En 1997, la Chine récupère Hong Kong et fait des promesses

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En 1997, la Chine récupère Hong Kong et fait des promesses

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Cérémonie de rétrocession de Hong Kong à la Chine le 30 juin 1997 au centre de conventions de Wan Chai.
Cérémonie de rétrocession de Hong Kong à la Chine le 30 juin 1997 au centre de conventions de Wan Chai.
© Getty - Peter Turnley

Entretien. Le modèle hongkongais est-il en sursis ? Les manifestants qui se mobilisent depuis juin contre Pékin se battent pour la survie de leurs libertés au sein d'une Chine qui fait peu de cas de la démocratie. Entretien avec le sinologue Jean-Philippe Béja sur l'histoire de ce territoire.

Hong Kong connaît la plus grave crise de son histoire depuis que le territoire a été rendu à la Chine en 1997. L’ex colonie britannique vit au rythme des manifestations depuis le mois de juin : les Hongkongais dénonçant une proposition de loi qui permettrait l’extradition des ressortissants locaux vers la Chine continentale. Un projet perçu comme une tentative d’en finir avec le principe de “un pays, deux systèmes” promis par Pékin lors de la rétrocession du territoire. Car au fil du temps, une société civile a émergé à Hong Kong et n'a jamais accepté de renoncer à ses libertés malgré le retour dans le giron chinois.

Entretien avec le sinologue Jean-Philippe Béja sur l'histoire de ce territoire qui refuse obstinément de se soumettre.

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35 min

Avant 1997, Hong Kong était-il une démocratie ?

Non, pas du tout. Hong Kong est devenu britannique en 1842 à la suite de la première guerre de l’opium, puis le territoire a été agrandi avec Kowloon en 1860 et avec les Nouveaux territoires en 1898. Ce n’était pas du tout une colonie de peuplement mais une terre peuplée de Chinois qui était ouverte sur le reste de la Chine. Elle était gérée comme toutes les colonies britanniques par un gouverneur nommé à Londres et pas du tout de manière démocratique. Mais à partir de la fin du XIXe siècle, un Conseil législatif a été créé, qu’on a vite abrégé en “legco” (prononcez “ledge co”) : c’est là que de premiers membres chinois ont été nommés. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, une tentative de démocratisation a été entamée par le gouvernement travailliste, qui a cherché à établir un système de suffrage universel pour l’élection du “legco” mais la réforme n’a pas été mise en œuvre. À partir de 1949, avec la victoire des communistes et l’avènement de la République populaire à Pékin, le nouveau régime chinois a fait savoir aux Britanniques qu’il n’était pas question de créer un système démocratique avec des élections libres. Zhou Enlai l’a exprimé très clairement en tant que Premier ministre et ministre des Affaires  étrangères de Mao : à terme, Hong Kong devait revenir à la mère patrie et ne devait pas avoir un système politique différent.

Les premières négociations pour un retour de Hong Kong à la Chine ont été ouvertes en 1979 et on a alors vu une première élection au sein des “functional constituencies”, des circonscriptions socio-professionnelles censées représenter les corporations. Cela n’était pas des élections au suffrage universel mais tout de même, la circonscription des enseignants représentait du monde, celle des avocats aussi.
Les premières élections au suffrage universel ont eu lieu en 1991 mais pour une toute petite partie des députés du “legco” à la suite d’un accord avec les Chinois : mais encore une fois, le système colonial devait être compatible avec le système mis en œuvre par la loi fondamentale de Hong Kong en 1997. Le dernier gouverneur britannique, Chris Patten, a essayé d’élargir les élections au suffrage universel mais la majorité du “legco” n’était toujours pas élue au suffrage universel en 1997.

La rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997 était-elle inéluctable ?

Hong Kong et Kowloon avaient été cédés à perpétuité mais pas les Nouveaux territoires, qui représentaient 80% de la superficie. Théoriquement, il était possible que le Royaume-Uni maintienne sa présence mais cela aurait été très difficile à mettre en œuvre. Dès 1979, les Anglais ont rencontré les Chinois et ont décidé qu’ils rendraient l’ensemble du territoire à la Chine. Le bail des nouveaux territoires venaient à expiration le 1er juillet 97. Il avait été cédé pour 99 ans le 1er juillet 1898. La rétrocession a été entérinée lors de la déclaration conjointe sino-britannique signée en 1984.

Pourtant, deux ans avant cet accord, Margaret Thatcher n’avait pas hésité à faire la guerre pour conserver les Malouines, quelques îles perdues de l’Atlantique sud. Et là, elle cède une ville très peuplée et riche sans rien faire ?

Vous voyez la différence entre la République argentine et la Chine ?

Le rapport de force n’était pas le même…

Tout à fait. C’est vraiment un rapport de force. La Chine est une grande puissance, présente au Conseil de sécurité. Et d’ailleurs, cette volonté de récupérer Hong Kong a toujours été manifeste : il faut savoir que les Nations unies avaient dressé une liste des pays à décoloniser et Hong Kong et Macao (colonie portugaise rendue à la Chine en 1999) étaient sur la liste. Mais lorsque la Chine est entrée à l’ONU en 1971 (prenant la place de la Chine nationaliste exilée à Taïwan), elle les a fait retirer car elle voulait les récupérer et éviter absolument leur indépendance.

Autre aspect : une partie de la population était favorable à un retour dans le giron de la Chine. Au début des années 80, le pays était en pleine réforme et beaucoup de gens étaient optimistes sur son évolution. De plus,  à partir du début des négociations, la Chine a consulté les habitants de Hong Kong et a fait venir l’ensemble de ceux qui plus tard allaient devenir les démocrates. 

Margaret Thatcher a bien essayé de maintenir la présence britannique mais très rapidement, cela s’est avéré impossible (dans ses mémoires, l’ex Première ministre avait évoqué la menace de Deng Xiaoping : “Nous pourrions reprendre Hong Kong en une journée”). Il y avait eu aussi cette fameuse image de Thatcher tombant en descendant les escaliers du palais de l’Assemblée nationale populaire à Pékin. Cela a été vu comme un signe que la présence coloniale était impossible.

Le Royaume-Uni a obtenu des contreparties en échange de la rétrocession ?

Les Anglais ont essayé d’imposer la présence de représentants hongkongais lors des négociations avec les Chinois, car une identité locale avait commencé à émerger depuis les années 70. C’était ce qu’on a appelé la négociation du tabouret, où les Anglais disaient qu’il fallait trois pieds à un tabouret pour tenir : les Britanniques, les Chinois et les Hongkongais. Mais la Chine a refusé, affirmant que les tabourets chinois avaient deux pieds et tenaient très bien.

Les négociations ont commencé avec comme objectif la fameuse formule “un pays deux systèmes”, qui avait été pensée au départ pour Taïwan et qui a été proposée à Hong Kong. Les Anglais ont cherché à avoir des garanties : sur la liberté de circulation des capitaux et sur l’indépendance du système judiciaire. Ils ont obtenu des choses et, notamment, que la déclaration sino britannique soit déposée à l’ONU. Cela n’avait pas le statut d’un traité international mais cela s’en rapprochait un peu : pour que le monde entier ait un droit de regard sur le respect de l’engagement chinois. De façon générale, les Britanniques ont obtenu les concessions que la Chine était prête à faire pour récupérer Hong Kong : Deng Xiaoping avait dit clairement que les hommes d’affaires pouvaient être tranquilles. Il y avait un dicton qui disait “On continuera à danser, à parier sur les chevaux (l’importance du jockey club à Hong Kong) et à gagner de l’argent”.

Deng Xiaoping et Margaret Thatcher le 19 décembre 1984 à Pékin lors de la déclaration sino-britannique conjointe sur la question de Hong Kong.
Deng Xiaoping et Margaret Thatcher le 19 décembre 1984 à Pékin lors de la déclaration sino-britannique conjointe sur la question de Hong Kong.
© Getty - Bettmann

Après 1984, la Chine a commencé à élaborer une future Constitution pour Hong Kong. Deux organismes ont été mis sur pied : le basic law drafting committee (comité de rédaction de la loi fondamentale) et le basic law consultative committee (comité consultatif sur la loi fondamentale). C’était une copie du modèle chinois avec l’Assemblée populaire nationale, qui est le bras du parti, et la commission consultative politique du peuple chinois, qui soi-disant représente la société. A l’intérieur du Comité de rédaction, qui était le groupe essentiel, un peu plus de la moitié étaient des Chinois du continent et une grosse minorité était des Hongkongais. Parmi eux, on trouvait les représentants élus du “legco”, dont Martin Lee, futur père du parti démocrate de Hong Kong et Szeto Wah, qui allait être l’organisateur de l’opération “Yellow Bird” en 1989, qui a permis l’exfiltration de leaders de la révolte de Tian’anmen en 1989. 

Quel impact a eu sur Hong Kong la répression du mouvement étudiant chinois en 1989 et le massacre de Tian’anmen ?

Cet événement a été absolument central dans l’émergence de la communauté politique de Hong Kong, qui a été extrêmement choquée par la proclamation de la loi martiale. Pour la première fois, on a vu un million de personnes dans les rues malgré un typhon et alors que la ville comptait cinq millions d’habitants à l’époque.

Tian’anmen a été un déclencheur avec la création du parti démocrate en 1991. Le slogan de l’époque était "l’aujourd’hui de Pékin ne doit pas être le demain de Hong Kong". Depuis, chaque année, une veillée est organisée à Victoria Park en mémoire du massacre, un rassemblement qui est devenu un moment de communion pour tous les démocrates de Hong Kong. Mais la répression de Tian’anmen a également été vertement critiquée par les partisans de Pékin à Hong Kong. Après 1989, Martin Lee et Szeto Wha ont démissionné du comité de rédaction de la loi fondamentale et la Constitution a instauré un régime dirigé par l’exécutif avec de nombreux garde fous car Pékin se méfiait d’un mouvement démocratique trop fort.

Au final, le pouvoir central à Pékin est devenu responsable de la défense de Hong Kong ainsi que des affaires étrangères mais il a été conclu que les affaires internes étaient réglées par Hong Kong avec un haut degré d’autonomie.

Comment s’est passée la rétrocession le 1er juillet 1997 ?

Beaucoup de gens étaient inquiets. Avant 1997, entre 40 et 60 000 personnes ont fui chaque année vers le Canada. Mais d’autres étaient très heureuses que l’époque coloniale se termine. La journée même du 1er juillet 1997 a donné le la pour toutes les suivantes : cérémonie officielle le matin avec l’arrivée de l’armée, le chef de l’exécutif rencontre les petits enfants agitant des drapeaux. Et l’après midi, manifestation des démocrates et de la société civile. Depuis, le 1er juillet se déroule toujours comme cela : officiels le matin, société civile l’après midi, même lorsque Xi Jinping est venu pour les 20 ans de la rétrocession.

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Après la rétrocession, la Chine s’engageait donc à tolérer l’existence d’une société civile à Hong Kong alors qu’elle avait tout fait pour l’écraser en Chine continentale ?

Cela faisait partie de l’accord en effet mais l'histoire s’est jouée en plusieurs épisodes. Au début, les choses sont claires : le chef de l’exécutif est nommé par un comité aux ordres de Pékin, il doit prêter allégeance au parti et d’ailleurs, il part là-bas pour rencontrer le numéro un chinois. Un système d’élections a été mis en place pour choisir les membres du Conseil législatif mais seule la moitié des membres étaient élus au suffrage universel. Depuis 1997, les démocrates remportaient environ 60% des votes mais ils ne pouvaient jamais obtenir la majorité absolue, ce qui explique l’importance des manifestations, seul endroit où l’on peut empêcher des lois d’être adoptées.

En 2003, le gouvernement de Hong Kong tente de mettre en place l’article 23 contre la subversion, qui est vécu comme une atteinte inacceptable à la spécificité de Hong Kong : 700 000 personnes descendent dans la rue et le projet est retiré.

En 2010, apparaît le mouvement contre l’éducation patriotique face à la volonté de changer les manuels d’éducation civique de Hong Kong et d’imposer la vision du Parti communiste. Une grande manifestation a lieu à nouveau et c’est là qu’apparaissent de nouvelles figures, comme Joshua Wong, qui a alors 16 ans. Le projet est retiré.

En 2014, c’est le mouvement des parapluies et l’occupation de Hong Kong pendant 79 jours. La Chine avait promis que le chef de l’exécutif serait élu au suffrage universel en 2017 mais a finalement imposé une validation des candidats par Pékin.

Entre la fin du mouvement des parapluies et aujourd’hui, la Chine a multiplié les ingérences de plus en plus graves, comme l’enlèvement d’éditeurs qui publiaient des livres critiques à l’égard du gouvernement chinois. Des policiers chinois en civil ont enlevé un ressortissant hongkongais et l’ont emmené de l’autre côté de la frontière, l’élection de députés démocrates a été invalidée parce qu’ils n’avaient pas prononcé le serment comme le souhaitait Pékin, le parti nationaliste qui prône l’indépendance de Hong Kong a été interdit, etc. Mais aucune de ces ingérences n’a suscité de réactions fortes… Jusqu’à ce que la cheffe de l’exécutif, Carrie Lam, propose une loi qui aurait permis l’extradition de Hongkongais vers la Chine : cela a été la goutte d’eau et beaucoup y ont vu une tentative de mettre un terme à la formule “un pays, deux systèmes”.

Carte des principales manifestations et ses développements à Hong Kong du 10 au 12 août.
Carte des principales manifestations et ses développements à Hong Kong du 10 au 12 août.
© AFP - Laurence Chu, Janis Latvels

Ce scénario catastrophe n’était-il pas couru d’avance depuis 1984 avec le retour annoncé de Hong Kong dans le giron chinois ? Une dictature et une société libre sous le même toit, ça ne marche pas...

Si vous avez une vision statique de l’Histoire, oui. Mais il n’était pas évident que la Chine évoluerait vers la dictature de Xi Jinping. En 1984, c’était le moment de Hu Yaobang (secrétaire général du PCC de 1980 à 1987) et Zhao Ziyang (Premier ministre de 1980 à 1987 puis secrétaire général du PCC jusqu’en 1989). En 1986, la Chine connaît le plus grand pluralisme et commence à se libéraliser, les réformes de l’économie lancée par Deng Xiaoping redonnent vie à une société civile en train d’émerger. 

Mais dans l’esprit de chacun, la formule “un pays, deux systèmes” laissait la possibilité à une convergence. Les Chinois pensaient que Hong Kong allait se rapprocher des vues du PCC et d’autres pensaient que la Chine allait se démocratiser ; tout le monde s’est trompé.

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Et aujourd’hui, nous assistons à une trajectoire de collision entre une société hongkongaise attachée à ses libertés et la Chine de Xi Jinping qui s’apprête à célébrer les 70 ans de la République populaire le 1er octobre ?

On voit difficilement une solution émerger. Pékin est désormais aux manettes et Carrie Lam ne fait que répéter ce que dit le bureau des affaires de Hong Kong et Macao. La Chine est en train de répondre par la violence à des revendications qui sont politiques. La situation se tend car la plupart des Hongkongais vivent cette mobilisation comme la dernière chance de sauver Hong Kong.

Pour Pékin, il n’est pas question de céder à une population qui manifeste car cela donnerait de mauvaises idées aux compatriotes du continent. Le pouvoir joue le pourrissement et la dissuasion par la violence. En revanche, il semble difficile d’envoyer l’armée populaire de libération tirer sur les manifestants comme à Pékin en 1989 : l’image internationale de la Chine serait atteinte mais surtout, le statut de Hong Kong en tant que place financière serait remis en cause. C’est une ville très importante pour les entreprises chinoises, un endroit où la nomenklatura fait passer son argent. Dans la situation actuelle de guerre commerciale avec les Etats-Unis, il est toujours pratique d’avoir Hong Kong reconnu comme territoire douanier autonome. S’il perdait ce statut, ce serait très gênant pour les dirigeants chinois.

Enfin, une intervention de l’armée serait un exemple très négatif pour Taïwan. La présidente indépendantiste de Taïwan a d’ailleurs été nettement renforcée depuis le début des manifestations à Hong Kong. S’il y avait une répression violente, il est évident que les indépendantistes l’emporteraient à Taipei.

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