Personne éjectée des transports en commun, regards suspicieux, écharpe remontée, sièges vides autour d'Asiatiques, depuis l’apparition du coronavirus, les actes de sinophobie sont décuplés. Un phénomène de bouc émissaire loin d'être nouveau.
"Vous mangez souvent chinois et ça vous inquiète ?", “Dès que je vois un Chinois, je change de trottoir".
Personne éjectée des transports en commun, regards suspicieux, écharpe remontée, places vides autour d'Asiatiques, depuis l’apparition du coronavirus, les actes de sinophobie sont décuplés. Si ces comportements sont liés à la peur du virus, dont l’épicentre est à Wuhan en Chine, ils sont aussi à rattacher au racisme latent subi par la communauté asiatique ces dernières années.
"C’est un comportement millénaire. Ceux qui croient que nous ferions des progrès sur le plan moral sont des naïfs et des gens dangereux. En réalité les comportements sont toujours les mêmes, et les comportements de discrimination et de stigmatisation apparaissent dès qu’effectivement le bruit d’une épidémie de ce type se répand ", explique Patrick Zylberman, professeur émérite d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique.
La peste et les Juifs
1347, peste noire. À l’époque, la peste noire vient d’entrer en Europe par la Sicile et remonte peu à peu dans tout le continent. En cinq ans, l’épidémie va tuer entre 30% et 60% de la population européenne. Les médecins n’arrivent pas à trouver la source de cette maladie, le peuple s’impatiente et cherche le coupable. Rapidement les chrétiens s’imaginent que c’est la colère de Dieu qui s'abat sur le peuple. Et à l’époque les chrétiens voient la population juive comme les missionnaires de Satan. Il n’en faut pas plus pour que les Juifs soient pointés du doigt.
L’antisémitisme, à cette époque, est déjà palpable. Les rumeurs sont nombreuses, beaucoup jalousent les Juifs, ils réussiraient mieux, auraient plus d’argent. Rapidement, ils sont accusés d'empoisonner des puits pour diffuser la peste noire… Des chrétiens se soulèvent alors dans plusieurs villes et décident de chasser des Juifs, en France, en Allemagne, en Suisse et en Espagne. À Toulon et à Barcelone en 1348 et à Strasbourg en 1349 certains Juifs sont mêmes exterminés.
"On a toujours exactement, la même chose, c’est-à-dire qu’on s’en prend d’abord à des boucs émissaires. Ce sont des choses profondément ancrées dans nos têtes, dans nos esprits. Ce sont des choses de l’ordre de la peur, des passions, etc. Et c’est absolument ingouvernable. Tout ce qu’on peut espérer c’est que ça passe le plus vite possible." Patrick Zylberman.
Le sida vu comme un "cancer gay"
Six siècles plus tard, le schéma se répète avec le SIDA. Surnommé par les médias du monde entier le “cancer gay” à ses débuts, en 1982, il était aussi appelé “4 H” pour : Homosexuels, Haïtiens, Hémophiles et Héroïnomanes.
Extrait INA : "D’avoir appelé ça le “cancer gay, homosexuel”, que c’est la “punition de Dieu”, je crois que c’est la pire, vraiment, des discriminations."
Apparu pour la première fois en Afrique centrale au début du XXe siècle, le SIDA a été transmis par le singe. Mais la maladie est seulement découverte en 1981 via les premiers cas connus américains. Le lien avec homosexualité se fait rapidement car les premiers malades sont homosexuels, même si, quelques semaines plus tard, des hétérosexuels sont également diagnostiqués. Pourtant, beaucoup de gens continuent à considérer les homosexuels comme coupables. Ce sont surtout des homophobes pour qui c'est est une “aberration de Dieu” . Cette maladie leur permet de répandre différents stéréotypes comme : "les homosexuels sont contre-nature", "c’est de leur faute car ils font tous n’importe quoi avec leurs corps, ils prennent tous de la drogues, etc".
Même comportement il y a quelques années avec le chikungunya. Au début de l'épidémie, des Réunionnais préféraient remettre la faute, sur fond de xénophobie, sur les habitants des Comores plutôt que de croire à la thèse des moustiques.
À chaque épidémie sa communauté stigmatisée. Avoir un bouc émissaire va servir de pansement, d'exutoire à une population en panique.
"Vous avez affaire à un phénomène qui échappe totalement à votre prise. Le virus fait ce qu’il veut, il agit comme il veut. C’est pour ça que l’anxiété et la peur se propagent. Et puis, si vous voulez, ça peut vous tomber dessus, n’importe où et n’importe comment. En plus c’est un ennemi invisible. Donc ça aussi, ça compte, il peut être partout et sans que vous le sachiez ", rajoute Patrick Zylberman.