Exercice un peu inhabituel pour les « Etés politiques » : cette semaine, vous ne trouverez guère d’archives de l’INA et autres extraits vidéo venus du passé. Et pour cause : cet épisode est consacré aux réformes impopulaires, nominations de confort et autres mesures discrètement adoptées au cœur de l’été. Discrètement, et donc loin des caméras.
Août 2005. Dominique de Villepin est premier ministre depuis deux mois. De ce premier été au pouvoir, la presse n'aura quasiment retenu que le bain de mer athlétique, et - légèrement - mis en scène :
Pourtant, au même moment, loin des plages et des mouettes, Matignon se concentre sur une délicate affaire. Un dossier à 15 milliards d'euros : la privatisation des autoroutes. L'annonce de la vente par l'Etat est faite au coeur de l'été, et ne suscite que peu de réactions. François Bayrou et d'autres tenteront bien d'élever la voix contre la "vente des bijoux de familles", mais en pleines vacances, difficile de se faire entendre.
"L'été, c'est la période idéale pour entériner des mesures en toute discrétion, relève l’historien Jean Garrigues , car tous les contre-pouvoirs sont, sinon absents, bien moins réactifs" :
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A l'époque, pour Dominique de Villepin l'objectif est atteint : la vente des "bijoux de familles" ne crée pas de point de fixation médiatique, ni de polémique dont l’Assemblée nationale a le secret. Depuis, plusieurs sociétés privées se partagent le gâteau des péages autoroutiers. Leurs pratiques ont d'ailleurs été récemment mises en cause par la Cour des comptes.
Autre exemple, plus récent, d'une mesure "sensible" adoptée au coeur de l'été : le 23 juillet dernier, l'Assemblée nationale a supprimé le référendum obligatoire pour les fusions de certaines collectivités locales. Ce type de référendum avait été utilisé, le 7 avril dernier, pour tenter de regrouper le Bas-Rhin et le Haut-Rhin en une collectivité alsacienne unique. Le « non » l'avait emporté.
Fait rare : l'amendement qui supprime le référendum, présenté par le député UMP Hervé Gaymard, a été soutenu par le PS et le gouvernement. Moins risqué pour de futurs projets de fusion ? La manœuvre a été dénoncée par le PCF et Nicolas Dupont-Aignan, en attendant que le Sénat se saisisse du texte. Un amendement passé hors des radars médiatiques estivaux, à quelques exceptions près.
« On se verra dans le courant du mois de juillet pour la négociation »
La technique du passage en force, en pleine torpeur estivale, n’est bien sûr pas nouvelle : ancien représentant syndical (AFEN) de l’Education nationale, André Henry se rappelle de son premier contact avec le nouveau ministre de Valéry Giscard d’Estaing, René Haby . Il était question pour lui, sans crainte de l’oxymore, d’une « réforme rapide et en profondeur de l’Education nationale ». Et pour être sûr de gagner du temps, le ministre avait programmé la consultation des syndicats en... juillet :
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André Henry s'est d'ailleurs retrouvé de l'autre côté du miroir. Il est devenu, quelques années plus tard, le ministre du Temps libre - un ministère créé par François Mitterrand en 1981. André Henry assure qu'il n'a jamais organisé de consultations pendant l'été. (voir à la fin de cet article).
L’été : prix en hausse, transparence en baisse
Après les mesures conçues pour être invisibles, celles pensées pour être "indolores". Chaque année, les augmentations de prix sont annoncées pendant les vacances, quand l'attention se relâche. Les hausses de prix se font désormais en deux vagues, pour lisser un peu plus la "douloureuse" : hausse du gaz, des amendes, du tabac le 1er juillet puis augmentation de l'électricité, et baisse du Livret A au 1er août. Ainsi, l’arrêté qui modifie les tarifs de l’électricité est paru au Journal officiel le… 26 juillet.
La valse des nominations estivales
Certes, il y a plus plaisant comme lecture estivale. Mais le Journal officiel , parmi les milliers d'arrêtés, circulaires et autres décrets, recèle son lot de discrètes nominations. Qu’il s’agisse de promouvoir un proche, ou d’exfiltrer un collaborateur, la pause estivale est la saison des chaises musicales. Le Canard enchaîné épingle ainsi, cette semaine, un membre du gouvernement :
La ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, vient de faire bombarder son conseiller Daniel Filâtre recteur de Grenoble, au cœur de son fief électoral.
La nomination est effectivement entérinée par un décret du 25 juillet. La gauche n’a évidemment pas l’apanage de ces petites manœuvres. Un après l’élection de Nicolas Sarkozy, comme le notait Rue89, la période des vacances avait déjà été marquée par les chassés-croisés dans les cercles du pouvoir : Bernard Squaricini , un proche parmi les proches, nommé à la tête de la DCRI , le contre-espionnage français, tandis qu'une conseillère ministérielle était discrètement remerciée pour incompatibilité d'humeur avec sa ministre. Bien loin des coups d'éclats politiques au grand jour qui jalonnent aussi la vie politique estivale.
**"Je décide, il exécute" et autres ruptures politiques estivales, ce sera d'ailleurs le prochain épisode des "Etés politiques", vendredi 16 août. **
Pour retrouver les épisodes précédents, c'est ici. Série réalisée par Frédéric Says .
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Bonus : pourquoi ne pas recréer, en 2013, un ministère du Temps libre ? C'est la proposition de l'ancien détenteur de ce portefeuille, André Henry :
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Un ministère du Temps libre, en période de chômage de masse, serait-il vu comme une provocation ? "Sans doute, ce ministère serait brocardé. Et alors ?" demande André Henry, lui-même qualifié de ministre de la Fainéantise , à l'époque, par la droite :
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