En Birmanie, sous la vague en plastique, la vague populaire

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En Birmanie, sous la vague en plastique, la vague populaire

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A Rangoun, les manifestants se protègent avec une bâche de plastique contre les canons à eau de la police
A Rangoun, les manifestants se protègent avec une bâche de plastique contre les canons à eau de la police
© AFP - Sai Aung Main

Le monde dans le viseur. En Birmanie, les manifestations contre le putsch militaire du 1er février se poursuivent malgré la répression de la junte. Lors d'un rassemblement, le photographe Sai Aung Main a pris pour l'AFP un cliché qui racontent de multiples histoires.

Malgré la répression et la peur des représailles, les Birmans sont descendus dans la rue toute la semaine pour dénoncer le putsch militaire du 1er février. Ils exigent la libération des prisonniers, dont la cheffe du gouvernement Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991. 200 personnes ont été arrêtées, surtout des membres de son parti la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et des proches. Mardi, la police a utilisé des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes contre la foule. Une utilisation de la force condamnée par la communauté internationale. Le même jour, quelque part à Rangoun, la capitale économique du pays, Sai Aung Main, photographe à l'AFP, voit une marée de plastique se déployer. Les manifestants tentent de se protéger des canons à eau lancée par l'armée. Mais dans cette image, il y a bien plus. 

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D'une peur des canons à une peur du tsunami

"Il y a une véritable narration dans la structure de l'image", explique Eric Karsenty, rédacteur en chef de Fisheye, bimestriel spécialisé dans la photographie. Au milieu de l'image, on voit un groupe de manifestants qui brandissent le point et font le signe de ralliement des trois doigts de "Hunger Games". Ces manifestants se trouvent "dans la partie la plus claire de l'image, celle qui attire le regard", explique le spécialiste. "En plus, il y a un drapeau et une image d'Aung San Suu Kyi qui forment deux masses rouges qui se répondent". Le regard circule autour de ce groupe et il se pose finalement sur une pancarte "Nous voulons des dirigeants, pas des dictateurs", qui agit comme "une légende à l'histoire de ces manifestants".

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Quand on dézoome et qu'on ouvre le regard, une deuxième histoire apparaît. "On voit des gens sous une bâche en plastique qui se protègent des canons à eau. On distingue des casquettes, des parapluies, des corps rendus anonymes avec cette surface translucide. 

Cette bâche ondule et joue avec la lumière. D'une certaine manière, elle compose des vagues qui métaphoriquement peuvent se penser comme la masse du peuple qui se soulève comme une tempête. Des vagues qui menacent de renverser le pouvoir."

En poussant l'analyse, poursuit Eric Karsenty, on peut voir le groupe du milieu comme "une forme de sentiment de révolte qui perce le mur de plastique et qui s'affranchit de la peur. Cela retourne la peur du canon à eau en peur du tsunami".

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Cadrage au scalpel

L'analyse de l'image ne s'arrête pas là. Si on dézoome encore, on peut voir une troisième histoire. "Lorsque notre regard se relève, il est accroché par l'image d'Aung San Suu Kyi et son regard qui lui-même nous entraîne sur le bord supérieur de l'image". Ras du cadre, on découvre que la foule se déploie aussi sur un pont, "cela vient redoubler l'effet de masse qu'on avait au premier plan". Comme on dit dans le milieu, sourit le rédacteur en chef, on appelle ça "un cadrage au scalpel". Cela veut dire que le cadrage est d'une grande précision.

En médecine, le scalpel découpe. En photo, le cadrage au scalpel découpe le réel et ne laisse pas de hors champ comme au cinéma. Dans cette image, les gens sont cadrés à ras, il y a juste un peu de lumière autour pour qu'on les distingue. Il y a une volonté du photographe de remplir l'image, de la saturer d'informations et de faire en sorte qu'il n'y ait pas de ligne d'horizon qui nous laisse aller ailleurs"

Une manière de dire à ceux qui regardent l'image qu'il n'y a pas d'issue.   

L'esthétique au service d'une cause

Il y a tout de même une lueur d'espoir dans cette image saturée. "A l'exact centre de la photo, il y a une percée blanche, avec beaucoup de lumière. Au niveau de la construction, c'est fort parce que le point central de l'image, c'est cette lumière qui pourrait nous permettre de nous échapper et c'est justement là où l'on voit très en valeur le signe des trois doigts qui vient boucler la boucle, comme une spirale qui se referme".

Le photographe Sai Aung Main nous raconte donc trois histoires avec son image : le groupe de manifestants au centre, la bâche et les manifestants sur le pont. Mais son image offre encore plus. "Notre regard rebondit d'un point à l'autre", décrit Eric Karsenty, comme entre la pancarte d'Aung San Suu Kyi et la pancarte d'un manifestant. Ou comme avec le plastique sur la foule, "cette image de mer démontée illustre métaphoriquement la colère du peuple, et c'est en ça que le photographe a eu un trait de génie de cadrer comme ça". Cette bâche puise dans notre imaginaire et vient enrichir la lecture de l'image. Cette photo est remplie de "circuits graphiques qui sont autant de chemins pour l’œil. Au fur et à mesure qu'on s'y balade, on y capte de nouvelles choses". 

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Sai Aung Main a publié d'autres clichés pris au même moment. "Il est allé chercher différents points de vue pour savoir quel était le plus fort", conclut Eric Karsenty.

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