Ecriture inclusive : le féminin pour que les femmes cessent d'être invisibles

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Ecriture inclusive : le féminin pour que les femmes cessent d'être invisibles

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A Toulouse le 11 septembre 2017, lors de manifestations, un panneau avec le point médian
A Toulouse le 11 septembre 2017, lors de manifestations, un panneau avec le point médian
© AFP - Alain Pitton / NurPhoto

L’écriture inclusive visant à rétablir la parité dans l’écriture, est au cœur d’une vive polémique. Derrière se cache en réalité un débat sur la parité et la place du féminin dans la langue française et son invisibilisation progressive à partir du XVIIe siècle.

Lavage de cerveau”, “attentat à la mémoire” ou encore “agression de la langue par l’égalitarisme”, ce sont les mots qu’utilisait le philosophe Raphaël Enthoven lorsqu’il s’enflammait cette semaine contre l’écriture inclusive sur Europe 1 :

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Cette écriture, qui vise à rétablir la parité dans la langue française, a été pour la première fois utilisée dans un manuel scolaire édité par les éditions Hatier publié en mars 2017. En suivant en fait les recommandations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), ce manuel a réveillé une polémique vieille de plusieurs siècles, sur la place du féminin dans l’écriture.

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Rendre les femmes visibles dans l'écriture

Peut-être avez-vous déjà croisé dans vos lectures le fameux point médian ? Exemple : "les étudiant·e·s diplômé·e·s en littérature", ou "auteur·e". Pour placer ce point médian au milieu d'un mot, il suffit sur votre clavier de taper sur la touche ALT, puis 0183 sur le pavé numérique. Mais par écriture inclusive, on entend aussi le fait d'accorder, par exemple, les noms de métier ou les fonctions au féminin : "Madame la présidente", "autrice" ou encore "docteure". Ce sont là autant de préconisations de l'écriture inclusive qui visent à redonner aux femmes leur visibilité dans la langue française.

Si l'expression "écriture inclusive" est récente, la réflexion, en revanche, n'est pas nouvelle. Amorcée il y a une trentaine d'années, la première tentative visait à remettre du neutre dans l'écriture ; on parlait de "langage épicène". Or, la langue française étant intrinsèquement très genrée, le débat s'est alors tourné vers le rétablissement de la parité dans l'écriture. Le terme "inclusif" a été choisi comme un miroir plus juste de cette bataille langagière et féministe. Eliane Viennot, historienne et auteure de l'ouvrage Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin, explique que la langue française n'est pas inégalitaire par essence : ce sont les actions menées par des hommes contre l'égalité des sexes depuis le XVIIe siècle, qui ont mené progressivement à l'invisibilisation des femmes.

Il existe par exemple ce qu'on appelle la "règle de proximité". Cette règle prévoit l'accord de l'adjectif avec le substantif le plus proche. Si on la suit, on doit par exemple écrire "les hommes et les femmes sont belles"... mais aussi "les femmes et les hommes sont beaux". Cette règle, longtemps en vigueur dans la langue française, a été progressivement évincée à partir du XVIIe au profit d'un usage selon lequel "le genre le plus noble l'emporte sur l'autre".

A la fin du XIXe siècle, avec l'instauration de l'école obligatoire, la règle de grammaire officielle devient celle qui est restée en vigueur dans les manuels scolaires jusqu'au aujourd'hui : "le masculin l'emporte sur le féminin". Conséquence :"les hommes et les femmes sont beaux". L'historienne souligne que ce sont des raisons idéologiques et non linguistiques qui ont justifié cette évolution. Aujourd'hui, l'écriture inclusive vise donc à revenir à une langue plus paritaire, comme elle l'était auparavant.

Derrière l'écriture, des constructions historiques pour expliquer le sexisme

Au-delà des raisons graphiques et grammaticales qui ont gommé le féminin de la langue française au cours des siècles, l'effacement des femmes des fonctions intellectuelles procède aussi d'une histoire.

L'histoire des substantifs féminins et masculins est à ce titre particulièrement éclairante. Remontons pour cela au XVIIe siècle. A cette époque, les substantifs féminins désignant des fonctions prestigieuses ont disparu de la langue française, avant d'être réintégrés tardivement. "La guerre contre ces substantifs n’a été faite que pour les substantifs qui désignaient des professions prestigieuses, que les hommes estimaient être les leurs", explique Eliane Viennot.

Cette "guerre des substantifs" intervient aussi alors que, dès la création des universités, au XIIIesiècle, ces universités ont été fermées aux femmes. Elles le resteront jusqu'à la fin de XIXe siècle. Ce n'est qu'en 1861 que les femmes pourront rejoindre les bancs de l'enseignement supérieur et ainsi, accéder aux diplômes, rappelle Eliane Viennot :

Fermer l’université aux femmes, c’était fermer les professions prestigieuses qui dépendaient de diplômes universitaires. Il n’y a pas besoin de porter la guerre sur la question du nom, il suffit d’empêcher les femmes de devenir avocate, médecin, etc. Par contre, on n'a jamais pu empêcher une femme d’être autrice, il n’y a pas de règlement, il n’y a pas de diplômes pour devenir peintre, peintresse comme on disait à l’époque. [...] Sur ces professions, où ils ne pouvaient pas empêcher les femmes d’arriver par règlement, il y a eu une bagarre linguistique qui a été mise en place.

Madame le président ou Madame la présidente ?

Derrière ce débat autour de l''écriture inclusive, c'est une nouvelle fois la place du féminin dans la langue française qui est en jeu. Le langage véhicule les stéréotypes de genre et conditionne nos représentations mentales. Eliane Viennot explique comment le langage contribue aussi à laisser les femmes dans l'ombre des hommes :

Quand on explique aux enfants “Le masculin l’emporte sur le féminin”, ce n’est pas seulement une règle de grammaire, c’est une règle sociale qu’on leur apprend. Si on explique à une femme qu’elle est avocat, et qu’elle ne peut pas avocate, on reproduit dans notre tête que c’est une profession pour les hommes.

Néanmoins, certaines femmes tiennent à conserver le masculin dans leur titre et être appelé "madame le président" plutôt que "madame la présidente". Pour Eliane Viennot, c'est tout d’abord une erreur linguistique mais aussi un biais sociologique :

Le français exige que l’on parle des femmes au féminin et des hommes au masculin. [...] Cette habitude d’appeler une femme “Madame le Maire” est très récente et contraire aux usages du français. Ce sont des femmes qui ont incorporé la domination masculine. Elles sont intimement persuadées que si on l’appelait “la juge”, ça empièterait sur leurs valeurs. C’est-à-dire qu’elles sont intimement persuadées que le féminin a moins de valeur que le masculin. Cette posture est le produit d'une oppression. On a fait comprendre à ces femmes que c’était déjà bien beau qu’elles puissent exercer ces professions, elles n’allaient pas en plus exiger que l’on parle d’elles au féminin.

L'écriture inclusive n'est cependant pas une obsession française. C’est en effet un mouvement de pensée pour de nombreuses langues romanes. Les Espagnols, par exemple, utilisent l’arobase à l’écrit pour laisser la possibilité du féminin et du masculin et écriront ainsi “compañer@” plutôt que “compañero” ou “compeñera”.

Même si l’anglais est une langue moins genrée, les réflexions linguistiques ont amené à l’utilisation d’expressions plus neutres, en préconisant par exemple de remplacer plutôt “chair person” ou simplement “chair” plutôt que “chairman”. En 1949, lors de la rédaction à l'ONU de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, Eleanor Roosevelt lutta pour que l'expression "Man Rights" soit remplacée par "Human Rights" afin d'inclure également le droit des femmes. Un exemple que la traduction française n'a pas suivi. Pas encore ?

Pour aller plus loin :

Guide pour une communication publique sans stéréotype de sexe, Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes

L'écriture inclusive, Manuel édité par l'agende de communication Mots-clés