Culture générale : les Français de moins en moins sûrs d'eux, affirme une étude
Par Éric Chaverou
Quid de notre culture "G" ? En saurions-nous moins qu’avant ? Pour son dixième anniversaire, la revue trimestrielle "l'éléphant" vient de publier une étude commandée à l'Ifop sur notre ressenti à ce sujet. Et les personnes interrogées se révèlent toujours moins confiantes, en particulier les jeunes.
Au pays des lumières et de l’Encyclopédie, notre culture générale serait-elle en déclin ? La revue de culture G l'éléphant s'est interrogée à l'occasion de son dixième anniversaire et a publié ce jeudi une étude de l'Ifop menée via internet, du 10 au 14 novembre dernier, auprès d'un échantillon représentatif d'un millier de Français (1 001 personnes). Ni test ni contrôle de connaissances, mais bien des questions sur ce que chacun éprouve à ce sujet. Ces réponses ayant pu souvent être mises en perspectives par rapport à de précédentes enquêtes menées en 2012 et en 2017.
Voici en cinq enseignements commentés ce que l'on peut retenir de cette étude intitulée 'Culture générale : le déclin français ?'
La hiérarchie de ces savoirs reste "assez traditionnelle"
Commençons par la définition de cette culture générale. Quels savoirs sont ici évoqués ? Une liste a été déterminée par l'institut de sondages et la revue, avant d'être soumise aux personnes interrogées. Sans que celles-ci ne puissent suggérer d'autre item, quand curieusement pas un n'a trait directement à la politique par exemple.
Sur la base de ces dix propositions, Gautier Jardon, chargé d'études senior de l’Ifop, explique que "les Français ont une hiérarchie assez nette et assez traditionnelle des disciplines qui entrent dans la culture générale. Tout ce qui est biologie, sciences dures, va être plus aisément cité que les disciplines plus 'dominées' en langage sociologique, ou qui pourraient être considérées comme de la sous-culture, comme le rap, le street art ou la bande-dessinée." L'art contemporain obtenant près des trois-quarts des avis, fruit d'après l'analyste d'une certaine institutionnalisation.
Dans le détail, ces résultats passent au tamis d'"une lecture assez générationnelle" : la hiérarchie assez forte marquée par des disciplines traditionnelles correspond surtout aux plus âgés, "et à l'inverse, la hiérarchie existe toujours parmi les plus jeunes mais elle est beaucoup plus lisse, ils vont être beaucoup plus libéraux dans leur définition de la culture générale. La moitié des moins de 35 ans estiment ainsi que le rap et l'astrologie en font partie".

"Un élément presque patrimonial", plus personnel
C'est une confirmation de la tendance apparue en 2017 : un bon niveau de culture "G" est avant tout considéré comme primordial pour "bien élever ses enfants" (à 67%, en hausse de 6 points). "Un vrai basculement" s'est opéré selon Guénaëlle Le Solleu, la cofondatrice et rédactrice en chef de la revue : "Nous avons eu l'impression que la culture était un élément presque patrimonial, dans une logique de transmission que l'on juge de plus en plus importante. Et à l'inverse, le côté utilitariste de la culture générale, que ce soit pour comprendre notre monde ou pour réussir sa vie professionnelle, c'est en retrait". La journaliste lie cette évolution à notre rapport au travail qui change : "Le moindre engagement pour le monde du travail fait que l'on est peut-être moins engagé aussi dans des découvertes de sujets de culture générale. Et d'une certaine manière, tout cela serait très intériorisé, pour la sphère personnelle."

Un ressenti de plus en plus dégradé, y compris par rapport à nos voisins étrangers
Les Français interrogés expriment une opinion d'eux-mêmes toujours plus mauvaise au regard de deux précédentes études, en 2017 et en 2012. "Ils ont l'impression d'en connaître moins qu'avant et dans des proportions assez importantes", commente Guénaëlle Le Solleu. La moitié des personnes interrogées considèrent ainsi que les Français ont moins de connaissance qu’il y a cinquante ans et cet avis a augmenté de 17% en dix ans.
L'estime de soi par le biais d'une auto-notation sur 10 a également baissé depuis 2017. 64% des Français sollicités avaient alors estimé détenir un niveau de culture générale assez élevé, quand ils ne sont plus aujourd'hui que 58%. L’Île-de-France s’évaluant mieux pourvue que le reste du territoire.
Autre opinion négative : près d'un tiers de la population pense le niveau de ses connaissances inférieur à la moyenne des autres pays occidentaux. Ce chiffre ayant presque doublé depuis 2012 ! "Non seulement on en sait moins, mais on en sait moins que nos voisins" résume la journaliste, quand sa revue y voit "un sentiment récent de déclassement".
"Je ne sais même pas si c'est de la modestie. On n'est pas optimistes, écoutez les discours ambiants sur l'école ou la vie en société", avance Guénaëlle Le Solleu. D'ajouter que "peut-être qu'on sait plus de choses, mais plus en surface. C'est vrai que nous n'avons pas posé cette question".

Les jeunes se révèlent les moins confiants dans leurs acquis
Ce constat alarmant au sujet de la culture générale est particulièrement marquant chez les jeunes. Ils s’auto-attribuent d'ailleurs les plus mauvaises notes en la matière. La cofondatrice et rédactrice en chef de la revue y voit notamment la conséquence d’un pessimisme ambiant et de discours répétés sur la baisse du niveau de l’école, même si les jeunes sont a priori mieux armés qu'auparavant : "C'est un peu le paradoxe : alors que les jeunes ont quand même, me semble-t-il, accès à beaucoup plus de savoirs, beaucoup plus d'informations, et on apprend beaucoup à l'école et de manière générale, ils manquent davantage de confiance. Nous sommes dans un contexte de déprime générale, on n'arrête pas de taper sur l'école, avec objectivement des classements qui ne sont pas forcément très bons, on entend dire que les profs eux-mêmes ne sont plus motivés, avec le discours sur le niveau des élèves qui baisse, le bac qui ne sert plus à rien". Sans oublier la remise en question des sources liée à la multiplication des fake news ou infox.
Mais au-delà des complexes qu'ils pourraient avoir, Guénaëlle Le Solleu souligne la honte qu'ils confessent : "61% des moins de 25 ans ont déjà ressenti un manque de culture générale dans le cadre professionnel. Cela m'a paru vraiment énorme ! Alors que la totalité des Français, c'est 37%. Les jeunes ne sont pas du tout dans la revendication de leurs savoirs, dans l'arrogance. Et ce qui est étonnant, c'est que même dans un cadre amical ou familial, où l'on pourrait se dire que l'enjeu n'est pas très important, les jeunes ressentent davantage de honte que la moyenne des Français".
Les universitaires, les enseignants et les livres restent les premiers plébiscités pour alimenter sa culture "G"
Le trio de tête des meilleures sources revendiquées pour nourrir ses savoirs demeure très classique : les chercheurs et les professeurs dominent largement à près de 80%, suivis d'un rien par les livres. Les encyclopédies en ligne sont dites ensuite fiables, même si leur crédit est dans le détail bien moindre. Les pouvoirs publics apparaissent sous la barre des 50%, tout comme, encore derrière, les journalistes, puis les créateurs de contenus et influenceurs, à seulement 11%.
"Cela montre que finalement, malgré tous les bouleversements, les remises en cause et fake news, un socle de référence subsiste", analyse la journaliste, qui confie sa (bonne) surprise : "On s'attendait à une confiance importante de la part des jeunes dans ces nouveaux contenus qu'ils consultent beaucoup, mais ils savent qu'ils sont sponsorisés, ils savent ce qu'est du placement de produit et que tout n'est pas crédible. Une éducation s'est faite et les jeunes ne sont pas dupes".

À écouter : Sans oser le demander, l'émission de culture générale de France Culture