#LaThéorie. En matière de politique culturelle, c’est une certitude : il y aura un avant et un après coronavirus. Plus que tous les rapports, mesures ou professions de foi des différents locataires de la rue de Valois, la séquence que nous traversons est en train rebattre les cartes de l’offre culturelle.
Dans cette période de confinement, le relais que constitue le numérique pour la culture est une occasion d’en finir avec l’opposition entre culture des écrans et culture IRL « in real life », entre culture partagée et culture solitaire.
Des fractures, des inégalités, des effets pervers, il y en aura bien sûr avec cette expérience de « culture chez nous » (pour reprendre le nom de la plateforme lancée par le ministère de la Culture). Mais c’est la place du numérique comme outil de démocratisation culturelle qui est aussi en train de se définir pour l’avenir. Voilà ma théorie.
Evidemment tout le monde, faut-il le rappeler, n’a pas accès à Internet, et de nombreux foyers confinés ne possèdent pas d’ordinateur ou alors le partagent entre le télé travail des uns et les jeux vidéos des autres. Bref, la fracture numérique culturelle est bien là. Et qui aujourd’hui profitera de l’incroyable offre de contenus culturels numérisés si ce n’est ceux et celles qui ont déjà des réflexes et des pratiques culturelles ? Sans oublier que ce terrain une fois occupé par le numérique pourrait entraîner la culture « hors écrans » dans une spirale infernale.
« Janus » du continuum numérique
Pour ne citer que quelques exemples : les libraires, les professionnels du spectacle vivant et les exploitants de salles de cinéma sont très inquiets des effets « Janus » de ce continuum numérique.
Ainsi, partagés entre la défense de leur place en tant que « commerces essentiels à la vie de la nation » et la réalité des dangers sanitaires, les librairies craignent de voir Amazon engloutir leur chiffre d’affaire sur les semaines écoulées et à venir. Le spectacle vivant estime ses pertes à 590 millions d’euro et pourrait ne pas se remettre de ce séisme d’autant que les « arts de l’émotion » (comme les nomme l’éditorialiste Michel Guerrin dans Le Monde) sont actuellement remplacés l’expérience live en ligne. Quant aux exploitants de salles de cinéma et producteurs, ils se méfient de la perturbation exceptionnelle de la chronologie des médias. Pour résumer : certains films dont la diffusion sur grand écran a été interrompue ou suspendue pourraient, sur décision du CNC, se reporter sur une sortie en VOD (vidéo à la demande).
Cela étant posé, une hypothèse beaucoup plus positive et combinatoire se dessine.
Du "marathon culturel de confinement" à une nouvelle interface pérenne
Tout d’abord, transformé en « Culture chez nous », le site du ministère de la Culture, qui empile habituellement les pavés textuels de discours et de communiqués, est devenu soudainement vivant. Ecouter des podcast ? Visiter une exposition ? Faire découvrir les chefs d’œuvre du Louvre aux enfants ? Les initier à l’architecture et au patrimoine ? Assister à un concert ou un spectacle ? Se former aux pratiques culturelles et artistiques ? Faire son éducation aux médias ? Si ça vous tente vous n’avez qu’à cliquer. Plateforme des plateformes, le site « Culture chez nous » a comme tout à coup clarifié et organisé l’offre culturelle de manière beaucoup plus désirable. Et à ce titre ce changement ne devrait pas se limiter à une sorte de « marathon culturel de confinement » mais définir une nouvelle interface pérenne et une nouvelle approche.
Car les contenus numérisés mis à disposition par les différents acteurs culturels, qu’ils soient privés ou publics, constituent de formidables incitateurs d’expériences culturelles « réelles ». Les toiles de Van Gogh dansant sur les murs des expositions numériques n’ont-elles pas donné le goût au public de les voir en vrai ? Le documentaire « I’m not your Negro » de Raoul Peck d’abord disponible sur petit écran et en replay, n’a-t-il pas connu un succès considérable dans les salles françaises et dans le monde ? De même les films rares et les chef d’œuvres proposés gratuitement, les opéras, les livres en édition numérique, les visites virtuelles et les concerts en ligne, ne vont-ils pas tous attirer un nouveau public ?
« Les modes ne sont après tout que des épidémies provoquées » disait le dramaturge et critique George Bernard Shaw, le Covid 19 provoquera peut-être paradoxalement une épidémie de nouvelles pratiques culturelles.