Entretien avec Patrick Sims, auteur et metteur en scène de « le Vieux de la montagne », Le Monfort à Paris

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Entretien avec Patrick Sims, auteur et metteur en scène de « le Vieux de la montagne », Le Monfort à Paris

Par

Patrick Sims, ou la révolte des marionnettes-machines Par Marie Barral

Les Trois Coups.com | France Culture.fr

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Avares en mots, les spectacles de Patrick Sims sont comme des tableaux de Jérôme Bosch : ils fourmillent de personnages et de détails. Dans dernière création, « le Vieux de la montagne » (The Old Man of the Mountain), marionnettes et machines évoluent dans des univers underground et absurdes chargés de si nombreuses références que le spectateur serait bien en peine de toutes les comprendre. Il en ressort les yeux écarquillés et l’esprit stupéfait, tandis que le jeune metteur en scène américain poursuit sa route de créateur fou : en Auvergne avec sa troupe, Les Antliaclastes, il confectionne actuellement son prochain spectacle, un cirque de puces qui mêlera images virtuelles et réelles, bêtes et machines.

*Création lauréate du prix de la Dramaturgie plurielle du Centre national du Théâtre (C.N.T.), le spectacle « le Vieux de la montagne » a actuellement l’honneur d’inaugurer la deuxième salle du théâtre Le Montfort (Paris 15e), La Cabane .

Les Trois Coups. — Vous vous inspirez d’une pièce du dramaturge Alfred Jarry, le Vieux de la montagne (1896), pour ce spectacle de marionnettes vivant et déjanté. Racontez-nous la genèse de cette dernière création qui a été présentée à Lausanne et en France.

Patrick Sims. — Pour monter l’Armature de l’absolu (2007), j’ai travaillé avec le compositeur de musique électronique irano-perse Ata Ebtekar. À cette occasion, j’ai découvert le Vieux de la montagne , la pièce de Jarry qui raconte l’histoire d’Hassan Sabbah : au XIe siècle, dans le nord de l’Iran actuel, cet homme a créé un paradis artificiel pour y hypnotiser des soldats avant de les envoyer se faire tuer au combat. C’est un peu la première secte terroriste du monde. Je voulais à mon tour évoquer ce récit oriental, mais du point de vue des États-Unis, qui sont les plus grands terroristes du monde… Avec Ata Ebtekar, nous avons alors travaillé à l’armature de cette dernière création en résidence à la Chartreuse, le Centre national des écritures du spectacle (en 2009).

Les Trois Coups. — On retrouve, parmi les marionnettes en scène, Hassan Sabbah, mais également l’écrivain de la beat generation William Burroughs (1914-1997), le président américain Abraham Lincoln, le magicien d’Oz, l’acteur et athlète militant des droits des Afro-Américains Paul Robeson, etc. On entend aussi quelques extraits (parfois non traduits) d’Othello de Shakespeare, de Burroughs…, sans compter de nombreuses allusions à la culture américaine. Comment, devant ce spectacle presque muet, le public, peut-il s’y retrouver ?

Patrick Sims. — Le mélange de toutes ces références et images produit un effet de paranoïa : le public perd le contrôle. Marionnettes, joueur hypnotisé par le flipper, jardins artificiels, drogue, télévision, politique : par de nombreuses images, ce spectacle traite justement du contrôle, de la manipulation et de leur corollaire, l’absence de liberté. Surveillé par la taupe ou par la femme voilée qui le fixent du regard, le spectateur est lui même sous contrôle…

Les Trois Coups. — Le chameau qui passe par le chas d’une aiguille, les larmes de crocodile…, vous semblez sans cesse déjouer les expressions, et déconstruire le langage…

Patrick Sims. — Je m’inspire des tableaux de Pieter Bruegel (1525-1569) et de Jérôme Bosch (1450-1516) qui fourmillent de détails. Dans les tableaux de Bosch, plusieurs scènes sont la représentation littérale d’expressions courantes. Jouer sur les mots, les expressions, est ainsi une manière de se moquer de la pensée toute faite.

Dans le Vieux de la Montagne , un crocodile pleure sur scène après le lancement de la bombe à Hiroshima. C’est une manière de dénoncer l’hypocrisie de la compassion américaine pour le peuple japonais.

Je mets en scène les contradictions. Big Brother est représenté par une superbe belle voilée, une figure qui, de prime abord, pourrait être considérée comme une simple victime.

Les Trois Coups. — À quoi renvoie le nom de la compagnie que vous avez créée en 2010 avec Josephine Biereye, Les Antliaclastes ?

Patrick Sims. — Les Antliaclastes est le nom de la première pièce d’Alfred Jarry. Il l’avait écrite alors qu’il était encore un jeune garçon. En grec ancien, antlia signifie « la pompe » et claste vient de klastos , « brisé ». Les Antliaclastes sont les « casseurs de pompes », donc des rebelles ou des anarchistes, ceux qui arrêtent la machine…

Les Trois Coups. — Vous êtes américain. Votre compagnie, Les Antliaclastes, est installée dans un petit village auvergnat. Pourquoi être venu jusque-là ?

Patrick Sims. — Après la fin de mes études menées aux États-Unis et à Dublin, j’ai pas mal voyagé en Europe. Je me suis rendu compte qu’il était possible de gagner sa vie en France en faisant du théâtre : les structures qui permettent aux artistes de créer existent (ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays, et notamment aux États-Unis). En Auvergne, Les Antliaclastes sont installés dans un coin bien planqué, où il n’y a rien à faire qu’à créer !

Les Trois Coups. — Vous avez commencé des études de cinéma avant d’étudier les marionnettes et, à Java, le théâtre d’ombres. Vos spectacles semblent conserver cette appétence pour le 7e art. Avec des images composées de multiples détails visuels et sonores, ils s’apparentent aux films d’animation. Pourquoi ce passage, durant vos études, de l’écran à la scène ?

Patrick Sims. — J’ai commencé des études de cinéma aux États-Unis. Quand je suis arrivé à Dublin pour les continuer, le département cinéma de l’université avait été supprimé. J’étais donc obligé de m’inscrire en art dramatique. Je n’ai pas trop aimé le théâtre, en revanche j’ai adoré les marionnettes. J’ai alors découvert la magie du spectacle vivant, qui est comme du cinéma mais en direct, donc un art à la fois plus réel et plus magique. De plus, à la différence du 7e art où les règles sont nombreuses, sur les planches vous êtes totalement libres. C’est particulièrement le cas avec les spectacles de marionnettes qui laissent toute liberté, et notamment celle de mélanger les objets, les hommes et les machines.

Les Trois Coups. — Pensez-vous revenir au cinéma ?

Patrick Sims. — J’ai eu des demandes en ce sens.

Mon prochain spectacle mélangera les vidéos et le théâtre vivant. Je suis de toute façon toujours inspiré par les réalisateurs du cinéma d’animation, en particulier par les frères Quay ou Jan Svankmajer. Je compose chacune de mes scènes comme si elles étaient intégrées à un cadre de cinéma.

Les Trois Coups. — Si vous deviez nous donner envie de voir votre prochain spectacle, présenté à Lausanne en décembre 2013…

Patrick Sims. — Ce spectacle remet au goût du jour le cirque de puces : de vraies puces, dressées, se mélangeront à des puces virtuelles ou mécaniques. Je m’inspire du « Théâtre et la peste » d’Antonin Artaud (1938), texte dans lequel l’écrivain fait une analogie entre la peste et le théâtre qui, s’il ne tue pas, peut être cause, au sein d’un peuple, de mystérieuses altérations. Comment une pensée peut provoquer une catastrophe ? Telle est l’idée qui sous-tend le texte d’Artaud et mon spectacle.

Propos recueillis par

Marie Barral

  • Structure amovible, la deuxième salle de l’établissement culturel de la ville de Paris Le Montfort, sera montée lors de la saison prochaine en différents endroits de la capitale.

Le Vieux de la montagne , de Patrick Sims

Cie Les Antliaclastes • la Chaussée • 03190 Maillet

06 86 82 58 78

Courriel : antliaclastes@gmail.com

Site : www.antliaclastes.com

Mise en scène, scénographie et marionnettes : Patrick Sims

Masques, costumes, accessoires et marionnettes : Josephine Biereye, Zana Goodall

Musique : Ata Ebtekar

Éléments sonores et musicaux : Ergo Phizmiz, Oriol Viladomiu, Patrick Sims

Construction du flipper, lumière à la création : Erik Zollikofer

Constructions : Richard Penny, Nicolas Hubert

Machines électromécaniques et musicales : Oriol Viladomiu

Création et réalisation du costume de Ah ! Pook : Laure Guilhot

Élaboration et conception du réseau flipper/son/vidéo : Alex Posada

Contribution aux recherches : Michael Lew, Philippe Hauer, Sophie Barraud

Création vidéo et mapping : Ilan Katin, Raúl Berrueco

Régie lumière : Sophie Barraud

Régie plateau : Nicolas Hubert

Régie son et vidéo : Oriol Viladomiu

Production, diffusion : Sophie-Danièle Godo

Le Montfort • 106, rue Briançon • 75015 Paris

Site du théâtre : www.lemonfort.fr

Réservations : 01 56 08 33 88

Du 16 avril au 27 avril 2013 à 19 heures, relâche dimanche et lundi

Durée : 1 h 20

Durée : 1 h 30

16 € | 10 €