De l'injection hormonale à la vasectomie : où en est-on de la contraception masculine ?
Par Pierre RopertC'est une question récurrente : à quand la pilule pour hommes ? Si le traitement hormonal pour hommes existe, il ne s'est jamais démocratisé. Et d'autres types de contraceptions sont encore trop méconnus.
Douleurs, saignements, baisse de libido voire même risque d'embolie pulmonaire ou tumeurs au cerveau selon le traitement : les effets secondaires de la pilule pour les femmes sont bien connus et peuvent s'avérer particulièrement nocifs si cette dernière est mal prescrite. A l'inverse, la contraception masculine a jusqu'ici pour principal étendard le préservatif : fiable à 100 % - lorsqu'il est correctement utilisé - ce morceau de latex a également pour avantage majeur de protéger des MST.
Bien connue, la "capote" n'a pourtant jamais été populaire, les hommes estimant ( à tort d'après une étude parue en 2013) qu'elle diminue les sensations physiologiques. Dès lors que la relation s'installe dans la durée, c'est bien souvent la femme qui assume seule - au moyen de la pilule ou du stérilet - la responsabilité de la contraception quand celle-ci devrait être partagée. Pourtant, étonnamment, à l'exception du préservatif, les méthodes contraceptives destinées aux hommes restent méconnues, voire n'ont pas évolué, qu'il s'agisse de la pilule, de la contraception thermique ou encore de la vasectomie.
La "pilule" pour hommes, un champ de recherche né dans les années 1970
Il existe pourtant bel et bien une contraception hormonale à destination des hommes, et ce depuis la fin des années 1970. Elle n'est cependant pas prescrite sous la forme d'une pilule : il s'agit d'une injection intramusculaire hebdomadaire d'énanthate de testostérone. Le docteur Jean-Claude Soufir, andrologue à l'hôpital Cochin à Paris, est l'un des premiers à s'être penché sur le sujet et à avoir prescrit cette contraception :
Il s'agit d'un traitement combiné associant deux stéroïdes sur le modèle de la contraception féminine. Dans la pilule "classique" pour femmes, ces deux stéroïdes sont constitués par un progestatif et un dérivé de l’hormone féminine (l'oestradiol). Pour l'homme, ce sont également deux stéroïdes associés : un progestatif et, cette fois, une hormone masculine. Pour le traitement que nous avons mis au point et qui a été réutilisé avec des variantes par des équipes à Lyon et à Rennes, le progestatif a été donné par voie orale mais l’hormone masculine – la testostérone - était administrée par voie cutanée, la voie orale pour la testostérone étant dangereuse. Il ne s’agit donc pas d’une pilule unique, mais d’une pilule associée à la testostérone naturelle.
Utilisé dès 1979, avec des résultats publiés en 1983, le traitement ne s'est pourtant pas démocratisé, alors que les études se poursuivaient sur le sujet, poursuit l'andrologue : "En 2011, des résultats plus complets ont porté sur un échantillon de 35 hommes vivant en couple. Le traitement a ensuite été repris aux Etats-Unis à partir de 2012, à une plus large échelle".
"Comme pour la pilule féminine, le mécanisme d’action du traitement est schématiquement le même : il inhibe la sécrétion des deux hormones la FSH et la LH qui contrôlent l’ovaire chez la femme, et le testicule chez l’homme", détaille Jean-Claude Soufir. Chez l'homme, l'effet combiné des stéroïdes permet d'atteindre une concentration de spermatozoïdes inférieure à 1 million/ml, ce qui est considéré médicalement comme un "état contraceptif". Au même titre que la pilule féminine, ce traitement hormonal peut cependant avoir des effets secondaires, rappelle Jean-Claude Soufir :
Les effets indésirables ne paraissent pas plus importants pour les associations testostérone-percutanée que ceux de la contraception féminine. Certains sont similaires : peau grasse, acné (plus fréquente en contraception hormonale masculine), prise de poids... D’autres sont spécifiques à la contraception hormonale masculine : augmentation excessive de la libido alors que c’est l’inverse dont se plaignent certaines femmes. Mais ces résultats ne portent que sur quelques centaines d'essais [pour les hommes], tous contraceptifs confondus, alors que les informations sur les pilules féminines proviennent d'un échantillon de millions de femmes.
Sur les 157 hommes traités, les chercheurs ont pu observer des effets secondaires variés, sensiblement identiques à ceux que l'on observe chez les femmes sous pilule : agressivité, dépression, hypertension, etc.
Une méthode toujours non commercialisée
A effets indésirables sensiblement égaux, et alors même qu'un sondage CSA réalisé en 2012 affirmait que 61% des hommes se disent prêts à prendre la pilule, pourquoi la contraception hormonale pour les hommes ne s'est-elle pas démocratisée ?
Les raisons sont multiples, au premier rang desquelles une démarche qui est - pour l'instant - un peu plus contraignante : avec cette contraception hormonale, l'arrêt de la production de spermatozoïdes dure entre un et trois mois pendant lesquels l'homme n'est pas considéré comme contracepté, et il est nécessaire pour les patients de faire régulièrement des spermogrammes, afin de vérifier le taux de spermatozoïdes présents. Selon les conseils de l'OMS, il convient également ne pas dépasser une durée de traitement de 18 mois. Ce dernier est cependant entièrement réversible, au bout de trois mois sans prise de contraceptif.
L'injection, quant à elle, est hebdomadaire, ce qui la rend bien moins contraignante (quoique bien plus désagréable) que la prise quotidienne de la pilule pour les femmes. "L'oubli de pilule est à l’origine de plus d’une grossesse non désirée sur cinq", rappelle ainsi l'Ardecom, l'Association de la recherche et de développement de la contraception masculine.
Le Dr Soufir avance comme autre explication une certaine inertie sur le sujet : "Sur le plan politique, il est probable que les pouvoirs publics avaient d'autres priorités en matière de santé : le sida, la restriction budgétaire hospitalière... Les industriels estiment quant à eux, à juste titre, qu'il n'y a pas de bénéfices à réaliser avec un marché restreint et que promouvoir la contraception masculine pénaliserait les contraceptions féminines qu'ils cherchent par ailleurs à promouvoir".
Une analyse que confirme, pour Slate, la docteure en sociologie Alexandra Roux, autrice d'une thèse sur la pilule contraceptive :
Dans les années 1950-1960, les firmes pharmaceutiques avaient grand intérêt à investir sur la pilule parce qu'il n'y avait pas de marché. C'était un marché nouveau, sans concurrent. Alors que mettre au point une pilule masculine dans les années 1970-1980 se fait sur un marché où déjà beaucoup de contraceptifs efficaces (pilules, dispositifs intra-utérins, implants hormonaux) sont présents, donc c'est un marché déjà un peu saturé.
En l'état, en France, très peu de médecins prescrivent à leurs patients masculins un traitement hormonal, ce dernier ne bénéficiant pas d'une AMM, une autorisation de vente sur le marché. En l'absence d'essais cliniques à grande échelle, ceux qui le recommandent le font avec une grande prudence et encadrent strictement la prescription de ces traitements. "Il y a liberté de prescription dans l’intérêt du consultant et en se fondant sur des données scientifiques établies, assure Jean-Claude Soufir. Une formation universitaire (le DESCD d'andrologie ou une formation annuelle organisée par la Société d'Andrologie de Langue Française) est organisée pour l'indication de ce traitement".
Et la véritable pilule ?
Quant à savoir quand les hommes pourront se passer d'une injection au profit de la prise d'une pilule, plusieurs équipes de recherches travaillent sur ce sujet.
En mars 2019, une équipe de chercheurs de la University of Washington School of Medicine et du Los Angeles Biomed Research Institute a annoncé avoir mené un essai clinique à l'aide d'une pilule contraceptive pour hommes : la 11-béta-méthyl-19-nortestostérone dodécylcarbonate, ou 11-béta-MNTDC.
Malgré quelques effets secondaires bénins (fatigue, acné, maux de tête, baisse de libido et légers troubles de l'érection), les premiers résultats ont été efficaces : la pilule a permis d'inhiber la production de sperme. "Un contraceptif hormonal sûr et réversible devrait être proposé d'ici dix ans environ", a prédit la professeure de médecine Christina Wang, qui conduit ces recherches.
Le "slip chauffant" ou la contraception thermique
Il existe également une méthode peu connue et non médicamenteuse qui consiste en une contraception thermique. Là encore, la méthode n'est pas nouvelle : elle est développée dès la fin des années 80. Mais comme le rappelle le sociologue Cyril Desjeux, elle est discréditée à l'époque, ce qui participe sans doute de sa méconnaissance :
Ces méthodes thermiques ont été l’objet de railleries, en particulier de la presse, limitant ainsi leur légitimité : "G_râce à un slip à trois trous (!) les testicules sont remontés dans l’abdomen qui joue le rôle de chaufferette et la production de spermatozoïdes se bloque. Messieurs, à vos camisoles ! Plus sérieusement [d’autres procédés contraceptifs ont été étudiés]…_ » (L’Humanité, 1986 : témoignage de journaliste).
A l'époque, la féministe américaine Gena Coréa dénonce le sexisme médical qui refuse d’utiliser ces méthodes par peur d’abîmer le corps masculin (Mieusset, 1992).
Si la méthode est simple dans l'absolu, il convient de respecter le protocole établi par le Dr Roger Mieusset dans le "Guide pratique d'une contraception masculine ou thermique". Celui-ci consiste à faire remonter les testicules du scrotum à la base de la verge, à l'aide d'un vêtement particulier ( un schéma est consultable ici). Ce faisant, la température augmente de 2° C, ce qui permet de diminuer la production de spermatozoïdes.
Seul bémol : il convient de porter le slip en question 15 heures par jour, durant les heures d'éveil. Et le sous-vêtement doit être conçu de telle sorte qu'il permette d'atteindre le seuil contraceptif de moins de 1 million de spermatozoïdes mobiles/ml. "Il est plus facile de s’habituer à porter ce sous-vêtement qu’une paire de lunettes", assure de son côté l'Ardecom, dans son explication détaillée.
"Cette méthode a connu un tel succès médiatique que des émules l’ont reprise avec des variantes artisanales [slip cousu main, anneaux, ndlr] sans qu’aucune évaluation, à ma connaissance, n’ait été publiée. Il faut donc rester prudent face à ces initiatives", prévient le Dr Jean-Claude Soufir, co-auteur de l'étude sur la contraception avec le Dr Roger Mieusset.
De la vasectomie au vasalgel
La vasectomie est une méthode contraceptive bien connue : elle consiste à sectionner ou à obstruer les canaux déférents, ce qui bloque au bout de quelques semaines l'arrivée des spermatozoïdes.
En France, pourtant, la vasectomie a peu d'adeptes, précise l'Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine :
Alors qu’en France cette pratique est encore très marginale (moins de 3 000 opérations par an, soit environ 0,8% de la population concernée), au Québec, un homme sexuellement actif sur cinq a eu recours à la vasectomie, et un sur trois parmi les 45-64 ans.
Au Royaume-Uni, ce sont également 20 % des hommes qui ont recours à ce procédé. Si les Français font figure de lanternes rouges, c'est parce que le caractère "définitif" de la vasectomie effraie. Il faut pourtant préciser que, non seulement les remords sont rares (selon les pays, entre 3 et 6 % des patients concernés expriment regretter leur décision) et surtout que la vasectomie n'est pas toujours définitive : il est possible de reconstruire les canaux à l'aide d'une opération, la vasovasostomie (V.V).
"De mon point de vue , on ne doit pas considérer la vasectomie comme un stérilisation, un terme connoté très négativement, précise le Dr Jean-Claude Soufir. Des solutions de procréation post-vasectomie existent, notamment grâce à la conservation de sperme avant l’intervention. Quant à la reperméation chirurgicale, elle est effective dans 70 à 90% des cas, et suivie de grossesse dans 50% des cas".
Autre option, qui n'est pas si éloignée de la vasectomie, celle du vasalgel : ce polymère pourrait être injecté dans le canal déférent et bloquer l'avancée des spermatozoïdes. Le traitement est actuellement en cours de test chez l'animal.
Reste, cependant, un détail d'importance quant à la question de la contraception masculine : une majorité de femmes refuse de confier la responsabilité de la contraception à leur partenaire. Non seulement parce que cette liberté de disposer de leur corps a été acquise de haute lutte, mais aussi parce qu'elles seraient les premières à payer les conséquences d'un éventuel oubli contraceptif.