Diversité et inclusion en entreprise : effet de mode ou réelle amélioration ?
Par Fiona MoghaddamReportage. Sept entreprises viennent d'être épinglées par le gouvernement pour discrimination à l’embauche. La veille de cette annonce, une start-up lançait sa plateforme pour mesurer la diversité et l’inclusion dans des entreprises volontaires. Volonté d'amélioration ou question d'image ?
Le 6 février dernier, après une campagne de testing, le gouvernement a publié les noms de sept entreprises soupçonnées de discrimination à l’embauche. La méthode a très vite été contestée par la plupart des grands groupes épinglés. Tous vantent sur leur site internet leur engagement pour la diversité, en affichant leurs actions ou politiques en la matière. Pour aider les entreprises à savoir où elles se situent en terme de diversité et d’inclusion, une start-up vient de lancer une plateforme qui calcule leur empreinte globale sur diverses thématiques. Labels, chartes, ces outils qui permettent aux entreprises d’afficher leurs engagements sont de plus en plus nombreux. Les entreprises ont-elles une réelle volonté de progresser dans ces domaines ou s’agit-il surtout de se donner une bonne image sur un thème porteur ?
Pour agir en faveur de la diversité et de l'inclusion, les entreprises ont besoin "d'objectifs mesurables" - le reportage de Fiona Moghaddam
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Des labels, des chartes et maintenant, une plateforme dédiée à la diversité
Pour le lancement de la plateforme Mixity, plusieurs grands groupes, volontaires à prendre part au projet pilote de la start-up, sont venus présenter leurs résultats et engagements en matière de diversité et d’inclusion. Des scores variables, consultables librement sur le site de la plateforme, le moins bon étant pour l’indice "multi-culturel" chez ING qui affiche 50%, le meilleur chez Orange et Axa avec un score à 96% pour l’indicateur "LGBT+".
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C’est grâce à un questionnaire envoyé à l’entreprise que la plateforme calcule "l’empreinte diversité et inclusion" de l a société dans cinq domaines différents : genre, handicap, multi-générationnel, multi-culturel et LGBT+. Ils permettent notamment de connaître le nombre de femmes qui occupent des postes à responsabilité, le taux de personnes en situation de handicap dans l’entreprise ou le pourcentage d’embauches de salariés de plus de 55 ans ainsi que le nombre de collaborateurs et collaboratrices qui ont suivi des formations de sensibilisation aux discriminations. Des réponses communiquées par l’entreprise découle une empreinte globale. Pour accéder à la plateforme, l’entreprise doit verser un abonnement annuel variant de plusieurs centaines à quelques milliers d’euros, en fonction de sa taille. Des pistes d’amélioration et des objectifs à atteindre sont également fixés pour permettre à la structure de progresser dans les domaines concernés.
À l’origine de cette initiative, trois associés issus du milieu de la tech "où la diversité n’est pas très présente", explique Sandrine Charpentier, l’une des cofondatrices de Mixity. "On s’est dit que la data, l’innovation technologique, pouvaient aussi répondre à de grands enjeux de société, résoudre des problèmes. C’est un problème qu’aujourd’hui les organisations n’aillent pas davantage s’engager sur la diversité et l’inclusion. [On a souhaité] que la mesure et la transparence des données - qui est très demandée par tout le monde, par les internautes - puissent être aussi un outil de progrès. On a utilisé la technologie et nos compétences pour répondre à un enjeu important pour nous de progrès." La PDG de cette jeune pousse "Tech for Good" insiste sur la transparence et la neutralité de la démarche.
On est convaincu que communiquer de façon transparente sur ses informations, les afficher et permettre à tout le monde d’y avoir accès, est un engagement à s’auto-contrôler. Le risque de réputation est tellement grand si on sur-déclare des informations que l’entreprise ne serait pas gagnante in fine. Les organisations l’ont bien compris car elles savent qu’il faut s’engager. Mais derrière, il y a une obligation de transparence et il vaut mieux éviter un bad buzz sur ce sujet.
Sandrine Charpentier, l’une des cofondatrices de Mixity
"L’idée, c’est de faire beaucoup mieux"
Les premières entreprises qui ont inauguré la plateforme justifient leur démarche par la volonté de savoir où elles en sont. Sibylle Quéré-Becker est en charge du développement social, de la diversité et de l’inclusion chez Axa France : selon elle, agir suppose d’avoir des objectifs mesurables. "C’était une occasion pour nous de savoir comment l’on se situait sur ces différents points et de nous inscrire également dans la durée. Nous avons non seulement un score à la date d’aujourd’hui mais quelles sont les actions que nous allons poursuivre et enclencher pour nous permettre de progresser sur les différentes dimensions de l’inclusion ?"
En matière d’égalité femmes-hommes par exemple, l’entreprise affiche aujourd’hui un taux de 42% de femmes parmi les cadres dirigeants, sur un objectif de 45% pour 2020. "Cela suppose un certain nombre d’actions à toutes les étapes pour faire en sorte que les femmes aient à chaque fois l’ensemble de leurs chances dans les aspects de promotion ou d’éligibilité à des postes de cadres dirigeants", précise la directrice du développement social.
Chez SThree, autre société - spécialisée dans le recrutement - qui s’est engagée dans la démarche, cette même progression est également visée. "L’objectif n’est pas de savoir si l’on est bon ou mauvais, explique son directeur général Mathieu Libessart. Il nous importe d’améliorer notre approche. Dans un an, quand le moment d’un premier bilan sera venu, si l’on s’est amélioré dans l’une des catégories, ce sera déjà un grand pas. Mais l’idée, c’est de faire beaucoup mieux".
Une transparence limitée
Ces initiatives et volontés semblent plutôt louables de la part des entreprises. Mesurer va d’ailleurs dans le bon sens pour les syndicats. Mais la CGT regrette que les divers labels et index existants soient élaborés sans les syndicats ni les salariés (ce n’est pas le cas non plus pour la plateforme Mixity mais des pistes de développement en ce sens sont à l’étude, assure la start-up_). "Pour nous, organisations syndicales, qui avons à agir sur ces questions_ [de la diversité] à l’intérieur de l’entreprise, c’est beaucoup plus compliqué de le faire dans des entreprises qui ont obtenu ces labels puisqu’elles se disent assez exemplaires en la matière", constate Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT en charge des questions d’égalité et des discriminations. La CGT souhaiterait que les organisations syndicales soient associées à l’élaboration de ces outils. "On peut proposer des critères particuliers à prendre en compte parce qu’en fonction des critères pris en compte ou de la façon dont on mesure, au lieu de mettre en exergue ces discriminations, cela peut quasiment les masquer" déplore Céline Verzeletti.
C’est pour cette raison que le sociologue et professeur à l’université Paris I Jean-François Amadieu estime que les labels, index ou autre empreinte mesurant la diversité et l’inclusion dans une entreprise devraient être le fruit des pouvoirs publics. "C’est le cas en matière d’égalité femmes-hommes, avec des indicateurs très contraignants", précise ce spécialiste des questions de discrimination.
Pour tous les autres sujets de diversité ou de discrimination - il y a 25 motifs de discrimination – la pratique des entreprises, c’est plutôt des chartes. Au fond, on fait beaucoup de communication et on ne mesure pas toujours précisément où on en est : y a-t-il vraiment égalité des chances lors des recrutements ? Sur les salaires, y a-t-il des écarts, toute chose égale par ailleurs, justifiés ou pas ? Puis l’autre problème dans les labels ou les start-up qui se lancent dans l’exercice, c’est qu’il faut que les labels soient délivrés par des personnes indépendantes et que ce ne soit pas payé par les entreprises. Il faut ensuite que les labels utilisent des critères, des indicateurs statistiques précis, incontestables et mesurés de façon indépendante.
Jean-François Amadieu, sociologue et professeur à l’université Paris I
Pour certains aspects de la diversité et de l’inclusion, comme l’égalité femmes-hommes ou le handicap, les entreprises ont des obligations légales à respecter. Mesurer le taux d’emploi des personnes en situation de handicap ou le nombre de femmes à certains postes peut donc s’avérer être une démarche tout à fait sincère. "Ce n’est pas uniquement de la communication et cela explique que petit à petit, il y a ces préoccupations", ajoute Jean-François Amadieu.
En revanche, il réfute l’argument souvent employé par les entreprises qui associe diversité et source de performances. "Du point de vue scientifique, c’est faux, précise-t-il. Et ce n’est pas parce qu’il y a plus de performance pour la firme qu’elle doit faire de la diversité et de l’inclusion." D’après Jean-François Amadieu, si les entreprises sont de plus en plus soucieuses de la diversité et de l’inclusion, c’est non seulement en raison des "perceptions de l’opinion" mais aussi compte-tenu des risques pris en cas de non-respect des obligations légales.