De l'art au départ des émeutes en Tunisie ?

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De l'art au départ des émeutes en Tunisie ?

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**Pour la première fois depuis la chute de Ben Ali, condamné ce midi par contumace à 20 ans de prison, plusieurs villes tunisiennes viennent de vivre un couvre-feu en réponse à des violences et des affrontements entre salafistes et policiers. Avec un mort à Sousse (est), plus d'une centaine de blessés, dont 65 policiers, et plus de 160 arrestations ** **(écoutez dans nos journaux). Tout viendrait de ** la foire d’art contemporain de Tunis ** où ** **des tableaux ont été lacérés ** **dans la nuit de dimanche à lundi. Avec des motifs religieux et une pression politique qui influencent de plus en plus l’activité culturelle. **

"Bleu de Prusse", de Lamia Guemara. Avant et après son vandalisme
"Bleu de Prusse", de Lamia Guemara. Avant et après son vandalisme
- Lamia Guemara et Nadia Zouari

Une dizaine d’œuvres d’art ont en fait été vandalisées alors que le Printemps des Arts venait de prendre fin à la Marsa, dans la banlieue Nord de Tunis. Le site de ce rendez-vous est d'ailleurs inaccessible. Certaines sont des œuvres d’artistes reconnus comme la toile « Bleu de Prusse » de Lamia Guemara qui montre un homme avec les paupières cousues. Ou « le Ring » de Faten Gaddes, qui représente des visages de femmes des trois monothéisme montés sur des punching-ball. Faten Gaddes qui faisait partie en février de l'exposition "Dégagement" à l'Institut du Monde Arabe.

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Difficile de savoir de qui il s’agit, mais le motif semble clair disait hier le directeur de la foire. Luca Lucattini qui a d'ailleurs porté plainte contre X lundi :

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L’ironie, c'est qu'il s'agissait de la première foire aux ambitions commerciales régionales et qui mettait donc à l’honneur la jeune création tunisienne, avec 8 galeries de la banlieue Nord invitées.

Des galeries avec un choix d’œuvres assez engagées

Emeute à Tunis ce mardi
Emeute à Tunis ce mardi
© Reuters - Zoubeir Souissi

Un superman barbu portant dans ses bras un autre barbu, ou une femme nue entourée d’hommes barbus, et dont l’entrejambe est un couscous à l’agneau. Des œuvres volontairement provocatrices, l’archétype de la barbe, par exemple, pour une banlieue chic. ( regardez le portfolio du Monde)

Alors que l’exposition attenante mais indépendante n’a pas rencontré de tels problèmes. Parce qu’elle a choisi d’exposer des œuvres moins explicites estime sa commissaire, Meriem Bouderbala. Une femme avec un char en jouet d’enfant qui lui grimpe sur le dos par exemple.

Et puis surtout, dit-elle, c’est bien la responsabilité de la direction du Printemps des Arts, des artistes et du public que d’avoir refusé l’entrée de l'événement à la délégation venue le matin : 600 personnes se sont regroupées dans l’après-midi pour empêcher les islamistes de rentrer. Cela aurait ainsi favorisé la réaction de la nuit suivante selon elle. Et si elle considère l’après-révolution comme un véritable laboratoire pour la création tunisienne, cette fois, on est allé trop loin confie** Meriem Bouderbala** :

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Certains considèrent aussi ce motif artistique comme un prétexte et évoquent un appel au soulèvement en Tunisie lancé dimanche par le chef d'Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri. Une nouvelle manifestation d’artistes a eu lieu ce mercredi devant le ministère de la Culture, comme hier. Le ministre Mehdi Mabrouk, que nous avons tenté de joindre sans succès, a finalement annoncé hier vouloir porter plainte pour atteinte aux valeurs du sacré contre les organisateurs. Dans un communiqué publié mercredi au nom des "trois présidences" (le chef de l'Etat Moncef Marzouki, le président de l'Assemblée constituante Mustapha Ben Jaafar et le chef du gouvernement Hamadi Jebali), l'Etat a condamné "des groupes extrémistes qui menacent les libertés", mais aussi "l'atteinte au sacré", qui "ne procède pas de la liberté d'opinion et d'expression et qui vise à provoquer et à semer la discorde ainsi qu'à profiter d'une situation sensible pour nourrir les tensions".

> Ecoutez aussi à ce sujet Les Matins de ce jeudi intitulés " Tunisie : la transition démocratique malmenée ?"

Et le journal de 22h avec Hamadi Redissi, professeur à la Faculté de droit et de sciences politiques de Tunis.