Et si on parlait de reconversion plutôt que de relance verte ?
Par Marie ViennotL'éco d'après. Les plans de soutien ou de relance seront verts, assurent les responsables politiques et européens. Pourquoi n’assument-ils pas clairement que des activités doivent disparaître ? s’interroge Florence Jany-Catrice, économiste qui plaide pour des plans de reconversion, plutôt que de relance.
Et si on parlait de reconversion plutôt que de relance verte ?
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Faire plus vert, limiter nos émissions de gaz à effet de serre, "décarbonner" l’économie, toutes ces idées étaient déjà à l’agenda des politiques avant la crise du nouveau coronavirus, mais aujourd’hui la donne a changé, et permettrait de poser la question en ces termes nouveaux : quoi relancer, et surtout quoi abandonner.
La puissance publique en position de force ?
Les Etats ou les institutions supra étatiques comme l’Union européenne sont aujourd’hui en position de force. Aujourd’hui, le privé a désespérément besoin du soutien public pour ne pas sombrer, et il y a donc une fenêtre de tir pour orienter, voire contraindre, les décisions prises par les entreprises.
Les milliards mis sur la table par l’UE ou la France (8 milliards pour l'automobile, 1,35 milliard pour le tourisme, pour l’aéronautique on saura dans quelques semaines) offrent une possibilité réelle de pousser les entreprises privées à développer avant tout des des activités moins nocives pour l’environnement.
"Avec ces multiples plans de relance, les gouvernements retrouvent des instruments de planification économique, tels qu’ils n’en ont pas connu depuis l’après-guerre" explique François Gemenne, chercheur en sciences politiques, expert climat à l’université de Liège dans le Figaro.
Mais il y a un risque aussi de relancer à l’identique, comme ce fut fait en 2008. Tous les responsables politiques assurent le contraire, mettent en avant qui l’accord de Paris sur le Climat, qui le Green New Deal qui était déjà à l’agenda européen.
Tous les ministères des deux pays impliqués dans la politique climatique y ont travaillé. Dans leur déclaration finale commune, les deux gouvernements proposent d’inscrire au cœur du "Green Deal européen" des mesures de décarbonation de l'industrie européenne de manière à ce que cela profite à la relance économique de l'ensemble de l'Union européenne tout en gardant l’Accord de Paris sur le climat, qui vise la neutralité climatique comme boussole. Déclaration de Meseberg, groupe de travail franco-allemand, le 18 mai 2020.
Le fil rouge des plans de soutien ou de relance, c’est la décarbonation de l’économie, martèle cependant Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances, dans chacune de ses interviews.
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Mieux encore, 90 patrons ont publié début mai une tribune intitulée : " Mettons l’environnement au cœur de la reprise économique", mais parallèlement d’autres manœuvres sont en cours, et l’AFEP (Association Française des Entreprises Privées qui représente 78% des entreprises du CAC 40) demande au gouvernement et à la Commission européenne de repousser l’application de certaines règles, en argumentant que dans une situation économique aussi "grave", il n’était pas opportun de changer le cadre juridique, notamment pour les émissions de gaz à effet de serre. Le Monde et Contexte en ont publié des extraits.
Comment balayer le risque de "greenwashing" ?
La suspicion d’une partie des associations, chercheurs, et économistes engagés pour une économie durable reste très forte, et chacun y va de ses propositions pour que la relance verte, soit... réellement favorable à l’environnement.
- "Les débats autour de la transition écologique se sont surtout focalisés jusqu’ici sur des montants d’investissements et des tuyaux de financement. Très peu sur l’objectif, quasiment jamais sur la méthode. C’est mettre la charrue avant les bœufs, tout simplement", explique en préambule de son projet le think tank The Shift Project, présidé par Jean Marc Jancovici.
- Le Haut conseil pour le climat demande notamment de conditionner les aides publiques destinées aux secteurs sinistrés à "des plans précis" en faveur du climat.
- Une vingtaine de syndicats et d’associations, dont Attac, la CGT, Greenpeace ont publié cette semaine un document de 24 pages avec 34 propositions pour répondre aux enjeux sanitaires, sociaux, économiques et écologiques.
- Début mai, l’ancien ministre de l’environnement Nicolas Hulot lançait 100 " le temps est venu de…" notamment de poser les premières pierres d’un nouveau monde.
- etc., etc. impossible de tous les citer
Pour évacuer le doute qui entoure tous les plans de relance, il faut parler "des fins plutôt que des moyens", propose Florence Jany Catrice, professeur d’économie à Lille, et co-présidente du Forum pour d’Autres Indicateurs de Richesse (FAIR).
Ce qui fâche, c’est : à quelle condition la relance ? Alors là, on voit bien que des dents peuvent grincer et que politiquement, il faut assumer le fait que, sans doute, il y a un certain nombre de secteurs qui ne pourront pas repartir. Parce que, à l’aune d’autres critères que celui de la croissance, critères sociaux et environnementaux, ils ne passent pas sous la toise. Et qu’il faut donc envisager, non pas un plan de relance, mais un plan de reconversion. C’est de la reconversion dont on a besoin, je ne comprends pas pourquoi ce thème ne s’impose pas davantage dans le débat.
Florence Jany-Catrice
Tout récemment, le ministre de l'Economie et des Finances a parlé de reconversion pour le site Renault de Flins, mais pas de reconversion des salariés. C’est bien celle là qu’il faut envisager, si on veut qu’une relance verte soit possible, plaide également Gaël Giraud, économiste et directeur de recherche au CNRS lors de son audition il y a deux semaines par la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
C’est une formidable opportunité pour nos jeunes, dont mon expérience est qu’ils n’ont pas du tout envie de reproduire les métiers qui sont les nôtres aujourd’hui. Et c’est une formidable opportunité de reconversion professionnelle pour ceux qui travaillent dans les secteurs qui sont piégés par la transition écologique et qui sont condamnés, je pense en particulier à l’aéronautique.
Gaël Giraud, lors de son audition au sénat le 14 mai 2020
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Des secteurs condamnés… ce vocable est absent des plans de relance. Mais si on veut éviter la prochaine crise, il faudra se poser cette question, poursuit Florence Jany-Catrice.
Si les secteurs d’activité sont trop polluants, ne sont pas bas-carbone, il faut que d’ici 10-15 ans, ce soit fermé. Si ce sont les activités qui ne sont pas en capacité d’assurer un capital santé aux individus, il faut que d’ici 10-15 ans ce soit fermé. Si ce sont des activités qui se sont organisés trop péniblement socialement, il faut que d’ici 10-15 ans ce soit fermé. Avec reconversion du personnel sur d’autres types d’activités. Alors évidemment, ça semble facile quand on est dans un bureau de penser les choses comme ça, mais si on le fait pas, … ce qui nous attend c’est une crise d’une ampleur bien plus grande, car la crise climatique sera d’une autre bien autre ampleur que la crise que nous venons de traverser.
Florence Jany-Catrice
L'économie peut-elle être mise au service de la société ? Il y a urgence à faire en sorte que oui, affirme Florence Jany Catrice
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Il y aura même un moyen de financer cette reconversion professionnelle, poursuit la chercheuse. Puisque l’Etat a trouvé les ressources (et c’est heureux dit-elle) pour financer le chômage partiel d’un très grand nombre de salariés, il pourrait poursuivre ce programme pour aider les salariés des secteurs sinistrés à se reconvertir.
Mettre l’économie sur pause, c’était donc possible
Le confinement a montré qu’il était possible de mettre l’économie sur pause pour des raisons sanitaires. C’était inimaginable auparavant. "Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré" écrit le philosophe Bruno La Tour dans un article intitulé : Imaginer les gestes barrières contre le retour à la production d’avant crise.
L’inventaire annuel, c’est maintenant qu’il faut le faire. A la demande de bon sens : "Relançons le plus rapidement possible la production", il faut répondre par un cri : "Surtout pas !" La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant.
Bruno La Tour, dans AOC
Un article qui invite chacun.e de nous à dresser pour lui, puis en groupe, l’inventaire des :
- activités suspendues dont il ne pourrait pas se passer,
- de celles qui pourraient ne pas reprendre.
- des mesures qui pourraient être mises en œuvre pour que les ouvriers, salariés, et entrepreneurs, qui sont dans ces activités là, aient les moyens, les capacités et les instruments de passer d’une activité à faire disparaître à une autre à créer ou développer.
Cette réflexion, propose-t-il, pourrait être d'abord individuelle, puis collective. Elle pourrait infuser utilement tous les plans de relance.
Autre idée, portée par de nombreux économistes, notamment Florence Jany-Catrice, la remise en cause du PIB comme seul indicateur de bien être économique, et de réussite des plans de relance. Elle présente dans l'extrait sonore ci-dessous les "indicateurs écologiques" que l'on pourrait mobiliser pour évaluer les plans de relance.
Quels indicateurs autres que le PIB pourrait-on mobiliser pour évaluer les plans de relance, et leur compatibilité avec l'environnement, par Florence Jany Catrice
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A lire / écouter : Relance, recession, PIB : des concepts qui nous enferment dans le monde d'après
A écouter : Les Matins du 14 mai 2020 avec Jean-Marc Jancovici : "Nous nous dirigeons vers un monde où nous aurons moins de moyens pour plus de problèmes"