David Murgia : "Une culture accessible. Toujours et en toutes circonstances"
Par Hugo Boursier, Emmanuel LaurentinCoronavirus : une conversation mondiale. Alors que le théâtre royal flamand a inauguré lundi un spectacle-test, 150 lieux culturels rouvriront leur porte, dans la désobéissance, du 30 avril au 8 mai, à l'initiative du mouvement Still Standing For Culture. Le comédien David Murgia, nous raconte la genèse de ce collectif dont il est membre.
Dès le début du confinement l’équipe du Temps du débat a commandé pour le site de France Culture des textes inédits sur la crise du coronavirus. Intellectuels, écrivains, artistes du monde entier ont ainsi contribué à nous faire mieux comprendre les effets d’une crise mondiale. La liste de ces contributions à cette Conversation mondiale entamée le 30 mars, continue de s'étoffer et dépasse maintenant les 100 contributions. En outre, chaque semaine, le vendredi, Le Temps du débat proposera une rencontre inédite entre deux intellectuels sur les bouleversements actuels.
David Murgia est comédien et metteur en scène. En Belgique, il est l’un des membres du mouvement Still Standing For Culture, qui depuis un an mobilise une large part du secteur culturel. Après des mois de cartes blanches, de mobilisations, de performances artistiques et politiques dans l’espace publique en faveur de la reprise des activités culturelles, ce mouvement a décidé de passer à l’étape supérieure : la réouverture, en désobéissance, de 150 lieux culturels, du 30 avril au 8 mai, dans le respect des protocoles sanitaires mis en place il y a neuf mois. Dans ce cadre, Still Standing For Culture s’installera aux Halles de Schaerbeeck, un centre culturel important à Bruxelles, pour organiser chaque soir des cabarets-débats regroupés sous le titre : « Sortir de l’urgence, réinventer l’avenir ».
Rassemblement d’artistes, de fédérations artistiques et de lieux culturels, Still Standing For Culture a d’abord émergé, au début de la crise sanitaire, dans l’attente d’indemnités pour les travailleurs de la culture - qui pour rappel, ne disposent pas en Belgique de reconnaissance en tant qu’intermittents du spectacle. L’action du mouvement s’est construite pour refuser l’idée d’une Culture considérée comme une simple variable d’ajustement, en créant progressivement des solidarités avec d’autres pans de la société (notamment les activités porteuses de sens et de lien social) laissés à l’arrêt par les choix politiques de confinements sectoriels arbitraires.
Devant les bousculades autorisées des centres commerciaux, Still Standing For Culture rassemblait les paroles de secteurs précarisés par la gestion de crise, transformant l’espace marchand en lieu de manifestation politique et artistique. Puis dans 150 localités du pays, plus de 500 porteurs et porteuses d'action d'un champ culturel large (des lieux et artistes en passant par le socio culturel et l'éducation permanente.
De Faire Culture, le mouvement invitait à faire débat : Sommes nous condamnés à être une variable d'ajustement ? Si oui : quelles conséquences? L’idée était claire : combattre une gestion de crise dans une situation devenue structurelle, contester les choix politiques et idéologiques du gouvernement, ne pas considérer comme une évidence la hiérarchie des priorités politique et la vision médiocre de l’action culturelle par temps de crise.
Car oui, il eût été facile de faire reprendre la culture à certains endroits, en sortant de l’approche sectorielle, et en observant avec plus de finesse les situations par risques, de manière particulière, en cessant de considérer « le secteur culturel », constitué d'un million de spécificités, à la grosse louche. Mais cela n’a pas semblé nécessaire pour le gouvernement dont l’objectif était le maintien maintenir un modèle où la production et la consommation sont au cœur de nos vies. Résultat : le lien social, l'intelligence collective, l'élaboration de nouvelles formes et de nouveaux contenus sont restés interdits, car la culture n’a pas sa place pas dans un modèle social gouverné par la logique économique du siècle passé. Aujourd’hui, il s'agit de démonter que la fermeture prolongée des théâtres, des cinémas et des salles de concert ne relève plus de l’urgence sanitaire mais de véritables choix choix politiques du gouvernement.
Le récit médiatique a construit cette image d’artistes à l’arrêt, qui patientent tristement avant l’arrivée d’une reprise printanière, ce qui n'a pas aidé le pouvoir à distinguer un concert de 5 000 spectateurs à d'autres types d'activités culturelles. Face à cette triste vision d’une culture seulement rentable et divertissante, nous avons cessé d'attendre des autorités qu'elles perçoivent l'urgence sociale de la situation.
Nous devons agir dans le présent, rester en mouvement, (re)faire culture par nous même, et tenter de faire émerger les questions qui traversent cette temporalité exceptionnelle.
C’est pourquoi nous passons de la contestation légale à des actions plus fortes et subversives par la réouverture intelligente, solidaire et responsable de 150 établissements, du 1er au 8 mai. Il faut faire art. Les corps doivent se déplacer devant des œuvres : se rendre dans un lieu fait déjà partie du cheminement culturel. La culture, c'est le déplacement. Le vivant ne peut être remplacé par un écran et aucun argument scientifique n’est crédible pour responsabiliser la culture devant la hausse des courbes de contamination. L’arrêt de la culture est tout simplement injuste et représentatif d’une triste vision du monde. Nous la contestons.
Il s’agit de faire débat, de faire culture. Ces directives, ne sont pas discutées de manière démocratique. J’ignore ce que nous avons perdu pendant toute cette année. Mais je vois ce que nous nous sommes en train de retrouver en construisant l’argumentaire par nous-mêmes, en refaisant les choses de manière intelligente et responsable, sans attendre que le gouvernement nous en donne l’autorisation. Déjà, une culture qui ne parle plus d’elle-même. Si nous ne faisons rien, nous serons piégés à chaque vague et à chaque épidémie. Ce sont dans les moments les plus incertains que la culture doit agir.
Retrouvez ici toutes les chroniques de notre série Coronavirus, une conversation mondiale.