Dubaï, porte encore entrouverte sur l’Iran

Des bateaux iraniens dans le port Ras al-Khor de Dubaï le 10 juillet 2019 : ces embarcations transportent principalement de la nourriture.
Des bateaux iraniens dans le port Ras al-Khor de Dubaï le 10 juillet 2019 : ces embarcations transportent principalement de la nourriture.

"Il faut lever les sanctions et inciter l'Iran à construire la stabilité de notre région"

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Dubaï, porte encore entrouverte sur l’Iran

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Pendant longtemps, Dubaï fut la fenêtre sur le monde pour l’économie de la République islamique. Avec les sanctions américaines, seul un petit flux financier et commercial subsiste encore aujourd’hui.

Depuis la révolution islamique de 1979, Dubaï s'est transformé en "hub" économique et financier pour la République islamique, comme une fenêtre sur le monde. Aux plus belles heures, près de 400 000 Iraniens résidaient dans l’émirat. Aujourd'hui, leur nombre a fondu.

"Les Émirats ont été menacés par les États-Unis"

Nombre d’hommes d’affaires s’étaient installés sur l’autre rive du Golfe persique, regroupés au sein de l’Iranian Business Council (IBC). La classe moyenne et supérieure iranienne a investi dans l’immobilier et ouvert des comptes bancaires, participant ainsi à l’essor économique de la ville-monde.

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Mais les sanctions américaines, de plus en plus lourdes, ont progressivement cassé les liens commerciaux et financiers entre Dubaï et l’Iran. "Bon an mal an, le volume des échanges étaient de 54 milliards de dollars", précise un banquier_. "Aujourd’hui, il est tombé à 4 milliards de dollars. [...] Les Émiriens ont été menacés par les États-Unis, donc ils font très attention",_ poursuit-il. 

Dans le consulat américain, bunker de béton posé sur les rives de la crique de Dubaï, l’équipe de l’OFAC (Office of foreign assets control) veille au grain pour faire appliquer les sanctions. Tous les mois, ce gendarme du Trésor américain désigne des entités liées au commerce avec l’Iran. Résultat : la présence économique, financière et humaine iranienne s’est réduite comme peau de chagrin. Il ne reste plus que deux banques ayant pignon sur rue, Saderat et Melli. Ces deux établissements bancaires liées aux Gardien de la Révolution opèrent toujours sous licence du régulateur émirien, y compris à Abou Dhabi. Mais, leur activité s’est considérablement réduite.

La banque iranienne Saderat a encore pignon sur rue à Dubaï
La banque iranienne Saderat a encore pignon sur rue à Dubaï
© Radio France - Christian Chesnot

Sous la présidence Trump, l’administration américaine a aussi imposé des sanctions sur l’exportation du pétrole iranien, principale source de revenus de la République islamique. Or, la porte de Dubaï et des Émirats ne s’est pas complètement refermée.

"Il reste des traders pétroliers ici à Dubaï", nous confie un diplomate. "Ce sont surtout des Grecs et des Chypriotes. Avant d’être ré-exporté vers l’Asie, le brut iranien est encore stocké à Foujeirah. Évidemment, ces gens-là ne passent pas par HSBC pour se financer. Les banques locales jouent un certain rôle, ainsi que les banques turques et d’autres circuits financiers."

Grand Reportage
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Le business iranien s'est déporté vers la Turquie et Oman

Le système du "hawala", système de paiement traditionnel informel, fonctionne toujours à Dubaï, mais il est aussi en régression. Il y a dix ans, on comptait une vingtaine de changeurs iraniens. Aujourd'hui, il n’est n’en reste que trois ou quatre.

Une large partie du business iranien s’est déportée vers la Turquie, où l’obtention de visas est plus facile. Une partie des flux financiers transite désormais par le sultanat d’Oman voisin. Le gouverneur de la banque centrale iranienne est d’ailleurs régulièrement reçu à Mascate. 

Hasard ou pas, Oman vient une nouvelle fois d’être inscrit sur la dernière liste noire de l’Union européenne des 12 États et territoires considérés comme "des juridictions fiscales non coopératives". "Les avoirs iraniens dans les banques omanaises sont un vrai sujet", confirme un diplomate.

"L'Iran doit continuer à respirer"

Face au géant iranien qui a créé son système bancaire avec l’Imperial Bank of Persia à la fin des années 40, Dubaï ne peut pas complètement couper les ponts aux échanges bilatéraux. La République islamique a les moyens d’envoyer des messages sans équivoque, comme celui qu’elle a adressé à l’Arabie saoudite le 14 septembre 2019, quand le site d’Abqaiq du géant pétrolier ARAMCO a été touché par une frappe de drones et de missiles.

Pour les marchandises, les "dhows", bateaux traditionnels en bois, continuent de faire la navette entre les deux rives du Golfe persique, comme au temps de l'écrivain français Henry de Monfreid. Ces embarcations acheminent des petits volumes de biens d’équipements, de produits agro-alimentaires et de matériels divers dans les ports iraniens. Ce commerce est toléré par les autorités émiriennes, parce qu’il pèse peu et reste symbolique. De fait, des négociants en import/export continuent de travailler sur l’Iran. Ils disposent d’entrepôts sur le port de Jebel Ali à Dubaï ou celui de Foujeirah. 

Sur la crique de Dubaï
Sur la crique de Dubaï
© Radio France - Christian Chesnot

Autre curiosité : les liaisons aériennes sont maintenues entre Téhéran et les Émirats, notamment avec Iran Air, mais aussi Mahan Air, qui appartient aux Gardiens de la Révolution et qui est sous sanctions de l’OFAC !

Malgré les gros yeux des Américains, les autorités de Dubaï et des Émirats ferment les yeux sur ces relations économiques avec la République islamique. Car, comme le résume, réaliste, un officiel émirien : "L’Iran doit continuer à respirer…"