Entre misogynie et mépris de classe, le mythe de la pétroleuse de la Commune
Par Yann LagardeAccusées à tort d'avoir incendié des bâtiments parisiens durant la Commune, les pétroleuses sont devenues un symbole féministe dans les années 1970. Voici comment s’est construit ce mythe, entre misogynie et mépris de classe.
C’est une histoire qui a marqué les Parisiens au XIXe siècle : des femmes accusées de mettre le feu aux immeubles pour venger les communards fusillés. Voici comment le mythe des pétroleuses, s’est construit, entre misogynie et mépris de classe.
Laure Godineau, historienne : “Ce qui a marqué les esprits, c’est cette participation des femmes à la Commune. Ça correspond à la frayeur que peuvent représenter les femmes qui participent à une insurrection avec cet imaginaire que les femmes participent à la violence politique sont même pires que les hommes dans cette violence.”
Mai 1871, après 2 mois d’insurrection, la commune de Paris est réprimée par l'armée versaillaise, lors de la "semaine sanglante". Parmi les insurgés, des milliers de femmes sont sur les barricades pour défendre leur quartier, ravitailler les combattants et soigner les blessés.
L’armée versaillaise reprend Paris arrondissement par arrondissement. Elle déloge les insurgés et procède à des milliers d’exécutions sommaires. Dans le chaos des combats, de nombreux bâtiments sont incendiés : palais de la Légion d‘honneur, Cour des comptes, Hôtel de ville, Palais des Tuileries...
Le pétrole, versé à pleines tonnes dans les quatre escaliers, aux quatre angles, avait ruisselé, roulant le long des marches des torrents de l’enfer.
Emile Zola
Devant l’ampleur de ces destructions, la presse versaillaise accuse les insurgés et trouve le bouc-émissaire idéal.
Laure Godineau : “Très vite, le pétroleur va devenir la pétroleuse, on va accuser les femmes, les insurgées d’avoir mis le feu à Paris. A partir de là se diffuse l’idée de la pétroleuse et la pétroleuse va s’étendre à la communarde en général.”
Vent de panique dans les beaux quartiers
La panique gagne les beaux-quartiers, les rumeurs font état de véritables escouades de femmes organisées.
On racontait que des femmes se glissaient dans les quartiers déjà délivrés par nos troupes, qu’elles jetaient des mèches soufrées par les soupiraux, versaient du pétrole sur le contrevent des boutiques et allumaient partout des incendies.
Maxime Du Camp, écrivain anti-communard
La presse conservatrice représente la pétroleuse dans des caricatures grossières. Elle est décrite comme une femme du peuple vulgaire, lubrique et malveillante.
Laure Godineau : “Chez les anticommunards, ça représente l’idée que la Commune n’a pas de projet politique ou social. C’est l’idée que la Commune c’est avant tout la destruction.”
Une fois le calme revenu, les autorités veulent faire un exemple de ces “pétroleuses”. Pourtant, la justice a du mal à mettre la main dessus.
Laure Godineau : “Comparativement, il y a assez peu de femmes qui ont été arrêtées parce qu’il y a environ 40 000 arrestations et environ 1 000 femmes qui sont arrêtées. C’est parce que les femmes qui avaient participé à la Commune ne correspondaient pas forcément aux femmes qu’on recherchait. On recherchait des pétroleuses, des prostituées, des “femmes aux mauvaises mœurs” alors que les combattantes étaient des femmes du peuple sans tous ces “travers” supposés.
Aucune preuve présentée
En septembre 1871, cinq pétroleuses présumées sont jugées. Parmi elles, la couturière Eulalie Papavoine, qui s’est improvisée ambulancière durant les combats. Malgré l’absence totale de preuves, 3 femmes sont condamnées à mort. Leur peine est commuée en travaux forcés.
Le mythe de la pétroleuse est très populaire durant la fin du XIXe siècle, notamment dans la littérature.
Dans les années 1960, Édith Thomas, historienne féministe, contredit cette version de l’histoire grâce aux archives. Il n’y a jamais eu d’escouades de pétroleuses durant la Commune. Certains édifices ont été détruits par des obus incendiaires de l’armée versaillaise. Les incendies ont été allumés par des insurgés désespérés pour couvrir leur retraite et ralentir l’armée versaillaise.
Certains bâtiments ont aussi été visés pour les symboles qu’ils incarnaient.
Laure Godineau : “Il y a la volonté de mettre fin à l’ordre ancien. Le palais des Tuileries, ça représentait la résidence des rois et une des résidences de Napoléon III. L'Hôtel de ville est incendié et là c’est un lieu de pouvoir.”
Depuis les années 1970, des mouvements féministes se sont réapproprié la figure de la pétroleuse comme un symbole d’émancipation et de révolution.