ont été ensuite mis sur le marché plutôt après les années 1950-1960, l'ont été sur un mode de recommandation. Donc, effectivement, aujourd'hui, les trois obligations vaccinales ne font aucun sens en termes épidémiologiques. Ce ne sont pas les vaccins qui évitent le plus de décès. [...] Il y avait deux options : soit on levait toutes les obligations, soit on on les étendait."
En 2017, si le gouvernement a décidé de rendre un certain nombre de vaccinations obligatoires, c'est parce qu'il a observé que les taux de de vaccination diminuaient, et avec eux l'immunité globale jusqu'ici acquise. Or, si les contaminations ne sont pas toujours mortelles, elles peuvent avoir à terme des conséquences graves, telles des fièvres importantes, des pertes de mobilité, d'audition ou de fertilité. L'obligation de vaccination vise donc à maintenir l'immunité de groupe, ce qui permet également de protéger les personnes qui ne peuvent pas, pour des raisons de santé, se vacciner.
Le choix d'un vaccin à un jeune âge s'explique principalement par le fait que les nouveau-nés ont un système immunitaire encore insuffisant : leur entrée en crèche présente donc plus de risques de contaminations.
Parmi ces vaccins, celui contre l'hépatite B a particulièrement interrogé les parents. Pourquoi vacciner des nourrissons contre une maladie qu'ils ont très peu de chance d'attraper avant l'adolescence, cette dernière se transmettant essentiellement sexuellement ? C'est parce que les stratégies mises en place pour faire vacciner les personnes à risque (et adultes donc) se sont révélées peu efficaces. Pour y remédier, l'OMS a alors conseillé de faire vacciner contre l'hépatite B les préadolescents ou les nourrissons. Si le choix s'est porté sur les nourrissons, c'est parce que le vaccin contre l'hépatite B se fait lors d'un vaccin hexavalent, c'est-à-dire un vaccin qui protège contre plusieurs maladies en une seule fois, ce qui permet, à terme, d'éviter de multiplier les injections.
Dès 2018, l'obligation de vaccination a eu des effets tangibles : le pourcentage d’enfants vaccinés par un vaccin hexavalent est passé de 92 % en mai 2017, à 98 % en mai 2018. L'augmentation la plus impressionnante concernant le méningocoque C, pour lequel la couverture est passée de 39 % en 2017 à 75 % en 2018.
Du point de vue de Caroline Tourbe, chef du service médecine, science du vivant, au magazine Science et vie, l'obligation reste cependant une méthode peu constructive sur le long terme et "le premier pari à prendre, c'est celui de la pédagogie vis-à-vis des vaccins. Il y a vraiment besoin de ça et de rétablir un peu le calme sur ce qu'on peut entendre sur les vaccins. C'est le plus important".
Rappelons que ces vaccins, malgré leur caractère non-obligatoire par le passé, ont d'ores et déjà prouvé leur efficacité : l'introduction du vaccin contre la poliomyélite, par exemple, a permis de réduire le nombre de cas de 1657 en 1958 à 0 actuellement. Un an plus tard, en 1959, le vaccin contre la coqueluche a lui permis de réduire les cas de 5 500 à 40 en 1985.
Et "Big Pharma" dans tout ça ?
On l'a vu, la défiance vis-à-vis des vaccins peut être portée par les accusations de collusions entre le gouvernement et les lobbies pharmaceutiques. Il convient de rappeler que le business des vaccins n'est pas le plus rentable dans l'univers de l'industrie pharmaceutique : il ne représente ainsi "que" 27 milliards d’euros en 2019, soit 3% du marché du médicament, et est disputé par cinq laboratoires pour 80% du marché : J&J, Pfizer, Merck, GSK et Sanofi.
Le LEEM (l’organisation professionnelle des entreprises françaises du médicament) explique ainsi que la création d'un vaccin est extrêmement onéreuse par rapport à celle d'un médicament classique, tant financièrement que sur le temps investi, souvent une dizaine d'années. C'est la raison pour laquelle les industries pharmaceutiques établissent souvent des partenariats avec des organismes de recherche public.
"L'argument de dire que c'est pour enrichir les laboratoires, c'est un argument que l'on entend beaucoup, précise Caroline Tourbe, toujours dans 'La Méthode scientifique'. Est-ce que les vaccins enrichissent les laboratoires ? Oui, sûrement. Est-ce que cela les enrichit particulièrement? Je ne pense pas que ce soit vraiment un fonds de roulement particulièrement important en ce qui concerne les 11 obligations vaccinales en France. Encore une fois, c'était des vaccins qui étaient déjà recommandés, largement utilisés par la population française. Je ne pense pas que ces vaccins soient une histoire de business, mais que les vaccins ce soit du business, oui, ça en est. Les nouveaux vaccins peuvent être extrêmement chers, les remboursements qui sont proposés, pour les papillomavirus, liés à des virus qui donnent certaines formes de cancer du col de l'utérus, là ce sont des vaccins très, très chers qui ne sont pas forcément remboursés. Là oui, c'est du business."
"Les laboratoires feraient beaucoup plus de profits si on ne se faisait pas vacciner, rappelle plus prosaïquement le médecin Baptiste Beaulieu dans une vidéo publiée sur Facebook. Tout simplement parce qu'un vaccin contre la méningite c'est 50 €, alors qu'une hospitalisation pour une méningite avec le traitement antibiotique, c'est au moins 8 000 €".
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