
Le monde dans le viseur. C’était il y a une semaine. 344 adolescents en pensionnat à Kankara, au Nigeria, étaient enlevés par des hommes armés. Depuis, pour leurs proches, c’était l’attente, avec en tête le souvenir des lycéennes kidnappées à Chibok en 2014, dont toutes n’ont pas été libérées. Une image raconte l'angoisse.
L’homme s’appuie sur le portail de l’école publique de Kankara, dans l’État de Katsina, au Nigeria. En ce 16 décembre 2020, quatre jours après l’enlèvement de 344 élèves, il attend. Son enfant étudiait dans cet établissement, attaqué dans la nuit de vendredi 11 à samedi 12 décembre 2020 par une centaine d’hommes armés, nous dit la légende de la photo composée par Kola Soulaimon.
Composée, c’est le mot. "On devine que le sujet est statique depuis un certain temps, le photographe a le temps de composer son image, décrypte Yann Di Meglio, journaliste et galeriste photo. Aucun signe de mouvement, pas d’ombre portée." Et à l’arrière-plan, un arbre mort, comme un reflet de la silhouette (incomplète) de l’homme, pour ajouter à la dramaturgie.

Kola Soulaimon nous donne un sentiment très clair d’enfermement. Il nous enferme, nous-mêmes qui regardons la photo, derrière une grille.
Les barreaux cadrent totalement l’image, tuent l’espoir d’apercevoir un bout de ciel. Une photo fermée, sans échappatoire, ce qui laisse penser que ce monsieur est un peu condamné, condamné à attendre. Sans même connaître le contexte, on imagine un homme pris au piège.
Le temps dure
Une façon, pour le photographe, de nous associer au drame d’un père, qui ne sait rien du sort de son enfant, sinon qu’on l’a privé de liberté. "Son attitude traduit l’abattement, le désespoir." Ses traits sont illisibles, mais sa posture expressive. "On ne voit pas le ciel, la lumière est très blanche, avec un effet marqué de contre-jour", poursuit Yann Di Meglio. Des effets visuels qui donnent aussi "le sentiment que le temps est figé, que le temps est long, que le temps dure".
À l’opposé, d’autres éléments dans l’image donnent des raisons d’espérer. Les mains, notamment. "Ces mains frêles sont un puissant contrepoint au côté fermé de l’image. Une touche d’humanité", un facteur magique aussi :

Signe de l’action divine quand elles tombent du ciel, signe, aussi, de l’imploration du divin, quand elles montent au ciel, les mains ont un pouvoir. C’est par les mains que l’on guérit. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le photographe les a placées au centre de l’image, quitte à décadrer le visage. Comme si elles en étaient le sujet principal.
Dans la composition, on a sentiment que le photographe veut nous dire que son sujet implore. Et s’il implore, cela veut dire qu’il a un espoir.
Issue heureuse
De fait, les élèves ont été relâchés le 17 décembre par leurs ravisseurs. Moins d’une semaine après leur enlèvement. "Nous remercions Dieu pour leur libération", a déclaré Ibrahim Katsina, un conseiller du gouverneur local, qui a annoncé "344 libérations alors que 500 écoliers étaient présumés enlevés après leur kidnapping, note Liza Fabbian, notre correspondante au Nigeria. Ces garçons ont été séparés en plusieurs groupes confiés à des gangs locaux. Certains pourraient donc se trouver encore entre les mains de leurs ravisseurs".
Le soulagement, chez les proches comme au sommet de l’État, est à la hauteur des inquiétudes suscitées par ce nouveau rapt d’envergure. Le 14 avril 2014, des groupes armés liés enlevaient 276 lycéennes à Chibok, dans le nord du Nigeria. Cinq ans après, les familles et les autorités sont toujours sans nouvelles de 112 d’entre elles.
Le groupe djihadiste Boko Haram, qui opère depuis 2002 en Afrique de l’Ouest et dans la zone sahélienne, s’est déjà illustré dans cette macabre pratique, outil de médiatisation tout autant que levier de financement, même s'il apparaît que l'opération de Kankara serait imputable à "des groupes criminels (...) qui auraient agi pour le compte du chef djihadiste Aboubakar Shekau", précise notre correspondante. Ce dernier a été évincé de la tête de Boko Haram en 2016.