Il m’a fallu […] l’exil, un bannissement atténué, l’exil géographique et l’exil, dès ma naissance, de la langue de mon père […] pour écrire sous le nom du père, au nom du père, pour devenir dans la langue de ma mère, le scribe de mon père sans l’arabe, avec un nom arabe. (Leïla Sebbar)
Toute une partie de l'œuvre de Leïla Sebbar se trouve nouée à un manque, un silence fondateurs : ceux de l'arabe non transmis par le père. Les textes convoquent les moments volés qui ont permis l'interception de bribes de cette langue, restée délibérément incompréhensible, par une enfant dont la présence silencieuse pouvait être oubliée. À ces souvenirs premiers se superposent ceux d'autres situations d'interceptions à la dérobée de propos tenus entre immigrés arabes dans un square, dans un café parisien par une observatrice tout aussi silencieuse, toujours en retrait, avide de retrouver adulte l'émotion de l'enfant en présence de cette langue pénétrante et inintelligible : langue du secret et du sacré, entraperçue par effraction. Des récits fictifs doublent ces souvenirs par des anecdotes tout aussi symboliques aptes à circonscrire sans jamais les combler les trous, les blancs du discours paternel. Bien qu'obstinément liée au père, l'arabe devient langue imaginaire se situant sur la polarité symbolique du maternel, sorte de langue originelle à jamais perdue, se passant de toute élaboration en système parce que fondée sur l'immédiateté du sensible.
Écrire (sur) le silence, par Martine Mathieu-Job
56 min
Martine Mathieu-Job est Professeure émérite de littératures française et francophones à l'université Bordeaux Montaigne. Littératures coloniales et postcoloniales de l'océan Indien et du Maghreb ainsi que écritures de la Méditerranée constituent ses domaines de recherches privilégiés.
Cette communication a été enregistrée dans le cadre du colloque intitulé Leïla Sebbar, d'une rive l'autre, croiser l'intime et le politique qui s’est tenu au Centre Culturel International de Cerisy du 2 au 8 août 2021, sous la direction d'Aline Bergé et Sofiane Laghouati, avec la participation de Leïla Sebbar.