Dans le Haut-Karabakh, le désarroi des civils dans un conflit aveugle

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Dans le Haut-Karabakh, le désarroi des civils dans un conflit aveugle

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Le 4 octobre 2020, Celestino Arce immortalise la solitude et le désarroi d'une vieille arménienne, seule devant une maison délabrée, alors que pleuvent les bombes azéries à à Stepanakert.
Le 4 octobre 2020, Celestino Arce immortalise la solitude et le désarroi d'une vieille arménienne, seule devant une maison délabrée, alors que pleuvent les bombes azéries à à Stepanakert.
© AFP - Celestino Arce / NurPhoto

Le monde dans le viseur. Depuis l'effondrement de l'URSS, le Haut-Karabakh est le théâtre de crispations nationalistes. Des crispations qui se muent en conflits aveugles, dont les civils, arméniens ou azéris, sont les premières victimes. Telle cette vieille dame armée, fragile rempart devant sa maison à Stepanakert.

C’est l’histoire d’un conflit entre deux pays, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui se disputent un petit territoire montagneux, le Haut-Karabakh. Cette enclave, dont la population est à majorité arménienne, est située en territoire azerbaïdjanais. Elle a fait sécession en 1991, dans la foulée de l’éclatement de l’URSS.

Les deux pays se sont livrés à une guerre sanglante dans les années 1990. 30 000 personnes ont été tuées des deux côtés, des centaines de milliers d’autres ont été contraintes de fuir, alimentant une forte rancœur parmi la population azérie. La première guerre du Haut-Karabakh s’est terminée par une trêve en 1994, mais aucun accord de paix n’a été signé pour régler ce conflit. D’autres accrochages se sont produits, notamment en 2016, jusqu’à fin septembre 2020, où des combats meurtriers ont de nouveau éclaté entre les forces arméniennes et azéries.

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Et cette nuit, la Russie a obtenu un cessez-le-feu sur place. Les ministres des affaires étrangères arménien et azerbaïdjanais ont accepté samedi une interruption des combats à des fins humanitaires. C’est le premier espoir de paix depuis la reprise des affrontements fin septembre.

Les civils dans le viseur

Cette photo a été prise par le photographe indépendant espagnol Celestino Arce le 4 octobre à Stepanakert, la capitale de la république auto-proclamée du Haut-Karabakh. La ville est la cible de bombardements réguliers de la part des forces azéries, qui affirment viser non pas les civils mais les systèmes de défense arméniens.

Cette vieille dame est assise sur les marches de sa maison. Elle tient dans ses mains un fusil.

Cette habitante de Stepanakert a retrouvé, pour défendre sa maison, un fusil de chasse. Est-ce celui de son mari ou de son fils ? Que pourrait bien faire cette vieille dame au châle rouge et au foulard de grand-mère avec ce fusil plus grand qu'elle ? Contre qui pourrait-elle bien tirer ? Le sait-elle elle-même ?

Un regard grave, partagé entre résignation, , crainte et incertitude.
Un regard grave, partagé entre résignation, , crainte et incertitude.
© AFP - Celestino Arce / NurPhoto

"Son regard fixé par le photographe nous montre la crainte et l'incertitude", explique Roger Motte, grand reporter qui a couvert de nombreux conflits pour France 2, notamment la guerre en Bosnie entre 1992 et 1995, en tant que journaliste reporter d'images.

Les Enjeux internationaux
12 min

En Arménie comme en Azerbaïdjan, les autorités ont décrété la loi martiale. Une rhétorique belliqueuse a nourri la ferveur patriotique. Aucun retour en arrière ne semble possible. Car pour les deux camps qui se battent, le Haut-Karabakh est au cœur de l’identité à la fois des Arméniens et des Azerbaïdjanais.    

"Cette photo de Celestino Arce symbolise pour moi tout ce que l'Europe a connu au cours des dernières décennies, que ce soit en Bosnie, au Kosovo, ou en Tchéchénie avec toujours les mêmes images de populations démunies, victimes de conflits qui les ramènent toujours aux mêmes schémas et aux mêmes drames, poursuit Roger Motte. Des civils pris dans la fureur d'une guerre qui se forge sur d'anciennes querelles religieuses et ethniques."

La fureur nationaliste 

Il y a dans ce cliché tout le paradoxe et l'absurdité des guerres "nationalistes" qui touchent les populations civiles.

Des mains qui s'agrippent à une arme, comme un geste de survie dans l'absurdité d'une guerre "nationaliste".
Des mains qui s'agrippent à une arme, comme un geste de survie dans l'absurdité d'une guerre "nationaliste".
© AFP - Celestino Arce / NurPhoto

L'image est prise en très légère contre-plongée, à hauteur de la vieille dame, ce qui nous permet de voir aussi sa maison bien modeste. Le cadrage assez large nous montre également toute la fragilité de cette petite mamie déterminée à ne pas bouger et à défendre son bien. On imagine qu’elle a connu la première guerre du Haut-Karabakh, dans les années 1990. Peut-être a-t-elle aussi perdu des membres de sa famille dans les combats de l’époque…  

Tout dans cette image montre la précarité de la vieille dame et de ses maigres biens, mais aussi sa détermination. Regardez comment ses mains s'agrippent à l'arme. Rien ne l'arrêtera même si la porte entrouverte laisse présager qu'elle va rentrer se mettre au chaud à un moment donné.

Une porte entrouverte, comme une possibilité de repli dans un ultime refuge.
Une porte entrouverte, comme une possibilité de repli dans un ultime refuge.
© AFP - Celestino Arce / NurPhoto

Cette nouvelle flambée de violence dans le Haut-Karabakh fait craindre un embrasement dans toute la région du Caucase, ce qui aurait un effet déstabilisateur sur d’autres pays, notamment la Géorgie ou l’Iran voisins. Les deux parties au conflit bénéficient du soutien de deux poids lourds régionaux : la Turquie, qui a toujours soutenu l’Azerbaïdjan face à son adversaire historique qu’est l’Arménie, et la Russie qui ménage les deux anciennes républiques soviétiques et fournit des armes à chacun des belligérants.

Moscou, qui co-préside le groupe de Minsk avec la France et les États-Unis, a proposé une médiation. Tous les efforts entrepris par le groupe de Minsk avaient échoué jusqu’à présent. Le Kremlin et Paris ont réclamé la fin des combats. Jusqu'au cessez-le-feu de cette nuit. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a répété que le Haut-Karabakh était un territoire azéri et qu’il ferait tout pour le récupérer. Les autorités azerbaïdjanaises réclament par conséquent un retrait immédiat des forces armées arméniennes. De leur côté, les autorités arméniennes affirment être prêtes à faire des concessions à condition que Bakou en fasse aussi…

Le Haut-Karabakh, enclave revendiquée par l'Arménie en territoire azeri.
Le Haut-Karabakh, enclave revendiquée par l'Arménie en territoire azeri.
© Radio France - Rédaction internationale