Djihadistes français arrêtés en Syrie : "C'est le politique qui va devoir trancher"
Par Florence Sturm, Lise Verbeke
Entretien. Faut-il juger en France les djihadistes français arrêtés en Syrie ou en Irak ? Emmanuel Macron avait annoncé en novembre la politique du rapatriement au "cas par cas". Deux Françaises actuellement détenues en Syrie demandent à être jugée en France. Entretien avec Antoine Mégie.
Une trentaine de djihadistes français, hommes et femmes, auraient été arrêtés en Syrie et en Irak, la grande majorité par les forces kurdes en Syrie. Des "revenants" du djihad qui embarrassent les autorités françaises. En novembre, Emmanuel macron avait indiqué vouloir statuer au "cas par cas" pour le retour des djihadistes. Ce jeudi, Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement, a indiqué que si "dans le Kurdistan syrien (...) il y a des institutions judiciaires qui sont en capacité d'assurer un procès équitable (...), elles seront jugées là-bas", en restant flou et au conditionnel. Où faut-il juger les djihadistes français, arrêtés en Syrie ou en Irak, sur leur lieu d'arrestation ou en France ? Entretien avec Antoine Mégie, maître de conférence à l'université de Rouen, expert auprès de l'Ecole Nationale de la Magistrature.
Où se situe le débat pour le gouvernement français ?
Il y a trois éléments à analyser, l’élément juridique, l’élément politique et l’élément historique.
Si l'on commence par le juridique...
Dans les débats, l'élément juridique est très souvent mis en avant, notamment parce que l'on est à l'articulation entre un droit national, droit judiciaire anti-terroriste et un droit international qui rend compte également d'autres problématiques, comme celle de l'extradition.
Il faut bien comprendre qu'il y a plusieurs systèmes judiciaires. Actuellement on parle du Kurdistan syrien, mais cette question du traitement judiciaire à l'extérieur du territoire français se pose à la fois pour l'Irak, la Syrie et le Kurdistan syrien et les réponses juridiques sont très différentes.
Pour le cas irakien, le système judiciaire a été reconnu, ce qui n'est pas sans poser de problèmes, car les ressortissants français ne peuvent être jugés dans des systèmes judiciaires où ils risquent la peine de mort. De plus, il n'y a pas d'accord d'extradition entre la France et l'Irak, et même si cela peut être résolu par la diplomatie, en tout cas, cela pose un problème.
Pour le système syrien, la réponse a été très claire de la part des autorités judiciaires : il n'y a pas de système judiciaire possible.
Pour le Kurdistan syrien, et on est cette fois sur la question diplomatique, cela signifie que l'on reconnait une structure étatique au Kurdistan syrien ou du moins, un système judiciaire que l'on inscrit dans les relations diplomatiques avec la France. Donc c'est un vrai enjeu diplomatique, ce qui nous amène à l'autre dimension, très forte, celle du politique.
Le politique, qui se trouve aujourd'hui face au terrorisme jihadiste, dans une tension particulière ?
Effectivement et cette tension doit se comprendre justement par rapport à des situations très différentes. Il y a à la fois la lutte contre le terrorisme au niveau national, et la lutte contre le terrorisme au niveau international. Et lorsqu'on parle au niveau international, nous avons certes, la dimension judiciaire mais surtout la dimension militaire. Les réalités sont alors très différentes. Les militaires sont dans des actions anti-terroristes, et l'objectif c'est de "faire le feu". "Etre au feu", ce n'est pas mettre en place des procédures d'arrestations, d'enquêtes judiciaires.
Les questions qui vont se poser sont : comment juger ces ressortissants ? sur quelles bases ? Et désormais, est ce que le politique va accepter que des nationaux, qui doivent être protégés en tant que nationaux, et pour lesquels on peut demander une extradition, soient jugés sur le territoire français ?
Je pense d'ailleurs que les avocats de certains de ces ressortissants sont déjà en train de soulever des questions de droit et les posent presque directement aux politiques. Il y a donc une articulation forte entre l'enjeu juridique et l'enjeu politique. Et cela pose une question classique dans le contexte terroriste : les démocraties peuvent-elles continuer à respecter leur principe d'Etat de droit, y compris lorsqu'elles font face à des personnes qui souhaitent les terroriser ou les attaquer ?
Et dans ce cas-là, le politique l'emporte-t-il sur le judiciaire ?
Il semble qu'aujourd'hui, effectivement, c'est le débat politique qui va devoir le trancher. D'ailleurs, c'est souvent le débat politique, dans les cas de lutte contre le terrorisme, qui tranche. Dans les années 1970-80, cette question de l'extradition et de la politique pénale a été posée. Surtout quand François Mitterrand a décidé de ne pas arrêter et extrader vers l'Italie des personnes qui n'avaient pas commis des crimes de sang, au nom justement de la lutte d'extrême gauche, et des Brigades rouges.
Il y a également l'exemple des logiques d'extradition établies par les Etats-Unis, après le 11 septembre. Des extraditions qui ont été illégales pour certaines, d'autres qui se sont inscrites dans des programmes juridiques d'exception. Ce qui a donné des personnes enfermées à Guantanamo, ce qui pose encore aujourd'hui des problèmes de justice et de respect du droit.
Est-on en train d'entrer dans une nouvelle séquence, après celle des revenants, cette fois une séquence avec toutes ces personnes arrêtées en Irak ou en Syrie ?
Le futur nous le dira, mais pour l'instant le choix s’opère au niveau du politique. C'est là où l'histoire est importante. La manière dont les démocraties traitent les personnes qui les attaquent, au nom d'une idéologie dite terroriste, cet enjeu-là est central. Comme on a pu le voir dans d'autres procès, des procès d'affaires intérieures, notamment le procès Merah, où l'Etat de droit finalement a pu avancer en respectant les défenses, et les droits des personnes accusées de terrorisme.