Emile Reynaud, le père du Théâtre Optique

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Emile Reynaud, le père du Théâtre Optique

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Emile Reynaud
Emile Reynaud

Emile Reynaud ©DR

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Dans l’histoire du cinéma des origines, la Seine-Saint-Denis , à califourchon sur les anciens départements de la Seine et de la Seine-et-Oise, a joué un rôle majeur. Bénéficiant de la proximité de la capitale mais aussi de l’empire de Charles Pathé implanté à Vincennes et à Joinville, on y trouvait de nombreux studios, laboratoires, ateliers, etc. Une vocation qui s’affirme aujourd’hui encore. Mais aux côtés de Georges Méliès qui créa à Montreuil le premier studio de cinéma au monde, figure un autre personnage essentiel natif de Montreuil dont les travaux très avancés permettront des années plus tard aux Frères Lumière d’inventer le cinématographe. Son nom : Emile Reynaud , père du Théâtre Optique.

Emile Reynaud est né en 1844 à Montreuil-sous-Bois d'une mère institutrice et d'un père graveur de médaille. A l’âge de 13 ans, il entre en apprentissage dans une maison de mécanique de précision. Il s’intéressera ensuite à la photographie et à la retouche. Enfin aux projections de lanternes magiques non pour le divertissement populaire mais dans le cadre de l’enseignement supérieur. Dans ces hautes écoles qui forment les ingénieurs de demain, Reynaud est persuadé que la projection classique de vues peut s’enrichir du mouvement. On pourrait ainsi montrer le fonctionnement complexe d’une machine à vapeur par exemple. Et il se souvient du Phénakisticope de Joseph Plateau , le physicien belge qui a somme toute inventé un jouet de quatre sous ...au nom imprononçable. C’était en 1832 . Sur ce jouet, différentes vues sont disposées sur un cercle découpé de fentes symétriques. On fait tourner le disque devant un miroir et lorsque l'on observe par l'une des fentes, on observe la vue s'animer d'un mouvement. Dans une boite à biscuits, Reynaud va construire alors son premier praxinoscope . Ici ce n’est plus un disque mais une couronne comportant sur sa face interne des bandes interchangeables. Les fentes sont remplacées par une suite de miroirs centraux tournant en même temps que la couronne. Autant de miroirs qu'il y a d'images sur la circonférence. Le résultat est bien supérieur au phénakisticope.


< -- A gauche le Phénakisticope de Joseph Plateau.

En 1880 , le praxinoscope à projection est opérationnel. Avec lui, le spectacle de projections animées voit le jour. A l'origine, les vues sont constituées de petites plaques de verre reliées entre elles par de la toile gommée mais devant la fragilité et le poids des bandes, Reynaud, l'année suivante remplacera le verre par une gélatine spéciale, sorte de celluloïd, et comme chaque vue doit correspondre rigoureusement à un miroir toujours placé au centre, il n'a d'autre choix que de les perforer une à une pour qu'elles s'engrènent très précisément autour d'un tambour tournant horizontalement. C'est le principe des perforations d'un film .

Théâtre Optique au musée Grévin
Théâtre Optique au musée Grévin

Théâtre Optique au musée Grévin ©DR

Chaque vue est un dessin de personnages peint à la main par Reynaud. Un travail de bénédictin pour des projections qui durent plusieurs minutes. Il n'y manque plus qu'un décor. Il est fourni par une lanterne magique indépendante du dispositif principal. Reynaud baptise le nouvel appareil : Théâtre Optique et le fait breveter fin 1888. L'année suivante, le Théâtre Optique est présenté dans le cadre de l'Exposition Universelle. Parmi les spectateurs sous le charme, un certain Jules Marey qui pense déjà à ce que l'on pourrait faire du Théâtre Optique si l'on remplaçait les vues peintes par une série de photographies issues de son chronophotographe. En réalité, Reynaud y pensa dès 1880 et invita même les membres de la Société française de Photographie à se pencher sur la question mais il ne fut pas écouté et lui-même se désintéressa de la question. Autre spectateur paisible du Théâtre Optique de Reynaud, un américain, un certain Thomas Alva Edison qui inventera trois ans plus tard, en 1891, le kinétoscope . Il ne fait aucun doute qu’il manifesta un vif intérêt pour le travail de Reynaud...

Le 28 octobre 1892 , Emile Reynaud présente ses premières Pantomimes Lumineuses au Musée Grévin et connaît la gloire mais il sait aussi que son Théâtre Optique est à la fois compliqué et fragile et que lui-seul saura l'exploiter commercialement. Ne parvenant pas à trouver un agent artistique, il accepte l'offre du Musée Grévin et le fait à l'aveuglette. Il a peu discuté des modalités du contrat qui le lie au musée parisien. Pourtant, dans les termes de ce contrat, il y a vraiment de quoi se faire un sang d'encre. Emile Reynaud se voit contraint de donner cinq représentations quotidiennes en semaine, douze les dimanches et fêtes. Les frais de scène, personnel, fourniture et entretien des appareils, ainsi que les frais nécessités par la création de nouvelles pièces sont à sa charge . Pire encore, Reynaud se doit de renouveler son spectacle chaque année. De son côté, le musée Grévin, bon prince, fournit le courant électrique et l'accompagnement musical.

Afiche du musée Grévin
Afiche du musée Grévin

Afiche du musée Grévin ©DR

Très vite, l’aventure tourne au cauchemar. Avec un tel nombre de projections, comment Reynaud qui travaille seul pourrait-il avoir le temps de créer de nouvelles bandes ? Plus inquiétant encore. Les bandes qui avaient présenté de bonnes qualités de tenue lors des courtes séances de démonstration, supportent mal aujourd'hui les projections ininterrompues à la lumière puissante des lampes à arc : la gélatine se fend, se gondole ou éclate parfois, la monture d'entraînement des vues, constituée de toile, s'arrache à la longue. Reynaud passe des nuits entières à remplacer les gélatines abimées, à recomposer, colorer les images peintes à la main. En octobre 1895 , succès confirmé pour Emile Reynaud pour son nouveau spectacle Vol de Mouettes .

Mais deux mois plus tard, en décembre 1895 , les frères Lumière présentent leur cinématographe. Le public veut voir **des vues mouvementées ** selon l'expression de l'époque et il va rapidement déserter les projections du Théâtre Optique. Emile Reynaud aura eu son heure de gloire sans jamais devenir riche. Quant aux ventes du Praxinoscope , elles ne cesseront de diminuer. Les Pantomimes Lumineuses du Théâtre Optique seront retirées de l’affiche, le matériel démonté pour faire place au cinématographe, cette attraction nouvelle dont on parle tant et le musée Grévin ne retiendra pas Emile Reynaud.

Quelques années plus tard, au comble du désespoir et de l'amertume, ruiné, Emile Reynaud fracassera à coups de marteau les mécanismes fragiles de son Théâtre Optique, les miroirs sont pulvérisés. Les éclats de verre partent à la poubelle et Reynaud vend tout le reste à la ferraille. Quant à ses bandes qui lui rappellent tant une gloire passée, il les charge dans une brouette et les transporte, la nuit venue tel un voleur, sur une rive discrète de la Seine, du côté des Tuileries. Là, il les jette une à une dans le fleuve. Seules deux bandes échapperont à la destruction.

Emile Reynaud s'éteint dans le dénuement et l'oubli le 9 janvier 1918 à l'Hospice des incurables d'Ivry. Il n'y aura que sa veuve pour assister à son enterrement à la hâte, dans la boue et la grisaille d'un hiver de guerre.