Depuis le 8 avril, la ville de Wuhan, d'où est parti le coronavirus cet hiver, entre en phase de déconfinement. Un assouplissement progressif, qui s'opère, comme partout en Chine, dans des conditions très strictes. Et avec l'aide massive des technologies, au détriment des libertés individuelles.
La vieille horloge de Wuhan Guan sonne ce mercredi 8 avril pour annoncer la fin du confinement. Il est minuit. Sur le fleuve Yang Tse, qui traverse la ville de Wuhan, les sirènes des bateaux se mêlent aux cris de joie et d’émotion de quelques habitants qui se sont rassemblés sur la place.
Une jeune femme hurle : "Allez Wuhan, notre Wuhan est revenue."
Prise par surprise le 23 janvier, quand les autorités chinoises ont bouclé le berceau de la pandémie, Tan Zheqian, une artiste de 28 ans, s’est levée à 4 heures du matin pour quitter la ville et rejoindre enfin ses parents, qui vivent à 150 kilomètres d’elle, dans la province du Hubei. La police retire les barrières qui bloquaient l’accès aux autoroutes. Pour elle, après 76 jours de confinement, c’est la ruée vers la liberté :
Je suis surexcitée. Je suis restée à la maison pendant plus de deux mois. Je ne suis jamais sortie de la résidence. Le bureau administratif du quartier m’aidait à faire les courses. J’étais stressée. Dès que j’ai appris la date du déconfinement, j’ai attendu ce jour [le 8 avril] avec impatience. J’ai su que le pire était derrière nous.
Le Jour J, c’est effectivement l’effervescence dans les gares – 55 000 passagers prennent le train – et à l’aéroport, qui rouvre enfin – 11 714 personnes se précipitent. Toutefois, le nombre de vols et de trains au départ de Wuhan reste limité. Pour aller à Pékin en train, 1 000 billets sont vendus chaque jour. Les clients doivent réserver en ligne, ils ne choisissent pas la date du voyage et attendent d’être contactés.
Le retour des familles et des travailleurs dans la capitale est par ailleurs très encadré. Dans chaque wagon, pas plus de cinq personnes par rangée, avec un siège vide au milieu. Et à l'arrivée à Pékin, une voie est réservée pour le train de Wuhan. Dès leur débarquement, les passagers sont soumis à un test de dépistage et une navette les conduit chez eux, où ils sont mis en quarantaine pour deux semaines.
Le signal d’un assouplissement des restrictions a été donné le 10 mars par Xi Jinping, qui faisait une visite surprise dans la ville-épicentre du Covid-19. Le Président chinois s’est déplacé symboliquement le jour où le ministère de la Santé annonçait une chute spectaculaire des nouvelles contaminations – officiellement 19 cas –, en rupture avec les centaines de nouveaux cas annoncés quotidiennement en février.
Assouplissement contrôlé
"La propagation de l’épidémie est pratiquement jugulée", s'est alors félicité Xi Jinping, masque turquoise sur le visage. Mais, a martelé le Président chinois, "il ne faut pas relâcher l’effort dans la guerre de défense du Hubei et de Wuhan".
C’est ainsi qu'a débuté un timide déconfinement : dès le 10 mars, les 56 millions d’habitants du Hubei, à l'exception de la population de Wuhan, avaient le droit de circuler en restant à l’intérieur des frontières de la province.
Le 20 mars, à Wuhan, les habitants des résidences où aucun nouveau cas de contamination n’était à déplorer recevaient l’autorisation de se dégourdir les jambes en bas de chez eux, sans sortir du périmètre fixé. Pour le faire, ils doivent appeler les comités de quartiers, qui programment les sorties à raison de quatre fois par jour par groupe de 150 habitants, pour 40 minutes maximum. Entre chaque sortie, l’ascenseur, les escaliers, les tables de ping pong et les balançoires sont désinfectés.
Depuis le 25 mars, les habitants du Hubei ont été autorisés à voyager partout en Chine à condition d’être testés négatifs au Covid-19.
Mais ce déconfinement a suscité la peur dans la province voisine du Jiangxi. Considérés comme des parias, porteurs potentiels du Covid-19, des gens du Hubei ont été bloqués sur un pont qui relie les deux régions. Le 27 mars, des émeutes éclataient.
Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
Au niveau national, une nouvelle tendance commençait à inquiéter le gouvernement central. Les cas de personnes contaminées arrivant de l’étranger, essentiellement des Chinois fuyant la pandémie, étaient de plus en plus nombreux. Les vols internationaux à destination de Pékin ont été déroutés vers d’autres villes chinoises, où les passagers étaient soumis à des test de dépistage avant, le cas échéant, d’être autorisés à rejoindre la capitale.
Le 28 mars, la Chine fermait ses frontières aux étrangers.
Le 1er avril, pour la première fois, la Commission nationale de la santé a intégré dans le bilan officiel les patients infectés par le nouveau coronavirus ne présentant aucun symptôme. Jusque-là, le nombre de cas asymptomatiques était gardé confidentiel. Les autorités l’ont-elles fait sous la pression de l’opinion publique, qui s’inquiète du risque d’être contaminée à l’heure du déconfinement ? Selon le South China Morning Post, quotidien de Hong Kong, qui cite des documents officiels non publiés, le nombre de cas asymptomatiques en Chine s’élèverait à 40 000.
L'arme technologique
Face au risque d’une deuxième vague de contamination, le gouvernement met désormais en place un nouvel outil high-tech. "Big Brother" entre en action. Pour repérer et contrôler les déplacements des cas suspects et des malades, la Chine déploie un code QR – un visuel qui, scanné, renvoie des informations – sur les téléphones portables.
A Pékin, il en existe de toutes sortes. Ainsi, chaque résidence ou centre commercial a mis en place son propre code, qui autorise ou pas l’accès aux lieux. La capitale a lancé un "Health Kit", téléchargeable sur l’application sur smartphone en renseignant son nom et une photo du passeport ou de la carte d’identité. Le Conseil d’État développe également le sien. Y en aura-t-il un seul au niveau du pays, un par province, un par magasin ou résidence ? Ce n’est pas clair.
Une chose est sûre, depuis quelques jours, il est impossible d’entrer dans un grand centre commercial de la capitale sans montrer au personnel de sécurité son code QR de couleur verte. Il est obligatoire dans le métro et dans un nombre croissant de restaurants, combiné à la prise de température.
Mais la situation peut se révéler confuse. Pour preuve, ce dimanche, beaucoup d’étrangers à Pékin ont eu la surprise de constater que leur code QR était passé de vert (normal) à orange (quarantaine obligatoire chez soi), pour finalement repasser au vert dans l’après-midi, ce qui a provoqué une certaine émotion dans la communauté des expatriés.
Tous les Chinois ne s'en inquiètent pas pour autant. Tel ce client d'un centre commercial, qui pianote sur son smartphone pour exhiber son code QR vert :
Grâce à la fonction de localisation dans le portable, on sait où vous êtes allés ces derniers jours. Si vous avez quitté Pékin récemment, ou s’il y a des cas infectés dans votre résidence. Vous devez montrer ce code QR à l’entrée de tous les bâtiments, c’est rassurant.
Ce témoignage est assez révélateur de l’état d’esprit de nombreux Chinois. L’arrivée de ce nouvel outil rassure plus qu’il n’affole.
Dans un article publié en mars, Jean-Pierre Cabestan, professeur de Sciences politiques à l’Université baptiste à Hong Kong, note que pour la société chinoise, la sécurité est plus importante que la liberté. La facilité avec laquelle beaucoup de Chinois adoptent ce nouvel outil technologique, analyse ce spécialiste de la Chine contemporaine, est le résultat d’une forte numérisation de la société, devenue "dépendante" aux nouvelles technologies.
En Chine plus qu’ailleurs, ajoute Jean-Pierre Cabestan, "la tablette magique (est) rapidement devenue une drogue sans laquelle les gens ne peuvent vivre".
Dans son article de 30 pages intitulé "L’État et la société digitale chinoise, Big Brother Xi Jinping vous regarde", le sinologue illustre à de nombreuses reprises cette addiction numérique : 79,6 % des consommateurs achètent en ligne, en particulier sur la plateforme Taobao du géant Alibaba, 1 sur 2 gère son compte bancaire en ligne, la plupart des Chinois n’ont plus de portefeuille ni de billets de banque ; durant l’épidémie, ils ont préféré payer via les applications We Chat et Alipay.
L’arrivée du code QR ne soulève donc pas de résistance majeure, au même titre que la reconnaissance faciale, qui a été présentée au peuple comme "un joyau de l’innovation domestique".
Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
Une lente normalisation
Les Pékinois et les habitants de Wuhan, qui sont en première ligne, ont bien compris qu'un retour à la normale prendra du temps. Les mesures sanitaires qui encadrent la levée des restrictions sont chaque jour plus contraignantes.
La capitale de la Chine, siège du pouvoir et vitrine du pays, est devenue une forteresse qui exige que les arrivants aient un résultat négatif du test au Covid-19 et fassent une quarantaine de deux semaines. Le masque est toujours obligatoire dans les espaces publics, les rassemblements restent interdits. Une liste des "mauvais comportements" – ne pas porter le masque, cracher par terre… – est sur le point d’être publiée.
Le gouvernement a annoncé la réouverture des écoles, à partir du 27 avril pour les lycées et le 11 mai pour les collégiens. Pour les plus petits, aucune date n’a encore été communiquée. L’épreuve du Gaokao, l’examen national d’entrée à l’université, pour 10 millions de jeunes Chinois, est programmée les 7 et 8 juillet.
La session annuelle du Parlement, le plus grand rendez-vous politique de l’année, reportée sine die pour cause d’épidémie, et la réouverture des frontières aux étrangers seront le signal que l’épidémie a été maîtrisée en Chine. Mais qui osera venir à Pékin dans ces conditions, se désole une jeune habitante, qui regrette déjà la vie d’avant.
Avec la contribution de Wu Hannuo