Dana W. White, ancienne porte-parole du Pentagone : "Trump ne va pas disparaître"
Par Franck Mathevon
Entretien. À l'heure de l'investiture de Joe Biden, de grandes voix dressent leur bilan des quatre années écoulées. Pour la républicaine Dana W. White, l'Amérique a voulu "promouvoir la liberté et la démocratie sans forcément donner le bon exemple". En cause : ses divisions, que Biden pourrait pallier.
Dana W. White, 44 ans, se définit comme une républicaine : "Je crois en ce parti et en ses principes." Elle a travaillé avec de nombreux responsables républicains, dont le défunt sénateur John McCain. Entre janvier 2017 et décembre 2018, elle a été porte-parole du Pentagone, un poste-clé de l’administration Trump. Jim Mattis était alors secrétaire à la Défense. Il a démissionné le 20 décembre 2018 après que Donald Trump a annoncé le retrait des troupes américaines de Syrie.
Dana White, qui travaille aujourd’hui pour le constructeur automobile Hyundai, préfère ne pas révéler son vote de novembre dernier. Mais on devine qu’elle ne porte pas dans son cœur Donald Trump, qui a déboussolé le parti républicain.
Quel bilan tirez-vous de ces quatre dernières années ? Comment situer le mandat de Donald Trump dans l’histoire des États-Unis ?
Beaucoup de gens présentent Donald Trump comme étant le problème, mais je crois qu’il a été le symptôme d’un phénomène beaucoup plus profond dans la société américaine depuis vingt ans, le fait que des idées totalement opposées s’affrontent sur ce qu’est l’Amérique et ce qu’elle devrait être. Cette élection présidentielle et les quatre dernières années ont mis cela au premier plan.
Pour vous, Donald Trump est donc une figure clivante symptomatique de ces divisions ?
Je pense que l’Amérique était déjà fracturée avant Donald Trump. Il a exacerbé les divisions de l’Amérique, des divisions devenues encore plus manifestes après le 11 septembre. Les avis ont alors divergé sur ce que devait être notre rôle dans le monde. Nous avons voulu promouvoir la liberté et la démocratie sans forcément donner le bon exemple ici aux États-Unis.
Quel a été pour vous le moment le plus marquant de ces quatre dernières années ?
Il y en a eu tant... Mais naturellement, pour moi, le moment le plus marquant a été la démission du Secrétaire à la Défense James Mattis. Pour lui, nos alliés étaient essentiels pour la crédibilité de l’Amérique. Il disait souvent qu’il ne mènerait jamais un combat auquel seuls les États-Unis prendraient part. Et donc je me suis dit ce jour-là que le monde devait se réveiller et se demander : que veut dire "America First" ? Qu’est-ce que cela signifie pour la crédibilité de l’Amérique dans le monde ?
Quel regard portez-vous sur les événements du 6 janvier dernier au Capitole ? Était-ce également un moment marquant à vos yeux ?
C’était très dérangeant d’assister à cela. Mais ce qui est survenu au Capitole, ce qui s’est passé avec le mouvement Black Lives Matter, par exemple lors des émeutes de Seattle après la mort de George Floyd, toutes les violences qui ont résulté des divisions politiques de notre pays ont été l’aboutissement d’un sentiment d’abandon de beaucoup d’Américains qui estiment ne pas être écoutés.
![Juin 2020, à Seattle. "Toutes les violences [y compris du Capitole] ont été l’aboutissement d’un sentiment d’abandon de beaucoup d’Américains qui estiment ne pas être écoutés", estime Dana White.](https://www.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/2021/01/8fae2fdd-94fc-4458-a514-4dfcd9a1b056/860_063_1218413512.jpg)
Pour tirer les leçons de cela, il faut répondre aux besoins de tous les Américains, pas seulement ceux de l’Amérique démocrate ou de l’Amérique républicaine. J’espère que compte tenu de son histoire et de son expérience, Joe Biden pourra réconcilier les habitants de ce pays et s’occuper de tous les Américains, pas seulement ceux des villes ou ceux des campagnes, de tous les Américains.
Depuis les événements du Capitole, il existe semble-t-il trois Amériques : celle de Trump, celle des Démocrates, et celle de nombreux Républicains déçus par Donald Trump. Partagez-vous cette analyse ?
Oui, Donald Trump a mis le parti républicain sens dessus dessous. J’ai travaillé pour le sénateur John McCain, qui appartenait à cette faction du parti anti-Trump totalement sidérée par ce qui est arrivé aux Républicains. Des millions de gens ont rejoint le parti uniquement en raison de Trump et de son message. Il faut rappeler que Donald Trump a affronté en 2016 les meilleurs candidats du parti depuis une génération et il les a tous battus ! Il les a anéantis.
Trump n’a pas eu tout le temps tort. Les deux camps, démocrates et républicains, n’étaient plus en phase avec ceux qu’ils étaient censés représenter.
Il faut être conscient qu’une partie des partisans de Bernie Sanders auraient pu basculer pour Trump. Donald Trump a bouleversé tout l’establishment. Evidemment, son influence a été majeure au sein du parti républicain, mais les deux camps ont été concernés. Il va falloir se ressaisir, ou alors la "balkanisation" de l’Amérique ne fait que commencer.
Plusieurs responsables du Parti républicain, comme aujourd’hui le chef des sénateurs Mitch McConnell, semblent disposés à condamner Trump après les violences au Capitole…
Absolument. De nombreux républicains ont condamné ce qui s’est passé. Je n’ai pas vu autant de condamnations des violences côté démocrate quand des gens ont brûlé des villes, pillé des magasins, détruit des statues, ou insulté des officiers de police.
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La loi et l’ordre, c’est aussi ce qui fait la grandeur de l’Amérique. La loi doit s’appliquer à tous. Si nous étions plus cohérents, nous ne verrions pas ce genre de drame. Beaucoup de ceux qui ont pris d’assaut le Capitole étaient en colère parce que depuis quatre ans, l’homme qu’ils soutiennent a été constamment attaqué par l’establishment. Dès le début, les médias ont estimé que [Donald Trump] n’était pas légitime car les Russes l’avaient aidé à être élu. Il a subi un tir de barrage. Et ensuite, ses partisans voient des villes brûlées, ils entendent parler d’une réduction du financement de leur police (le mouvement Defund the police). Voilà le problème.
Pensez-vous que Donald Trump restera une voix qui compte dans les années à venir, en 2024 par exemple ?
Je vous le dis : Trump ne va pas disparaître. Il a un formidable mouvement derrière lui. Beaucoup de personnes sont en colère et continuent à le soutenir. Ses partisans l’aiment et le suivront quoi qu’il advienne.
Mais il y a aussi beaucoup d’électeurs qui ont eu envie d’ouvrir la porte pour voir ce qui se passe, qui se sont dit "j’ai bien envie de tordre un peu le système". Trump a perdu une grande partie de ces soutiens qui se disent maintenant "il faut passer à autre chose".
Qu’attendez-vous de Joe Biden ? Quelle doit être sa priorité ?
Sa priorité doit être de ramener un peu de calme et de bon sens dans le processus politique. Compte tenu de sa longue expérience de sénateur, il est très bien placé pour parler aux gens des deux camps.
Joe Biden est capable de parler aux électeurs de Pennsylvanie ou du Wisconsin qui ont voté Trump. Mais il peut aussi dire aux électeurs de gauche qu’il faut par exemple préserver les financements de la police.
Joe Biden a aussi promis de s’occuper du problème des discriminations, des tensions raciales. Vous identifiez-vous au mouvement Black Lives Matter ?
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Pas du tout. Je ne peux pas m’identifier à un mouvement qui souhaite réduire les financements de la police. Je suis une femme noire, j’ai eu mes soucis avec la police. Je ne suis pas naïve sur les problèmes que rencontrent les noirs avec cette institution. Mais quand j’ai besoin d’un policier, je veux qu’il puisse me venir en aide. Je crois en la loi et l’ordre. Je fais confiance au travail difficile que les policiers effectuent chaque jour. Je suis horrifiée de voir des gens crier sur des policiers.
Et j’en veux à ceux qui présentent Black Lives Matter comme un slogan. Je suis un individu. Je veux qu’on considère les noirs comme des individus et pas comme un groupe de gens qui resteront à jamais des victimes à la merci de l’establishment des blancs.