**Sommes-nous assez informés des risques de détournement de nos données personnelles ? Non, d’après l’Observatoire des Libertés et du numérique (OLN), créé en ce 28 janvier, journée européenne de protection des données privées. **

**« Vous ne verrez personne manifester dans la rue contre l’utilisation des données privées » ** soupire Dominique Guibert , vice-président de la Ligue des droits de l'Homme (LDH). Et pourtant, au-delà des scandales spectaculaires – et illégaux – de la NSA, de nombreux cas demeurent en « zone grise » : « ils attentent à notre liberté en échange d’une soi-disant sécurité renforcée ».
Pourquoi ces violations de la vie privée ne soulèvent-elles pas l’indignation ? Pourquoi ne provoquent-elles pas de grands débats sociétaux ? Réponse de Dominique Guibert, au micro de France Culture :
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C’est pourtant dans nos actes quotidiens que nous pouvons lutter contre "l’aspiration" de nos données numériques par des tiers. Par exemple à l'occasion d'une demande de passeport, explique Chantal Enguehard , maître de conférences en informatique à l’Université de Nantes :
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« Dans la population, il y a une acceptation généralisée, sur le mode : "après tout, qu’y puis-je ?", note Eric Bocciarelli , secrétaire général du Syndicat de la magistrature. Forcément, c’est un constat d’échec. »
Grandes oreilles…
L’Observatoire des libertés et du numérique regroupe l’expertise d’associations et syndicats (Ligue des droits de l'Homme, Syndicat de la magistrature, syndicat des avocats de France, etc.) qui, jusqu’à présent, se battaient seuls. Pour autant, la structure ne se compose que de bénévoles, n’a pas de financement ni de site internet.
« Nous nous centrons pour l’instant sur quelques combats emblématiques » explique Dominique Guibert. Parmi eux, la lutte contre deux fichiers : le** fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) et le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG)**

« Le FNAEG concernait à l’origine les auteurs de crimes sexuels sur mineurs, puis on l’a progressivement étendu son application, raconte Maryse Artiguelong , de la LDH. [En 2001, aux actes de torture et barbarie, au terrorisme, puis en 2003, à la plupart des crimes et délits]. Aujourd’hui, un gamin qui fait un graffiti sur une poubelle peut être fiché génétiquement. Ce fichier recense** 2,2 millions d’empreintes génétiques. ** Y compris des personnes qui ont été innocentées. »
En avril dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a d’ailleurs condamné la France à propos du fichier des empreintes digitales.
**Un autre sigle matérialise l’inquiétude de l’Observatoire : PNIJ. ** « La Plateforme nationale des interceptions judiciaires nous fait craindre un mélange entre écoutes judiciaires et administratives, non-contrôlées par la justice. Le tout, géré par Thalès, une entreprise privée, ce qui pose tout de même de sérieux problèmes de conflit d’intérêt. Imaginez qu’un jour, Thales soit elle-même visée dans une enquête et qu’il faille faire des écoutes… » détaille le juge Eric Bocciarelli.
… et espionnage du quotidien
Si l’inquiétude contre les « grandes oreilles » se nourrit des exemples d’actualité, il ne faut pas négliger l’espionnage « décentralisé », par des proches. Céline Kurt , avocate en Seine-Saint-Denis, le constate de plus en plus :
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Les pièges se situent aussi dans des détails plus banals. Comme le fait d’autoriser un site à garder en mémoire des données personnelles. « Selon la loi , explique Daniel Naulleau, membre de l'Observatoire, on doit être volontaire et cocher une case. Cela s’appelle l’ « Opt-in » ». Pourtant, c’est souvent l’inverse (« Opt-out ») qui prévaut : sur de nombreux sites, il faut décocher une case – souvent quasi introuvable – pour ne pas être embêté.
Promouvoir le débat public
Et la CNIL dans tout cela ? La
Commission nationale informatique et liberté, garante de la bonne utilisation des données numériques, a un pouvoir trop limité pour être efficace, selon Maryse Artiguelong, membre du Comité central de la Ligue des droits de l’homme :
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Nous avons tenté de joindre la CNIL, qui n’a pas répondu à nos demandes d’interviews.
« Nous ne pouvons nous substituer à elle, précise Maryse Artiguelong. Nous préférons être des lanceurs d’alerte. Alerter l’opinion sur des sujets précis, grâce à des pétitions ».
L’Observatoire compte aussi déposer des amendements aux projets de loi qui concernent les données numériques. Ses fondateurs revendiquent une première victoire sur le fichier des empreintes digitales. « Nous avons écrit à Christiane Taubira, raconte Maryse Artiguelong. Elle nous a répondu qu’un nouveau décret était en cours de rédaction ».