De COP en COP, la lutte contre le réchauffement climatique empêchée

Publicité

De COP en COP, la lutte contre le réchauffement climatique empêchée

Par
Le vice-président américain Al Gore lors de la COP3 de Kyoto en 1997. La conférence fixe des objectifs contraignants de réduction des émissions de CO2 mais les Etats-Unis ne ratifieront pas le traité.
Le vice-président américain Al Gore lors de la COP3 de Kyoto en 1997. La conférence fixe des objectifs contraignants de réduction des émissions de CO2 mais les Etats-Unis ne ratifieront pas le traité.
© Getty - Thierry Orban / Sygma

Previously. Après la première conférence sur le climat en 1995 à Berlin, l’ONU organise une COP chaque année pour organiser la riposte au réchauffement de la planète. Les sommets s’enchaînent mais, entre bonne volonté et grands égoïsmes, les avancées se font rares et lentes.

Après la première conférence de l'ONU sur les changements climatiques à Berlin en 1995, les pays du monde décident de se retrouver chaque année pour se pencher au chevet d'une planète en surchauffe. Mais de COP en COP, la réponse internationale peine à produire des mesures concrètes : alors que la gravité du phénomène se confirme, les grands pollueurs refusent de s'engager à réduire leurs émissions de CO2. Les pays émergents placent leur droit au développement avant la question climatique et les Etats-Unis font de même. En 2015, l'accord de Paris est le premier à être signé par l'ensemble des pays du monde mais Donald Trump rompt l'unanimité en retirant son pays du traité, laissant aux autres le soin d'agir face à l'urgence.

Kyoto et la nécessité de réduire les émissions de CO2

La conférence de Kyoto a lieu du 1er au 10 décembre 1997 au Japon : c’est un sommet historique car il aboutit pour la première fois à des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

Publicité

Les pays signataires s’engagent à réduire leurs rejets dans l’atmosphère d’au moins 5,2 % à l’horizon 2012 par rapport à 1990, année de référence lors de laquelle a été rendu le premier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). 

Cette avancée est inédite car elle marque une nouvelle étape dans la lutte internationale contre le réchauffement climatique. Auparavant, il avait fallu accorder les violons des scientifiques et des gouvernements autour d’un constat commun : la Terre se réchauffe et l’Homme en est probablement responsable. Face à ce risque, le principe de précaution impose une réaction.

En 1992, les 178 pays participants au Sommet de la Terre de Rio avaient posé les bases d’une coopération en adoptant la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ce texte a permis d’organiser la première COP à Berlin en 1995 puis la deuxième à Genève en 1996 (COP est l’acronyme de “Conference of parties” en anglais, la Conférence des parties signataires de la CCNUCC).

“Tous ces rendez-vous ont permis de construire un début de culture commune, un premier consensus sur la réalité du réchauffement et sur la nécessité d’agir”, explique Pierre Radanne, expert des questions climatiques, présent à la première COP au sein d’une ONG. L’idée d’arriver à des objectifs chiffrés est présente dès la COP1 de Berlin, où les participants évoquent déjà le rendez-vous décisif qu’est censé être Kyoto.

Résumé de la venue du vice-président américain Al Gore à la conférence de Kyoto. Extrait du journal de 20 heures de France 2 du 8 décembre 1997.

La COP3 tant attendue réunit 160 pays et 5 000 délégués au Japon en 1997 mais des fractures apparaissent dès le début avec les Etats-Unis. La délégation américaine débarque à Kyoto en prônant une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre, plutôt qu’une réduction. Face au front uni affiché par l’Union européenne qui souhaite une baisse de 6 à 9 %, Washington finit par plier et la conférence de Kyoto aboutit à une promesse de réduction de 5,2 %. Les Etats-Unis obtiennent toutefois une concession avec la création d’un “marché du carbone”, que la presse traduit par “marché des droits à polluer”. Le Monde évoque une échappatoire trouvée par les Etats-Unis, permettant à ses industriels de se soustraire le plus possible aux contraintes chiffrées.

L’initiative est soutenue par d’autres pays industrialisés : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada, la Russie et le Japon, à qui les Européens reprochent une attitude partisane alors que le pays organise la conférence. 

Bill Clinton ne fait pas le déplacement à Kyoto mais envoie son vice-président, Al Gore. A l’époque, ce dernier n’est pas encore le héraut de la cause climatique qu’il deviendra dans les années 2000 avec son documentaire “An inconvenient truth” (“Une vérité qui dérange”). “La prestation de M. Gore fut décevante”, écrit Le Monde, “[elle] fut surtout contre-productive : elle braqua les pays en voie de développement, auxquels le vice-président des Etats-unis redemandait des engagements”. “Al Gore les mains vides au sommet de Kyoto”, titre de son côté Libération, qui relève aussi la demande du vice-président faite aux pays en développement.

Car Kyoto entérine un autre blocage : celui des pays émergents, et en premier lieu de la Chine, qui refusent de réduire leurs émissions de CO2. “C’est l’héritage de la COP1 de Berlin”, précise Pierre Radanne, “qui fait porter la responsabilité d’agir sur les épaules des pays développés et qui dédouane les autres de toute action, sur le principe du pollueur payeur”. Cette exemption accordée à la Chine et aux autres émergents explique largement l’attitude de l’administration américaine. En 1997, les Etats-Unis sont le plus gros pollueur de la planète mais Washington considère avant tout le problème d’un point de vue économique : hors de question de demander des efforts aux travailleurs et aux industriels américains si la Chine ne fait pas un geste.

Le protocole de Kyoto sera finalement signé, y compris par les Etats-Unis, mais la première puissance économique mondiale ne le ratifiera jamais ; c’est “America First” avant l’heure (le slogan choisi par Donald Trump lors de sa campagne de 2016).

L'économie plus importante que le climat

Aux Etats-Unis, Bill Clinton occupe le bureau ovale de 1993 à 2001 mais il se retrouve vite les mains liées. Même s’il avait voulu agir, le président démocrate doit composer avec une majorité républicaine dans les deux chambres du Congrès dès 1995, jusqu’à la fin de son mandat.

Le Parti républicain est hostile à toute réglementation internationale contraignante en matière de politique environnementale mais les démocrates ne sont pas en reste. En juillet 1997, quelques mois avant la conférence de Kyoto, le Sénat vote la résolution Byrd-Hagel (du nom d’un élu républicain et d’un élu démocrate). Le texte, adopté à l’unanimité avec 95 voix contre 0, exprime l’hostilité des sénateurs à l’idée d’une ratification du protocole de Kyoto, alors en préparation. Le Sénat explique qu’il refusera tout accord “qui ne demanderait pas de contribution aux pays en développement” et tout texte “qui provoquerait des dégâts sérieux à l’économie des Etats-Unis”. Les conséquences de Kyoto sont alors comparées aux effets que produirait un nouveau choc pétrolier.

La position américaine s’inscrit en fait dans la continuité. Au Sommet de la Terre de Rio de 1992, le président américain George H. Bush n’avait pas hésité à isoler son pays en refusant de signer le traité sur la biodiversité (le Sommet de Rio portait aussi sur ce sujet et sur un autre, la désertification, mais les avancées avaient été encore moindres que sur le climat). Le New York Times évoque un George Bush qui se transforme en Dark Vador à Rio et qui refuse de présenter ses excuses pour la pollution dont son pays est responsable : “La politique américaine de protection de l’environnement est sans équivalent, donc je ne suis pas venu ici pour présenter mes excuses”. Plus tard, une autre remarque sera prêtée au président américain lors de sa venue à Rio, mais on n’en trouve pas trace dans les articles de presse de l’époque : 

Le mode de vie américain n’est pas négociable, point final. (“the american way of life is not up for negotiations. Period.”)                    
Déclaration fameuse attribuée à George H. Bush lors de sa venue au Sommet de la Terre de Rio, en 1992

Symbole de l'immobilisme des années 2000 : le discours de Jacques Chirac au Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002. "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs". Extrait du journal de 20 heures de France 2 du 2 septembre 2002.

L'intransigeance américaine a été résumée plus tard par l’un des membres de la délégation présente à Kyoto, Todd Stern (surnommé par certains "l'Étoile de la mort"), qui deviendra le négociateur en chef pour les Etats-Unis à la COP21 de Paris. En 2012, lors d’un discours auprès de son université, il déclare :“le changement climatique n’est pas un problème environnemental comme les autres car il met en jeu tous les aspects de l’économie d’un Etat. Il faut comprendre les gouvernements qui s’inquiètent aussi de leur croissance et de leur prospérité. Il s’agit autant d’un problème économique que d’un problème environnemental.”

En 2001, peu après son arrivée à la Maison blanche, George W. Bush annonce qu’il ne demandera pas au Congrès de ratifier le protocole de Kyoto. Les arguments sont toujours les mêmes : pas question de pénaliser l’économie américaine si la Chine ne s’engage pas à diminuer ses émissions. Le président américain amorce aussi un virage climatosceptique en affirmant que la science ne permet pas de savoir si le réchauffement est dû à une cause naturelle ou anthropique. Le principe de précaution, qui imposait une réaction même en cas d'incertitude, n'est plus reconnu.

2001 correspond aussi au 3e rapport du GIEC où l’on apprend que les années 90 ont été la décennie la plus chaude depuis 1880 suivant un rythme de réchauffement sans précédent depuis les dix derniers millénaires. La responsabilité humaine est davantage soulignée et le rapport prévoit une augmentation de température entre 1,4 et 5,8 degrés d’ici 2100. Pendant ce temps-là aux Etats-Unis, un sénateur républicain déclare que le réchauffement climatique est le plus gros canular jamais inventé et accuse les extrémistes écologistes. En 2015, ce même sénateur, Jim Inhofe, apportera une boule de neige au Sénat pour expliquer que le climat se porte bien.

L'échec de la COP15 de Copenhague raconté sur France 3 dans le 19/20 du 19 décembre 2009.

Les années Bush sont marquées par l’inaction et sont couronnées par l’échec retentissant de la conférence de Copenhague en décembre 2009. Barack Obama est le nouveau président américain depuis janvier mais la COP15 s’achève sans accord sur des dates butoirs ou des objectifs quantitatifs. La déclaration finale proclame l’ambition de limiter le réchauffement à 2 degrés par rapport à l’ère préindustrielle (avant 1850), mais pas à 1,5 degré comme le souhaitaient les pays insulaires et côtiers, les plus exposés aux ouragans et à une hausse du niveau des mers.

En 2006, la Chine devient le premier pollueur devant les Etats-Unis en rejetant 5,9 milliards de tonnes de CO2 contre 5,6 pour les Etats-Unis.

2015 à Paris : un consensus mondial historique 

Moins d'un an après la signature de l'accord de Paris, la Tour Eiffel s'illumine pour marquer l'entrée en vigueur du traité le 4 novembre 2016. Quatre jours après, Trump est élu à la Maison blanche.
Moins d'un an après la signature de l'accord de Paris, la Tour Eiffel s'illumine pour marquer l'entrée en vigueur du traité le 4 novembre 2016. Quatre jours après, Trump est élu à la Maison blanche.
© Getty - Chesnot

Le temps passe, la situation s’aggrave, mais rien ne change. Au début des années 2010, les partisans d’une réduction des émissions de CO2 décident de changer de méthode et d’en finir avec les objectifs contraignants imposés aux pays.

“Les Nations unies comprennent qu’il faut demander aux pays ce qu’ils peuvent faire pour limiter le réchauffement climatique”, explique le climatologue Jean Jouzel, “chaque pays est libre de dire à quoi il peut s’engager, sans que d’autres n’y aient à redire”.

De son côté, Barack Obama travaille à une concertation avec les Chinois. Le 26 janvier 2009, quelques jours après son investiture, il signe le Mémorandum sur l’indépendance énergétique de son pays et la protection du climat, affirmant que les Etats-Unis sont prêts à être leader en matière de lutte contre le réchauffement, à condition qu’il y ait une vraie coalition globale et que la Chine et l’Inde s’engagent sur la question.

Le 12 novembre 2014, Washington et Pékin signent un accord bilatéral qui sera la base de l’Accord de Paris adopté un an plus tard, en décembre 2015, lors de la COP21.

La Chine prend la mesure de son nouveau poids sur la scène mondiale : en 2016, le pays le plus peuplé du monde émet 9 milliards de tonnes de CO2, soit 28% du total mondial (contre 5,7% en 1973). La même année, les Etats-Unis ont émis 4,8 milliards de tonnes de CO2 (environ 15% des rejets mondiaux).
Paris fait mieux que Tokyo en devenant le premier accord sur le climat fixant des objectifs précis à chaque pays. Surtout, il est signé par tous les pays membres de l’ONU : 195 nations, même la Syrie. A la tribune, Barack Obama déclare : “Il n’y a pas de prospérité possible dans un monde ou on ne combattrait pas le réchauffement”

A la clôture de la COP21, les pays signataires s’engagent à limiter le réchauffement “à un niveau nettement en dessous de 2 degrés par rapport à l’ère pré-industrielle. A la demande des pays les plus vulnérables, il a été ajouté la nécessité de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 degré”.

L'inversion de la courbe du CO2 n'a pas (encore) eu lieu

Les émissions mondiales de CO2 des principaux pays pollueurs (en milliards de tonnes sur la période 1960 à 2014)
Les émissions mondiales de CO2 des principaux pays pollueurs (en milliards de tonnes sur la période 1960 à 2014)
- Banque mondiale

Mais des paroles aux actes, il y a un pas. En 2018, le GIEC tire la sonnette d’alarme à nouveau : la bataille est très mal engagée, estime l’organisme dans un rapport spécial rendu en octobre. Tous les voyants sont au rouge : une concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère jamais vu depuis 800 000 ans, des records de température battus année après année, des vagues de chaleur, des pluies diluviennes et des ouragans dévastateurs qui attestent que le dérèglement climatique est à l’œuvre. Les 22 dernières années comptent parmi les 20 années les plus chaudes jamais enregistrées, et les quatre dernières années sont en haut de la liste, écrit aussi l’Organisation météorologique mondiale (OMM).

Les objectifs fixés à Paris ne sont pas remplis, ajoute le GIEC, et même s’ils l’étaient, le réchauffement atteindrait 3 degrés à l’horizon 2100. En 2018, la Terre s’est déjà réchauffée de 1 degré et le cap de 1,5 degré pourrait être franchi en 2030 si rien n’est fait.

“La fenêtre pour agir va se refermer d’ici 2020 si l’on veut empêcher un réchauffement au delà de 2 degrés”, écrivent les experts du climat, invitant les pays à accélérer le rythme.

Le 1er juin 2017, la décision de Donald Trump de retirer son pays de l’accord de Paris n’arrange pas les choses. L'hôte de la Maison blanche recycle les vieux arguments de la diplomatie américaine utilisés dans les années 90 et 2000 à propos d'un texte qui serait injuste pour l'économie des Etats-Unis. 

Mais la prise de conscience de l’opinion publique américaine a progressé malgré tout. En 2007, le GIEC reçoit le Prix Nobel de la paix au côté d'un certain Al Gore, de nombreuses initiatives locales et privées permettent d'avancer malgré tout. Des états comme la Californie ou New York annoncent leur intention d’appliquer l’accord de Paris, plus de 400 grandes villes font de même, des groupes pétroliers comme Exxon et Chevron s’engagent également, proclamant que le coût social et économique de l’inaction serait trop grand.

Plus de 400 villes américaines se sont engagées à respecter l'accord de Paris signé en 2015
Plus de 400 villes américaines se sont engagées à respecter l'accord de Paris signé en 2015
- Google Maps / climatemayors.org

Le 30 novembre 2018, après des incendies qui ont ravagé la Californie, CNN publie un sondage qui montre que 80 % des Américains croient désormais à la réalité du réchauffement climatique. Deux tiers des électeurs républicains s'en disent convaincus.

La Chine ne reste pas non plus les bras croisés : face aux vagues de pollution qui rendent l'air irrespirable dans les grands centres urbains, le pays a entamé aussi une transition énergétique. La Chine est en 2017 le premier investisseur mondial dans les énergies renouvelables.

Dans le reste du monde, les constructeurs automobiles proposent désormais des voitures électriques ou hybrides qui n'émettent plus, ou beaucoup moins, de gaz à effet de serre (de façon directe en tout cas). "La transition énergétique qui s'impose à l'humanité n'est pas un processus simple et rapide", explique l'expert du climat Pierre Radanne, "il s'agit ni plus, ni moins d'un changement de civilisation, d'un nouveau modèle de développement. Et il n'est pas étonnant que ce bouleversement demande du temps, quelques décennies. Le mouvement a commencé dans les années 80 et on arrive aujourd'hui à un moment où les évolutions deviennent possibles d'un point de vue technologique, sociétal et politique."

L'objectif désormais est d'arriver à un renversement de la courbe des émissions de CO2. Le basculement a déjà eu lieu pour l'UE et les Etats-Unis mais la tendance mondiale reste à la hausse, entretenue par les pays émergents. Le but ultime ? Parvenir à la neutralité carbone : ne pas rejeter plus que ce que la Terre est capable d'absorber.

A consulter en complément > une chronologie interactive de 20 ans de négociations climatiques (Nations unies)