Son ouvrage "Le Rappel à l'ordre : enquête sur les nouveaux réactionnaires" publié en 2002 dénonçait la droitisation des intellectuels. L'historien des idées est mort à 77 ans. Réécoutez deux émissions où il décrit son travail.
C'était l'homme d'un petit livre qui avait fait grand bruit : l'historien des idées Daniel Lindenberg, auteur de l'essai Le Rappel à l'ordre : enquête sur les nouveaux réactionnaires, est mort vendredi à Paris à 77 ans. Le parcours politique de cet intellectuel reconnu et prolifique a traversé l'histoire de la gauche de la seconde moitié du XXe, du marxisme au républicanisme en passant par 68. Mais c'est avec ce bref essai (94 pages) dénonçant la droitisation du débat public publié en 2002 qu'il a déclenché l'un des plus impressionnants feux de forêt idéologiques français récents.
Procès contre mai 68, le métissage ou la liberté des moeurs
A peine quelques mois après le choc du 21 avril, où Jean-Marie Le Pen a éliminé Lionel Jospin et s'est retrouvé au second tour de l'élection présidentielle face à Jacques Chirac, Daniel Lindenberg dépeint la "libido réactionnaire" d'intellectuels, notamment venus de la gauche et ouvrant de grands procès contre la culture de masse, la liberté des moeurs, mai 68, le métissage ou encore l'islam. Invité de l'émission la Suite dans les idées de Sylvain Bourmeau en 2002, il y décrit alors son ouvrage et ce qui l'a conduit à l'écrire.
Daniel Lindenberg dans "la Suite dans les idées" le 13/11/2002
54 min
Ce qui m'a frappé c'est qu'avec une grande virulence un certain nombre de gens mettaient en cause ce qui pendant 30 avait paru comme une conquête, quelque chose sur lequel on ne reviendrait pas, (...) même pour une partie de la droite par exemple pendant l'époque giscardienne. Il y avait un consensus qui s'est brisé et c'est de gens parfois eux mêmes venus de la gauche radicale, avec d'ailleurs le même ton radical que lorsqu'il étaient à gauche, sont devenus radicaux, je ne dirais pas à droite, mais que j'appelle néo-réactionnaires. J'ai beaucoup hésité, "néo-conservateur" ça a des lettres de noblesse en sciences politiques. Habermas a beaucoup utilisé ce terme pour montrer ce qui s'était passé en Allemagne et aux Etats-Unis. Et parfois être conservateur n'a rien de répréhensible, on peut être conservateur par rapport à des valeurs qui risquent [d'être attaquées] dans le nihilisme contemporain. Alors j'ai choisi néo-réactionnaires pour me faire bien comprendre
Et Daniel Lindenberg s'est très bien fait comprendre. Son livre, qui cible explicitement des intellectuels comme Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Pierre-André Taguieff ou Pierre Manent, au côté des écrivains Maurice Dantec et Michel Houellebecq, déclenche un tollé. "Un tintouin, un ramdam", dit Daniel Lindenberg, qui regrette alors le ton virulent et parfois personnel pris par la polémique déclenchée par son ouvrage qu'il refuse de qualifier de "pamphlet". "C’est un petit livre prophétique, commentait en 2016 dans Libération l’historien des idées à Oxford, Sudhir Hazareesingh. Malgré lui, son auteur anticipe merveilleusement la France depuis les années Sarkozy."
Fracture de la gauche
Si la controverse prendra une telle tournure -émissions de télés et de radio par dizaines, tribunes en tous sens dans les journaux- c'est qu'elle fracture notamment la gauche à un moment où celle-ci commence à se fissurer. Une gauche de l'après-seconde guerre mondiale que connait avec précision Daniel Lindenberg. Né à Clermont-Ferrand en 1940 de parents juifs polonais qui tentaient de passer en zone libre, il fera des études d'histoire et de sociologie à la Sorbonne avant d'adhérer à l'Union des étudiants communistes dans les années 60.
L'extrême-gauche française est en plein bouillonnement et Daniel Lindenberg est au coeur de cette ébullition des cinquante nuances du marxisme de l'époque. Il rejoint ainsi l'Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (d'obédience maoïste), avant de finir par rompre avec le marxisme, comme le rappelle le Monde. Son parcours passe par aussi par mai 68, l'université de Vincennes puis la recherche d'une tradition socialiste non-marxiste, la revue Esprit, le PS et le jospinisme_._ Un chemin analysé par Jean Birnbaum dans les Matins du samedi:
Jean Birnbaum sur Daniel Lindenberg dans "Les Matins du samedi"
5 min
Si l'historien des idées a aussi travaillé sur le conflit israélo-arabe et une tradition juive humaniste et laïque, c'est son oeuvre sur la montée des réactionnaires dans l'intelligentsia qui marque son parcours. En 2009, il donne ainsi une suite au Rappel à l'ordre (le Procès des Lumières), en ouvrant le débat sur l'international.
Daniel Lindenberg dans "la Suite dans les idées" le 5/9/2009
29 min