Denis Robert lance une nouvelle webTV : "Il y a une nécessité vitale d'information aujourd’hui"

Publicité

Denis Robert lance une nouvelle webTV : "Il y a une nécessité vitale d'information aujourd’hui"

Par
Le journaliste Denis Robert lance son nouveau média en ligne, Blast, au mois de mars.
Le journaliste Denis Robert lance son nouveau média en ligne, Blast, au mois de mars.
- Capture d'écran

Entretien. Le journaliste Denis Robert, ancien directeur de la rédaction du Média, lance au mois de mars un nouveau site d'information en ligne : Blast. Une campagne de financement participatif a été lancée le 15 janvier et a permis de récolter plus de 300 000 euros en une semaine.

La confiance des Français dans les médias s'étiole progressivement chaque année. Le journal La Croix dévoile ce mardi matin la 34e édition de son baromètre : l'année dernière, l’intérêt des Français pour l’information avait atteint son plus bas niveau historique. Pour faire face à cette défiance envers les médias dit traditionnels, de plus en plus de médias indépendants sont lancés en ligne et notamment des web-télés. En juin 2019, Aude Lancelin, l'ex-directrice adjointe de L’Obs, a lancé Quartier Général. En décembre 2020, c'était au tour de l'ancien candidat à la présidentielle, Benoît Hamon, de lancer SensTV, une chaîne de télévision payante en ligne, conçue comme étant "l'anti-CNews". L'offre va encore s'étoffer à partir du mois de mars avec la création de Blast - "parce qu'on a l'impression d'être dans une sorte de souffle" - la nouvelle web-télé du journaliste Denis Robert. Le journaliste, qui a révélé l'affaire Clearstream au grand public, veut faire un média indépendant tel qu'il l'entend "par passion et par nécessité" face à l'offre médiatique "monolithique". Denis Robert a été licencié du Média début octobre, alors qu'il en était le directeur de la rédaction. Pour lancer ce projet qu'il reconnaît ambitieux, le journaliste a mis en place une campagne de financement participatif le 15 janvier : plus de 300 000 euros ont été récoltés en l'espace d'une semaine. Comment et pourquoi Blast peut rétablir un lien de confiance avec les téléspectateurs ? Entretien avec Denis Robert, confiant dans l'avenir de Blast.

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

Comment va fonctionner Blast ?

Publicité

Nous aurons un statut de société coopérative d'intérêt collectif, une SCIC qui ne distribue aucun bénéfice, aucune dividende, rien du tout. Tout l'argent que va gagner la société est réinvesti dans l'outil et dans les salaires. Plus les gens vont nous financer, plus nous ferons de bons programmes, plus nous allons embaucher des gens et acheter du matériel. Nous démarrons relativement petit, avec une douzaine de personnes en mars. Puis après, l'ambition, c'est de grossir. Normalement, sur une année, si nous nous débrouillons bien, il y a une vingtaine d'emplois. Il y a tellement rien en face, ou un offre de télévision, on va dire mainstream, tellement monolithique : elles se ressemblent toutes.

L'économie de Blast, ce n'est pas que la campagne de financement, mais c'est essentiellement centré sur les abonnements : l’abonnement à Blast est de 5 euros  par mois pour offrir un média de service public, c’est-à-dire que tout le monde pourra accéder aux contenus que nous allons fabriquer, comme ce que je faisais au Média il y a quelques mois. L’idée, c’est que les abonnés financent Blast parce qu'ils veulent créer un nouveau média accessible à tout le monde. Mais eux, ils auront le droit à des contenus privilégiés : nous allons développer un système de master classes et de formation qui va être offert gracieusement aux abonnés. Ils vont avoir accès avant le public à des informations privilégiées, à des contenus d'enquête, à des entretiens avec l'équipe. 

Je pensais que ça allait marcher, mais je ne pensais pas que cela allait marcher autant parce que là, en six jours, nous avons atteint l'objectif de 300 000 euros. Cela veut dire qu'il y a une réelle attente.                    
Denis Robert

Les gens ont confiance en nous, confiance dans le programme, confiance dans la structure juridique. Ils savent que nous n'allons pas les arnaquer, que nous allons faire de notre mieux et que nous allons faire du journalisme, pas de l'idéologie. Nous ne sommes pas un média de gauche ni de droite, nous ne soutenons pas un candidat. Nous voulons simplement faire du journalisme, avec cette ambition à la fois modeste et démesurée. Essayer de bien faire du journalisme aujourd'hui dans ce pays, c'est une tâche compliquée. Filmer des manifestations ou révéler des affaires, c'est compliqué. Nous allons sortir des affaires sur des problèmes d'assurance vie, nous allons fouiller tout ce qui est industrie bancaire en France ou big pharma. Nous avons une vingtaine d'enquêtes qui vont être lancées.

Vous dites que Blast n'est un média ni de droite ni de gauche mais vous arrivez quand même avec une étiquette, puisque Le Média est réputé proche de La France insoumise ?

Ce sont vraiment des conneries. Ce sont des questions que l'on n'a pas arrêté de me poser. Si les journalistes qui écrivent sur Le Media prennent cinq minutes pour aller sur internet, ils vont comprendre effectivement qu'il y a trois ans, les militants de La France Insoumise ont essayé de lancer un média avec Sophia Chikirou, amie de Jean-Luc Mélenchon et sa directrice de communication. Sophia Chikirou a eu une super intuition. Elle a essayé de lancer cela mais au bout de trois mois, elle s'est faite éjecter par l'équipe en place. Je ne vais pas revenir sur ces événements. À partir de ce moment-là, cela remonte à presque trois ans maintenant, le lien avec La France Insoumise et avec Jean-Luc Mélenchon a été rompu. Il y a ensuite eu toute une période avec Aude Lancelin qui, elle aussi, a été virée. Moi, quand j'arrive et que je reprends le truc, je suis journaliste : que je sois mélenchoniste ou pro-Verts, ce n'est pas le problème. Le problème, c'est que l'on fasse du journalisme. Il se trouve qu'aujourd'hui, faire du journalisme et révéler des affaires, cela a une connotation plutôt à gauche. 

Si nous sommes bons, les gens vont écouter ce que nous disons. Acrimed fait cela très bien : vous avez la liste des invités dans les émissions politiques le week-end et c'est affolant. 90% des week-end, c'est la République en Marche et quelques types de droite. Alors maintenant que Mélenchon est parti en campagne, nous le voyons un peu plus, mais la pluralité a quand même à peu près disparu des radars des télés mainstream. 

Aujourd'hui, il y a 2 500 personnes qui se sont abonnées à Blast en 5 jours. Nous atteindrons l'équilibre quand nous en aurons 25 000. Je pense que cela serait miraculeux que nous les ayons à la fin de la campagne de financement, mais nous avons une année pour arriver à cela.              
Denis Robert

Pourquoi avoir voulu lancer ce média alors qu'il y a pléthore de lancements comme celui-là. Il y a un réel besoin ?

Je suis quelqu'un qui est un grand déçu du macronisme. Je n'ai jamais eu d'espoir démesuré en Emmanuel Macron et sa politique. C'est mon point de vue, mais jamais en France un État n’a été aussi autoritaire, jamais des médias n'ont été autant inféodés à cet État autoritaire, jamais on n’a fait avaler autant de couleuvres à cette population, jamais on n'a été aussi violent à l'égard des manifestations, jamais la liberté d'expression n'a été aussi en danger qu’en ce moment. Moi, en tant qu'écrivain, en tant que réalisateur de documentaires, en tant que citoyen, j'ai ressenti au fond de moi-même une véritable impulsion. À un moment donné, je me suis dit : je vais arrêter de me regarder le nombril, d'écrire mes livres, puisque je suis écrivain avant tout, il faut que je sorte de ma chambre et de mon écran d'ordinateur. Avec Le Média, on m'a offert la possibilité de prendre une rédaction de 30-35 personnes. J'avais cette sensation, que cela se passait sur internet, que ce n'était pas nouveau mais qu'il fallait vraiment fabriquer des programmes nouveaux, donner la parole à des gens qui ne l'avaient pas ailleurs. C'est ce que je me suis appliqué à faire pendant 18 mois au Média jusqu'à ce que cela clash entre nous parce que je suis tombé sur des mauvaises personnes. Il y a des gens au Média qui ne voyaient pas le monde de la même façon et ils m’ont fait une sorte de procès auquel je ne m’attendais pas du tout. Cela a été une grande surprise pour moi alors que tout marchait bien, que nous avions multiplié par quatre les abonnements et que Le Média n'avait jamais gagné autant d'argent. Quand j'étais au Média et que je proposais des choses, ils me répondaient que c'était trop ambitieux : c'était un système à la soviétique un peu. À la seconde où je suis parti, je me suis dit : je ne vais pas lâcher l'affaire, je vais enfin faire le média que j'ai envie de faire. Tout s'est improvisé à partir de la fin du mois de septembre et donc assez vite, j'en ai parlé autour de moi et nous sommes un groupe d'une vingtaine à avoir gambergé sur des programmes. 

Les Français feront plus confiance à vous qu'à des médias mainstream, comme vous dites ?

France Inter, par exemple, c'est vraiment toujours les mêmes invités le matin. Je pense que c'est dans le casting, dans le choix des gens qui viennent, dans les sujets qu’on traite. Moi, j'écoute France Inter, j'écoute France Culture, j'écoute France info. Je ne dis pas que tout est mauvais, mais globalement, c'est toujours la même musique. D'une manière générale, c'est très politiquement correct. Ce sont toujours les mêmes poncifs, la manière de caricaturer les gilets jaunes. Les gilets jaunes, cela a été un moment de fracture pour moi : la manière dont ils ont été traités dans les médias. Donc, il y a une sorte de zone de fracture qui s’est opérée. Je pense qu'il y a une nécessité vitale d'information dans ce pays et je pense qu'en ce moment, le compte n'est pas bon. Le public est en souffrance d'informations. Nous sommes le produit de ceux qui nous payent : quand un média est payé par Bernard Arnault, Lagardère ou par Bolloré, l'information produite n'est pas la même que lorsque nous sommes libres et que nous dépendons de milliers de personnes qui nous financent.

Pourquoi avoir lancé cette campagne de crowdfunding ? Vous n’avez pas cherché d'investisseurs ? 

Non, je n'en ai pas vraiment cherché. Dans les détails du financement de Blast, il y a une part de mécénat, une part de partenaires, mais il y a surtout des sociétaires. Après la campagne de souscription sur les abonnements, nous allons lancer une campagne sur les sociétaires et sur les parts sociales. Pour devenir sociétaire de Blast, il faut prendre une part sociale et une part sociale coûte cinq euros. Et quand on a une part sociale, on a un droit de vote et on a un tout petit pouvoir. Que quelqu'un mette 100 000 euros ou 5 euros, il a une voix. Les voix ont différentes portées, parce qu'il y a cinq collèges. Il y a le collège des fondateurs, nous sommes douze et nous avons 50% du pouvoir. À côté de cela, il y a quatre autres collèges : il y a le collège des abonnés citoyens (15%), Il y a le collège des salariés de Blast (15%), il y a le collège des partenaires (10%) et le Collège des mécènes (10%)

Quelle est la différence entre partenaires et mécène ?

Les partenaires, ce sont des gens comme des éditeurs, des producteurs. Nous voulons devenir le média des médias. Par exemple, pour tout ce qui est enquête, nous allons travailler avec Basta Mag. Nous envisageons de développer des partenariats avec des médias indépendants (Reporterre, Arrêt sur images). Le mécène, je crois que c’est à partir de 30 000 euros : ce sont vraiment les gens qui font des dons importants. Par exemple, je veux beaucoup faire d'émissions culturelles, donc il y a une personne qui va nous donner sans doute plus de 100 000 euros pour qu'il y ait des émissions sur des livres dans Blast. Elle fera donc partie du collège des mécènes. Elle n'attend rien d'autre en retour qu'on fasse la promotion des livres et qu'on fasse une émission littéraire hebdomadaire sur Blast. Il y a d'autres mécènes : il y a un mécène qui nous a donné 50 000 euros parce que c’est quelqu’un que je connais bien, un ancien résistant, un vieux monsieur qui, plutôt que de gaspiller sa fortune en achetant des terrains ou des maisons, préfère investir dans un journal. 

Nous avons très peu d'argent de mécènes. Cela représente pour l'instant 5 ou 10 % des rentrées d'argent de Blast. S'il y en a plus, tant mieux, parce que cela me permettra de créer des emplois et de sortir des enquêtes.                
Denis Robert

Tout l'argent que nous allons gagner va permettre de créer des emplois, d'acheter de bonnes caméras, d'avoir un studio, d'acheter des locaux. Cela coûte très cher de fabriquer de l'information et les gens commencent à le savoir. Ils nous aident aussi parce qu'ils ont confiance en moi : ils savent que j'ai refusé les millions de Clearstream et que j'ai préféré garder mon honneur plutôt que de prendre leur blé. Donc, si j'ai fait cela une fois dans ma vie, ce n'est pas demain que je vais changer par rapport à cela. J'ai 60 balais : je fais cela par passion et pas par nécessité. 

1h 27