En Cisjordanie, "un cocktail très explosif" selon la diplomatie européenne
Par Frédéric Métézeau
Ce vendredi, le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas s'exprime devant l'Assemblée générale des Nations unies à New York. En Cisjordanie occupée, la situation sécuritaire est très dégradée, constate le chef de la diplomatie européenne dans les territoires palestiniens.
L'Autorité palestinienne, vieillissante, corrompue, autoritaire et impopulaire, apparaît affaiblie comme jamais alors qu'Israël multiplie les interventions militaires en Cisjordanie. Depuis le 1er janvier, une centaine de Palestiniens, combattants et civils, ont perdu la vie. Alors qu'au printemps 18 personnes ont perdu la vie dans des attentats en Israël, majoritairement des civils. Sven Kühn Von Burgsdorff, chef de la délégation européenne à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et à Gaza, dresse un tableau très réaliste et très sombre de la situation.
Comment vont les choses en ce moment en Cisjordanie ?
Très très très mal. Le problème est une insécurité généralisée dans les territoires palestiniens occupés, notamment en Cisjordanie où l'Autorité palestinienne n'a pas été capable de contrôler les factions militantes. Chaque jour on voit donc éclater des conflits entre les militants palestiniens et les forces israéliennes à cause des incursions militaires des forces armées israéliennes. Cela a pour effet un grand nombre de victimes civiles, y compris des enfants, y compris des femmes. Très souvent, ces incursions ne sont même pas coordonnées avec l'Autorité palestinienne. C'est un grand problème pour la légitimité et la crédibilité de l'Autorité palestinienne.
Aujourd'hui, malheureusement, moins de 20% de la population pense que Mahmoud Abbas devrait encore être président. 75 % de la population veut des élections démocratiques nationales et le fait que ce processus a été arrêté [en avril 2021 sur décision de Mahmoud Abbas] sans le fixer à une autre date a porté préjudice au projet démocratique palestinien. C'est grave parce qu'il n'y a pas d'interlocuteur politique crédible à part l'Autorité palestinienne. Il y a le Hamas, qui contrôle Gaza, mais le Hamas n'est pas un interlocuteur pour la communauté internationale. C'est en train de préparer un cocktail très explosif.
De votre point de vue, Israël ne fait pas ce qu'il faut pour faire baisser la tension ?
Je pense qu'il serait beaucoup plus sage qu'Israël se coordonne avec les Palestiniens. Quelles mesures pour limiter les dangers d'éventuelles attaques terroristes sur le territoire israélien ? Beaucoup d'observateurs pensent aussi qu'avec les élections en Israël [le 1er novembre prochain] certaines factions politiques en Israël préfèrent montrer une main de fer afin de gagner plus de voix. Comme vous le savez, la cause palestinienne et la solution des deux états ne sont pas la formule gagnante pour les partis politiques en Israël.
On a l'impression que seuls les diplomates occidentaux croient encore à cette solution à deux États ?
Tant qu'une des deux parties, soit Israël, soit l'Autorité palestinienne, ne décide pas d'arrêter le processus d'Oslo, on doit continuer à appuyer les accords bilatéraux signés en 1993. C'est le seul cadre légal international qui lie les deux parties. Mais si un des deux dit 'ce n'est plus faisable, réaliste et crédible', la communauté internationale devra réfléchir à sa réponse.
Pour l'instant, le problème dans ce conflit est qu'il n'y a pas d'horizon politique crédible jugé capable d'arrêter le processus d'annexion qui avance tous les jours depuis des années et l'aggravation de la violence des colons israéliens. Tout cela porte préjudice à un climat de confiance, de négociations et de dialogue. La situation est donc difficile mais c'est très important que la Palestine et le peuple palestinien cherchent un chemin qui permette d'unifier les factions politiques et de démocratiser l'appareil politique, le corpus politique pour que la Palestine soit en mesure de parler d'une seule voix.
L'Union européenne et les nations européennes sont des acteurs importants en termes économiques, culturels, mais pas politiques. Inversement, les États-Unis sont moins impliqués. On dirait qu'on manque d'interlocuteurs étrangers internationaux ici ?
Bon, je suis ici quand même ! Donc je représente l'Union européenne avec les 23 États membres qui sont présents sur place et grosso modo nous sommes bien alignés. Le problème est que dans la perception des Palestiniens, on n'est pas en mesure de mettre en œuvre ce qu'on dit devant les Nations unies. En anglais, on dit 'you have to walk the talk' c'est-à-dire passer des paroles aux actes. Mais les Palestiniens nous voient en tant que seul bastion de défense du droit international, du droit humanitaire international et de leurs droits humains.
Le problème, bien sûr, est de faire la transition entre les déclarations politiques et diplomatiques et mettre en mesure des actions concrètes. Et ça, c'est un défi pour chaque acteur en Europe parce que la politique commune de Défense et des Affaires étrangères nécessite l'unanimité dans les grandes décisions. Et ce n'est pas facile. C'est un processus européen qui n'est pas encore achevé.
Et ce n'est pas facile quand il s'agit de dénoncer la colonisation ou d'éventuelles incursions israéliennes en Cisjordanie ?
Pour cela, il faut un accord total au niveau des 27 ! Et de temps en temps, il y a des désaccords par rapport à cette analyse.