Du mythe à la science : la Lune et l'Homme

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Du mythe à la science : la Lune et l'Homme

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Une silhouette face à la lune.
Une silhouette face à la lune.
© Getty - Irina Milevskaya / EyeEm

Previously. Pour que l'Homme marche sur la Lune, il a bien fallu que l'espèce humaine réalise que cette étrange boule argentée surplombant le ciel n'était pas l'incarnation du divin. Que représentait la lune, mythologiquement, avant que l'être humain ne réalise qu'elle est le satellite de notre planète ?

Nombreux sont les mythes qui s'articulent autour de la dualité Lune et Soleil, et qui ont tour à tour tenté de justifier l'existence de ces disques doré et argenté surplombant les cieux. Les premiers êtres humains s'interrogeaient déjà sur leur existence, puisqu'à en croire certains chercheurs, les animaux tracés sur les parois des grottes de Lascaux, dès le paléolithique, représentaient d'ores et déjà des constellations et faisaient écho à des événements cosmiques, des éclipses à la chute de météores.

Au même titre que le Soleil, la Lune, immuable, a toujours été là. Elle a donc été l'objet de toutes les croyances, tantôt rassurante, tantôt inquiétante. Mieux encore, elle a été l'un des premiers instruments de mesure du temps. Les civilisations qui nous ont précédés l'ont vénérée autant qu'elles se sont employées à diviser le temps en fonction des cycles lunaires, sans jamais cesser de chercher à comprendre sa nature.

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L'Invité(e) des Matins d'été
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La Lune, objet de croyances pluri-millénaires

Tour à tour dieu ou déesse, la Lune porte de nombreux noms. Dès la Mésopotamie antique, elle est incarnée par le dieu Sîn chez les Assyriens, ou Nanna(r) pour les Summeriens, et a enfanté le dieu Soleil, Shamash/Utu. La ville d'Ur, une des plus grandes grandes villes de la Mésopotamie antique (située dans l'Irak actuel), vénère le dieu-Lune Sîn plus de 3 000 ans avant notre ère.

En Inde, c'est le mythe de Chandra, raconte l'astrophysicienne Fatoumata Kébé, autrice de La Lune est un roman. Histoires, mythes et légendes

Dans la religion hindoue il existe trois dieux primordiaux, ainsi que d’autres dieux, les devas, et démons, les asuras, qui n’étaient pas immortels et qui se sont associés pour créer un élixir d’immortalité. Quand ils y sont parvenus, les dieux secondaires n'ont pas voulu partager avec les démons, et ils se sont donc alignés pour prendre l’élixir d'immortalité. Le démon secondaire Rahû s’est mis dans cette file, mais la Lune, Chandra, et le Soleil, Sûrya, le voient et le dénoncent au Dieu Vishnou, qui lui tranche la tête et la projette dans l'espace. Mais Rahû a déjà bu une partie de l'élixir et sa tête est immortelle : ainsi lorsqu'il y a une éclipse, c’est Rahû qui vient se venger, et qui avale le Soleil ou la Lune, avant de les recracher car il n’a plus de corps. 

Les Aztèques aussi ont leur mythologie pour expliquer l'apparition de la Lune et du soleil, comme le rappelait en août 2 000 Michel Cazenave dans l'émission Mythologies du monde entier

Dans le Mexique ancien, d’avant la conquête par les Espagnols, il y avait une terreur profonde. C’était que, chaque matin, le soleil ne se lève plus. [...] Pendant une longue période les dieux qui existaient déjà vivaient dans les ténèbres. Les dieux un jour se réunirent tous ensemble et tinrent conseil. Et puis tout à coup ils se dirent : mais il faudrait trouver quelqu'un parmi nous qui se chargera de faire le Soleil, qui se chargera de faire la lumière. Il y en a qui se présente, du nom de Tecciztecatl. Et les dieux se dirent [...], pendant la nuit il faut aussi qu'il y ait de la lumière, et donc il faut créer un autre astre.

A la naissance du monde : le Soleil et la Lune (Mythologies du Monde entier, 01/08/2000)

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En Occident, on est plus habitué à entendre parler de leurs versions grecque ou romaine. Les Grecs l'appellent ainsi Séléné, fille des Titans Hypérion et Théia, sœur d'Hélios (le Soleil) et d'Éos (l'Aurore). Elle représente la pleine Lune et est le second membre d'une triade composée d'Artémis, le croissant de Lune, et Hécate, la nouvelle Lune. De leur côté, les Romains ont baptisé cette déesse Luna.

Personnages en personne
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La Lune, divinité de la fertilité

Qu'il s'agisse de Chandra dans la mythologie indienne, Kathou en Egypte, Mama Quilla dans la mythologie inca ou encore Artémis chez les Grecs, les divinités associées à la Lune ont bien souvent pour domaine celui de la fertilité. En Mésopotamie antique déjà, Sîn, ou Nanna était représentée par un croissant de lune, un symbole qui, une fois couché, évoque les cornes d'un bovin, un animal lié à la fertilité dans les cultures du Proche-Orient ancien. 

Surtout, si les divinités lunaires sont aussi souvent associées à la fertilité, c'est parce qu'elles ont été liées au cycle menstruel. Un cycle lunaire dure en effet environ 29 jours et demi, quand le cycle menstruel dure en moyenne 28 jours. Ces temporalités ont naturellement été rapprochées, bien qu'aucune preuve scientifique n'ait jamais étayé l'hypothèse d'un lien entre les deux cycles. Par extension, la Lune est donc devenue un symbole de la maternité : à en croire Aristote dans Histoire des Animaux (-343) le début de la lunaison est ainsi un symbole de gestation, alors que la pleine Lune facilite l'accouchement. C'est la raison pour laquelle il est conseillé de ne pas se marier les jours de pleine Lune, juste avant que cette dernière ne décroisse. 

La lune, encadrée de nuages.
La lune, encadrée de nuages.
© Getty - Mike Fuss / EyeEm

La Lune comme mesure du temps 

Pour ces mêmes raisons de cycles, la Lune a toujours été un instrument de mesure du temps. On le retrouve d'ailleurs jusque dans l'étymologie du mot, rappelle ainsi Fatoumata Kebe dans son ouvrage La Lune est un roman (Slatkine & Cie). Auparavant il existait deux mots pour la désigner, luna, mais aussi mensis. Mensis nous vient de la langue orale, l'indo-européen, à la racine de toutes les langues de cette région du monde. Le mot racine de mensis est meh, qui a pour sens "briller, éclairer" et donnera également "Lumen"... dont dérivera Lumina (la lumineuse), puis Luna. Si en France c'est le mot Lune qui reste, ailleurs c'est de mensis que dérivent les substantifs de l'astre, comme "moon" pour l'anglais ou "mond" pour l'allemand. En France, on retrouve des dérivés de "mensis" avec "mois" ou "mensuel".

Étymologiquement, on retrouve donc la notion de temporalité propre à la Lune. En Mésopotamie antique, dans Enuma Elish, l'épopée babylonienne de la création du monde, le dieu Marduk confiait d'ailleurs à Nanna/Sîn, le Dieu lunaire, la mesure du temps : 

Puis il fit apparaître Nanna                                              
À qui il confia la Nuit.                                              
Il lui assigna le Joyau nocturne                                              
Pour définir les jours :                                              
Chaque mois (lui dit-il), sans interruption,                                              
Mets-toi en marche avec ton Disque.                                              
Au premier du mois,                                              
Allume-toi au-dessus de la Terre ;                                              
Puis garde tes cornes brillantes                                              
Pour marquer les six premiers jours ;                                              
Au septième jour,                                              
Ton Disque devra être à moitié ;                                              
Au quinzième, chaque mi-mois,                                              
Mets-toi en conjonction avec Shamash [le Soleil].                                              
Et quand Shamash, de l'horizon,                                              
Se dirigera vers toi,                                              
À convenance                                              
Diminue et décrois.

"C’est chez le peuple babylonien qu’on a trouvé les tablettes les plus anciennes de ce qu’on appelle un calendrier lunaire, relate l'astrophysicienne Fatoumata Kébé. Ils avaient déjà compris les notions de phases de la lune et ils avaient calqué le temps par rapport aux phases de la lune telle qu’elle apparaissait dans le ciel."

Plusieurs civilisations antiques, des Chinois aux Grecs, utilisaient un calendrier luni-solaire : l'année est ainsi basée sur le cycle du Soleil, et est divisée en mois, selon le cycle régulier des phases de la Lune, avec un mois intercalaire pour ajuster le décalage qui se crée tous les trois ans environ. "En Arabie le calendrier était solaire avant de devenir un calendrier lunaire, précise encore Fatoumata Kébé. Un des rares calendriers lunaires encore en activité aujourd’hui est le calendrier musulman. C'est pourquoi il progresse de 11 jours en moyenne chaque année, par rapport au calendrier grégorien.

De l'Antiquité à Galilée : la Lune comme objet scientifique 

Malgré son utilité calendaire, la Lune a longtemps conservé sa dimension mystique. Dès l'Antiquité pourtant, les savants se penchent sur cet étrange cercle argenté qui surplombe le ciel nocturne. Le philosophe grec Anaxagore de Clazomènes estime ainsi dès 450 avant notre ère, que la Terre et les planètes ne sont en réalité que des grosses pierres sphériques en mouvement dans l'espace, décrivant au passage le fonctionnement exact du mécanisme des éclipses.

Six siècles plus tard, le mathématicien et astronome Claude Ptolémée, dans l'Almageste (IIe siècle), décrit le mouvement apparent de la Lune, calcule la valeur quasi exacte de la distance Terre-Lune, et détermine le mouvement des planètes, selon le système géocentrique. Comme le raconte Christian Nitschelm dans son ouvrage Histoire de l'astronomie (2013, éditions Nouveau monde), les travaux de Ptolémée marquèrent durablement la conception de l'univers et furent largement utilisés pendant les quatorze siècles qui suivirent par les Grecs comme les Arabes et les scolastiques latins. 

Une fois ces connaissances établies, il faut d'ailleurs attendre le XVIIe siècle et l'avènement de la lunette astronomique pour que la Lune soit à nouveau étudiée comme un objet scientifique. En 1609, le mathématicien et astronome anglais Thomas Harriot est un précurseur de ce renouveau scientifique : à l'aide d'une lunette grossissant 6 fois, il est le premier à dessiner le relief lunaire ainsi qu'à identifier et dessiner ses mers et ses cratères. 

Les premiers croquis des cratères et mers de la Lune esquissés par Thomas Harriot.
Les premiers croquis des cratères et mers de la Lune esquissés par Thomas Harriot.
- Thomas Harriot

Ces mêmes mers et cratères prennent différents noms, à mesure qu'ils sont observés à la lunette. D'abord nommés d'après des saints catholiques et membres de la famille royale, puis de noms grecs et latin de formations géologiques, ils passent finalement à la postérité avec les dénominations choisies par Riccioli et Grimaldi, parues en 1651 dans l'Almagestum Novum : pour les cratères, ils utilisent des noms d'astronomes et de personnages célèbres, mais les mers prennent une dénomination liée à la météorologie, d'où la "Mer de la tranquillité" ou l'"Océan des Tempêtes". 

En réalité, la Lune acquiert enfin toute sa dimension scientifique grâce à Galilée, qui reste définitivement le point pivot de l'astronomie moderne. Contrairement à une croyance populaire, Galilée n'invente pas la lunette, il améliore simplement la longue-vue imaginée par l'opticien hollandais Hans Lippershey (celle-là même qu'a utilisée l'astronome anglais Thomas Harriot pour ses observations) : là où la longue-vue grossissait, grâce aux ajouts du scientifiques, elle permet de grossir jusqu'à 30 fois le décor observé. Il ne s'agit plus d'une longue-vue mais bel et bien d'une lunette astronomique, que Galilée met immédiatement à profit pour observer les paysages lunaires et découvre que contrairement à ce que voulait la théorie aristotélicienne, le satellite de la Terre n'a rien de parfait. Sa conception de la lunette astronomique va permettre de bouleverser la conception du modèle de l'univers, et ses observations de la Lune mais aussi des satellites de Jupiter le convaincront de défendre l'héliocentrisme :  

La Méthode scientifique
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Au XVIIe siècle, c'est donc l'avènement de la lunette astronomique qui ôte à la Lune un peu de sa dimension mythologique. Elle commence alors à être étudiée, décryptée... sans pour autant perdre complètement son aura mystique. Preuve en est de la résurgence récente de l'astrologie, où l'astre lunaire tient toujours une place importante. 

Reste qu'à l'échelle de l'histoire de l'humanité, la nature de la Lune a été comprise tardivement. Et si la rotation de la Lune n'avait pas été aussi parfaitement synchrone avec celle de la Terre, les civilisations nous précédant auraient pu réaliser que cette dernière tournait bel et bien sur un axe... L'Histoire de la Lune, et celle de la science, en auraient certainement été changées.