De Jean-Marie à Marine Le Pen : trente ans de progression du vote FN

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De Jean-Marie à Marine Le Pen : trente ans de progression du vote FN

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Jean-Marie et Marine Le Pen à Fréjus en septembre 2014
Jean-Marie et Marine Le Pen à Fréjus en septembre 2014
© AFP - Valéry Hache

Depuis sa création, le Front national n'a fait que progresser lors des différentes échéances électorales, pour atteindre son plus haut à la présidentielle 2017. Retour sur l’ascension du FN.

En 1981, le père de Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, n'avait pas obtenu assez de signatures pour se présenter à l'élection présidentielle. 36 ans plus tard, le FN est pour la seconde fois qualifié pour le second tour de l'élection présidentielle avec un score de 21,7% selon les premières estimations, près de 4 points au-dessus de son précédent record de 2012. Retour sur la progression continue du FN depuis le milieu des années 80.

Le coup de tonnerre de Dreux de 1983

Dix ans après sa création et une absence quasi systématique au sein des différentes échéances électorales, une ville de 30 000 habitants accorde 10% de ses suffrages à la liste FN aux élections cantonales. C'est Dreux, dans l’Eure et Loir, cité industrielle en déclin, où poussent les cités dortoirs pour une main d'oeuvre immigrée précaire. Dans cette ville, l'équation chômage = immigrés fonctionne. Un an plus tard, aux municipales de 1983, Jean-Pierre Stirbois* est tête de liste, avec pour slogan : "Halte à l’immigration, du travail pour tous les Français". Il obtient 16,7% des voix. Sans hésiter, la droite locale (RPR) fusionne sa liste avec celle de Stirbois, qui devient adjoint au maire et place 10 conseillers. A l'époque, deux ans après l’élection de François Mitterrand, tout était meilleur pour la droite que "les adversaires socialo-communistes" (Jean-Claude Gaudin / UDF).

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Notons que Dreux fut un "berceau du FN" sans pour autant devenir une terre frontiste : l'alliance RPR-FN ne s'est pas reproduite par la suite : aujourd'hui, seuls deux conseillers municipaux (sur 40) font partie du FN.

*Jean-Pierre Stirbois meurt accidentellement en 1988. Son épouse Marie-France prend sa succession, elle sera élue députée en 1989 avant de se retirer en PACA. Elle est décédée en 2005

L'entrée de 35 députés Front national à l'Assemblée en 1986

L'instauration du scrutin proportionnel, pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, à l'occasion de l'élection législative de 1986, favorise l'élection de 35 députés frontistes à l'Assemblée nationale, dont les têtes d'affiches du parti : Jean-Pierre Stirbois, Bruno Mégret, Bruno Gollnish et Jean-Marie Le Pen. Durant leurs carrières de députés, les frontistes ont déposé, entre 1986 et 1988, 63 propositions. Aucune n'a été discutée ni adoptée, à l’exception de la loi relative à " la reconnaissance de la vocation internationale de l'Association internationale des parlementaires de la langue française." La sécurité et l'immigration dominaient dans ces propositions, comme l'illustrent ces exemples :

le code de la nationalité française, proposition de loi numéro 82 :

"La carte nationale d'identité n'est pas la carte orange. Il convient donc, non pas de fermer l'accès à la nationalité française aux étrangers, mais de supprimer les excès et les abus en subordonnant cet accès à la violence et à la capacité d'assimilation des candidats, ainsi bien sûr qu'à l'amour porté à la France et aux Français."

la préférence nationale pour l'emploi, proposition numéro 184 :

"Vise à modifier le code du travail pour permettre aux employeurs de choisir prioritairement des ressortissants français lors de l'embauche et de maintenir d'abord dans l'entreprise les ressortissants nationaux. Elle prévoit aussi de réduire le travail étranger saisonnier, de mettre fin à l'impunité du travailleur étranger clandestin et de poursuivre leurs employeurs, de reconduire les chômeurs étrangers arrivés en fin de droit à la frontière et de réserver les allocations de fin de droits aux chômeurs français."

le rétablissement de la peine de mort :

"L'abolition de la peine de mort constitue un déni de justice envers la victime, dont l'assassin voit sa propre vie protégée par la loi. Ce refus du châtiment proportionné à la faute explique, sans l'excuser, la détestable et meurtrière multiplication des actes et organisations spontanés d'autodéfense. S'il appartient à chacun de pouvoir pardonner l'injure qui lui est faite, l’État, garant de la paix publique, ne saurait sous peine d'anarchie refuser aux victimes la seule réparation qui soit à la mesure de la faute. L'irréversibilité du crime commis doit être compensée par l'irréversibilité de la peine."

A écouter : Les Français et la peine de mort au fil de l'Histoire

Le Front national gagne trois villes dans le Sud-Est en 1995

En 1995, Orange et Marignane (30 000 habitants), Toulon (170 000 habitants) puis Vitrolles en 1997 (37 000 habitants) seront les premières villes après Dreux à être gouvernées par le FN.

Orange est restée à l'extrême droite avec Jacques Bompard, ex-FN, toujours aux manettes. Depuis, en 2014, le FN a ravi 11 villes, dont Hénin Beaumont, dans le Pas-de-Calais, Beaucaire, dans le Gard, ou encore Fréjus, dans le Var.

La scission de 1998, deux fois plus de FN

Alors que le parti a le vent en poupe, Bruno Mégret, numéro 2 du FN de l'époque, conteste la nomination de Mme Jany le Pen aux Européennes. Un congrès du parti s'en suit et lui donne raison. Mais Jean-Marie le Pen le fait exclure. C'est la fameuse période des "fêlons". L'ex-fidèle lance alors son propre Mouvement National Républicain (MNR) et emporte avec lui une bonne partie des cadres frontistes, dont l'époux de l’aînée des filles Le Pen, Marie-Caroline, Philippe Ollivier. Ironie de l'histoire, Philippe Ollivier est aujourd'hui de retour au FN, en conseiller proche de Marine le Pen.

A lire : Les hommes de la campagne de Marine Le Pen

L'exclusion de Jean-Marie le Pen en août 2015 l'a facilitée mais c'est bien cette ligne mégrétiste, traditionnelle, catholique, économiquement plus libérale qui réapparaît aujourd'hui au sein du parti. On la trouve derrière Marion Maréchal le Pen ou encore Nicolas Bay. Bruno Mégret, présent au congrès de la droite 'hors les murs" à Béziers en mai 2016, juge également que Robert Ménard et ses amis sont dans la même veine que son courant des années 2000.

2002, la surprise Le Pen

L'élection présidentielle de 2002 marque un tournant majeur pour le parti. Pour la première fois de son histoire, le parti d'extrême droite se qualifie pour le second tour. Marqué par un taux d’abstention record de 28,40%, soit plus de 11 millions de personnes, l'élection élimine le candidat socialiste Lionel Jospin, donné favori.

le président du Front National et candidat à l'élection présidentielle, Jean Marie Le Pen, réagit après l'annonce des premières estimations des résultats du premier tour des élections, le 21 avril 2002 à Saint-Cloud à son quartier général
le président du Front National et candidat à l'élection présidentielle, Jean Marie Le Pen, réagit après l'annonce des premières estimations des résultats du premier tour des élections, le 21 avril 2002 à Saint-Cloud à son quartier général
© AFP - PIERRE VERDY

Un rejet qui se traduit sur la carte électorale. Ce dernier n'arrive en tête que dans neuf départements. Alors que le candidat Jean-Marie Le Pen arrive en tête dans 34 départements. Avec plus de 4 millions de voix, le candidat frontiste cumule 16,86% des voix exprimées.

Au delà du taux d'abstention record lors de cette élection, le score du leader du Front national confirme son implantation dans le Nord-Est ouvrier et dans le Sud-Est, région historiquement proche du parti.

Vote Front national au premier tour de l'élection présidentielle de 2002
Vote Front national au premier tour de l'élection présidentielle de 2002
© Radio France - Antoine Guerrier

A écouter : Le Front national : une histoire de famille ?

2002-2011 : L’ascension de Marine Le Pen

Au soir du 21 avril 2002, la jeune Marine le Pen apparaît sur les écrans, et devient vite une figure très médiatique. Cécile Alduy, dans son ouvrage "Marine le Pen prise aux mots", observe l'occurrence de ses passages dans les médias :

"Entre 1998 et 2010, Jean-Marie Le Pen intervient en moyenne 191 fois par an. Sa fille apparaît 842 fois en moyenne entre 2011 et 2013"

La dé-diabolisation est également à l'oeuvre dans l'usage des mots : Marine le Pen utilise deux fois plus que son père les mots démocratie, République, ou liberté et 6 fois plus le mot "laïcité". Derrière, on y retrouve les mêmes concepts : identité, sécurité. Seule la ligne économique évolue pour capter l'électorat déçu des banlieues rouges : ce ne sera plus le libéralisme reaganien de Jean-Marie le Pen mais le souverainisme étatique à la Florian Philippot.

En 2011, Marine le Pen emporte le parti face à Bruno Gollnisch, éternel numéro 2. A partir de ce moment, entre 2011 et 2014, Cécile Alduy comptabilisera 2 000 interventions médias de la nouvelle présidente du Front national, soit 2 fois par jour.

Vote Front national au premier tour de l'élection présidentielle de 2012
Vote Front national au premier tour de l'élection présidentielle de 2012
© Radio France - Antoine Guerrier

Raz de marée aux européennes et aux régionales

En 2014, le Front national arrive en tête d'une élection au niveau national. Avec un taux d'abstention de 56%, soit plus de 26 millions de personnes, le parti recueille 24,86 % des voix, soit le vote de plus de 4 millions de personnes.

En raison de la faible participation et de son implantation, le parti arrive en tête dans la majorité des départements :

Parti politique arrivé en tête lors des élections européennes de 2014
Parti politique arrivé en tête lors des élections européennes de 2014
© Radio France - Antoine Guerrier

A écouter : Y a-t-il une extrême droite européenne ?

Une percée sur le long terme que confirme le parti en 2015 lors des élections régionales. Lors du premier tour du scrutin, le taux d'abstention atteint 50,02%. Le Front national arrive en tête de l'élection au niveau national en cumulant 27,73% des suffrages, contre 27,9% pour la droite (LR, Udi, Modem) et 25,2% pour le PS et ses alliés (PRG, MRC). Néanmoins, au deuxième tour, le Front national ne remporte aucune région. Mais en terme de voix exprimées, le Front national récolte davantage de votes au second tour qu’au premier. Et s'offre même un plus haut historique avec 6,6 millions de voix, près de 200 000 de plus qu'au premier tour de la présidentielle 2012.

Parti politique arrivé en tête lors du premier tour de l'élection régionale de 2015
Parti politique arrivé en tête lors du premier tour de l'élection régionale de 2015
© Radio France - Antoine Guerrier

A lire : Régionales : score historique du Front national au 1er tour

La confirmation de son implantation aux élections municipales et départementales : objectif 2017

Son père exclu en 2015, Marine le Pen s'attache à effacer progressivement les symboles paternels : la flamme tricolore et même le nom Le Pen ont disparu de son affiche de campagne pour 2017. Son logo : une rose bleue marine, symbole du ni gauche - ni droite et de "l'accomplissement de l'impossible".

Marine Le Pen lors de l'inauguration de son QG de campagne le 16 novembre 2016 à Paris avec son slogan et son nouveau logo : une rose bleue, sans le nom de Le Pen
Marine Le Pen lors de l'inauguration de son QG de campagne le 16 novembre 2016 à Paris avec son slogan et son nouveau logo : une rose bleue, sans le nom de Le Pen
© Maxppp - Léon Tanguy

Le FN dé-diabolisé cherche ses galons de crédibilité : conventions thématiques cet automne et présentation du projet début février à Lyon. Concurrencée sur sa droite par François Fillon, Marine le Pen doit séduire l'électorat âgé : les territoires catholiques de l'Ouest. Poussée sur sa gauche par Jean-Luc Mélenchon, elle doit aussi conserver son électorat populaire. Un programme du coup moins libéral, avec hausse des petites retraites, des petits salaires, sortie de l'Euro sur référendum. Souverainiste donc, mais toujours identitaire : pour masquer les récentes dissensions avec sa nièce Marion Maréchal sur l'IVG ou le mariage pour tous, Marine le Pen réactive les fondamentaux frontistes : l'immigration. Sa proposition de déscolariser les enfants sans papiers, qui rappelle les années Mégret, ne divisera certes pas le Front national.

A lire : blog de l'historienne Valérie Igounet

A lire : Depuis le congrès d'Epinay en 1971, le Parti socialiste s'est imposé aux Français

A lire : Les mutations de la droite lors des grandes échéances électorales depuis 1969