C’était il y a plus de 300 ans. Le philosophe britannique John Locke, grand penseur du libéralisme politique, rédigeait un court traité de tolérance religieuse intitulé "Raisons pour tolérer les papistes également aux autres”. On le découvre seulement aujourd'hui.
On savait que les philosophes continuaient de faire parler d’eux après leur mort - peut-être même plus encore. John Locke, grand penseur du libéralisme politique, fait mieux : l'un de ses écrits vient d’être retrouvé, plusieurs siècles après sa rédaction. Le sujet : la tolérance religieuse avec en bonus, des propos étonnement bienveillants envers les papistes. Jusqu’alors, le milieu universitaire n’avait pas connaissance de l’existence de ce manuscrit. Daté de 1667, l’objet est passé de mains en mains, sans jamais être étudié. On sait maintenant que le texte appartenait aux descendants d’un des amis du philosophe jusqu’aux années 1920, avant d’être vendu aux enchères à un libraire, puis conservé dans une collection privée et, enfin, confié au St John’s College d’Annapolis, aux États-Unis.
Pour que le traité soit enfin exhumé et examiné, il a fallu attendre qu’un certain Jonathan Craig Walmsley, passionné de l’auteur de l’ Essai sur l’Entendement Humain, se penche sur une note de bas de page trouvée dans un catalogue de 1928 qui y faisait référence. La mention de ce texte ignoré était d’autant plus étonnante que son titre, Raisons pour tolérer les papistes également aux autres (Reasons for tolerating Papists equally with others), laissait entendre que Locke y défendait les catholiques, appelés péjorativement “papistes” par les protestants - une vision bien différente de celles ce que l’on connaît du philosophe. Pour l’auteur de la trouvaille, relaie The Guardian, peu de doute : “soit le manuscrit avait été mal attribué - ce qui arrive plus souvent qu’on ne le pense - soit il existait bien un texte de Locke inconnu, au contenu particulièrement surprenant.” Sa curiosité piquée, le chercheur retrouve le trésor dans la bibliothèque universitaire américaine, soigneusement enveloppé dans une demi-feuille maintenue par le reste d’un sceau de cire, sur laquelle il est inscrit “À l’attention de Edward Clark of Chipley” (l’un des amis de Locke, député de la petite ville de Taunton).
Les prémisses d’une philosophie de la tolérance
Le manuscrit d’environ huit pages vient d’être retranscrit et publié dans la revue universitaire de Cambridge The Historical Journal, par son découvreur J. C. Walmsley et Felix Waldmann, maître de conférence au Christ's College, à Cambridge. Intégralement disponible en ligne, le texte est présenté comme "l’exemple le plus important de la pensée de Locke sur la tolérance des catholiques, avant sa Lettre sur la tolérance." D'après les auteurs de cette publication, l'écrit de Locke constitue une forme de réponse commentée du livre de Sir Charles Wolseley Liberté de conscience, l'intérêt des magistrats (Liberty of conscience, the magistrates interest).
Si les papistes peuvent être considérés comme des sujets aussi bons que les autres, ils peuvent être également tolérés. Si tous les sujets doivent être traités de la même façon et engagés par le Prince, les papistes ont le même titre. John Locke, extrait du manuscrit.
Pour la première fois, Locke développe des propos qui ressemblent à un appel à la tolérance à l’égard des catholiques alors même que sa pensée, pourtant pionnière dans le développement des idées sur les libertés individuelles, reste profondément marquée par le contexte politique et religieux de son pays : une Angleterre qui a rompu avec l’autorité pontificale et qui, depuis la Réforme protestante, impose une uniformité religieuse. Ces dernières années, de nombreux travaux consacrés à la pensée de Locke ont interrogé la position du philosophe envers les catholiques. Jusqu’alors, il ressortait de son œuvre que Locke tolérait toutes les communautés religieuses… à l’exception des catholiques. Cela n’a pas empêché le philosophe de développer des propos très influents sur la tolérance. Dans sa célèbre Lettre sur la tolérance publiée en 1689 (soit à peine trois ans après la rédaction du manuscrit retrouvé), Locke oppose à la théocratie anglicane un libéralisme politique fondé sur la notion de contrat social. Pour lui, le pouvoir politique n’a pas à légiférer sur la vie religieuse des citoyens, libres et responsables devant Dieu de leur croyance. Une lettre qui a notamment inspiré James Madison sur la séparation de l’Église et de l’État dans son travail sur la constitution américaine.
“Ce manuscrit est l’origine et le catalyseur des idées fondamentales de la démocratie libérale occidentale”, a déclaré, avec beaucoup - trop ? - d'enthousiasme J.C. Walmsley. Informé de la découverte, le doyen du St John’s College au sein duquel le document dormait, a fait part de son “plaisir inattendu de constater que nous possédions un manuscrit de Locke sur une question aussi cruciale pour la vie politique américaine et pour la démocratie libérale.” De son côté, J.R Milton, rédacteur en chef de l’édition Clarendon des œuvres de John Locke et professeur d’histoire de la philosophie au King’s College de Londres, en est persuadé : cette découverte constitue “un ajout précieux au corpus des écrits de Locke !”
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