Alors qu'outre-Atlantique l'"Election Day" approche à grands pas, nous vous proposons de revenir sur le fonctionnement électoral américain. Mode d'emploi d'une mécanique complexe, que l'on se plaît à suivre avec passion tous les quatre ans.
Donald Trump devra-t-il céder les clés de la Maison-Blanche à son rival démocrate Joe Biden ? Le 3 novembre prochain, les américains sont appelés aux urnes afin de répondre à cette question... dont nous ne connaîtrons la réponse officielle qu'à la mi-décembre. Et pour cause, si en France le visage du vainqueur s'affiche sur nos écrans le soir même des élections présidentielles, aux États-Unis, les citoyens s'en remettent dans un premier temps aux grands électeurs. Leur désignation est en pratique un indice assez clair, mais ce n'est réellement qu'en décembre, après le vote du collège électoral que l'issue finale du scrutin est annoncée. Il s'agit de l'aboutissement d'un processus s'étalant sur près d'une année et dont les rouages sont hérités de l'histoire américaine.
À l'origine, la Convention de Philadelphie
C'est au cours de la Convention de Philadelphie en 1787, que naît la Constitution américaine. C'est elle qui définit le pouvoir du président ainsi que son mode de désignation. Elle est le fruit des débats menés par les Pères fondateurs des États-Unis, à savoir les 55 délégués qui ont œuvré pour l'indépendance du pays. Issus des assemblées de divers États, leur attachement au fédéralisme se traduit dans le système électoral qu'ils décident de mettre en place. Un système alambiqué de suffrages indirects à deux niveaux, ayant pour vocation initiale de limiter le pouvoir présidentiel tout en se prémunissant du vote populaire.
Par ailleurs, la vie politique américaine est principalement animée par deux grand partis. Ce bipartisme apparaît au XIXe siècle, où s'affrontent alors les fédéralistes, partisans d'un pouvoir fédéral fort, au détriment de celui des États, et les républicains-démocrates, initialement menés par Thomas Jefferson. Ces derniers puisent leur aspirations dans la pensée des Lumières et prônent la liberté individuelle. Ils occupent le pouvoir de façon continue dans le premier quart du XIXe siècle, jusqu'à ce que s'effacent les fédéralistes. C'est alors que le groupe des républicains-démocrates se scinde en deux, pour laisser émerger les deux partis que nous connaissons actuellement.
Les primaires, top départ de la campagne électorale
Les primaires marquent le coup d'envoi de la course aux présidentielles. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les grands électeurs de chaque État pouvaient choisir leur candidat selon leur préférence, ce qui avait pour conséquence de multiplier les candidatures au sein d'un même courant politique. En 1901, la Floride initie le système des primaires, qui permet aux partis de laisser aux sympathisants l'opportunité de désigner leur candidat, via un vote indirect.
Ainsi lors du Super Tuesday, un mardi de début mars, l'année des élections, le Parti démocrate et le Parti républicain désignent leur candidat par un processus de caucus – des comités électoraux rassemblant les militants politiques d'un parti - et d'élections primaires. Au terme de cette première étape, qui permet de désigner les délégués, chacun des partis organise durant l'été qui précède l'élection présidentielle, une convention nationale. C'est lors de ces conventions que les délégués investissent officiellement ce que l'on nomme le ticket, à savoir le duo formé par le candidat à la présidence et celui à la vice-présidence. Il s'agit à la fois du dernier échelon de la campagne interne au parti et du début de la bataille pour la Maison-Blanche.
L'élection du collège électoral
Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
À partir de la convention, les presidential candidates tout juste désignés font campagne et se lancent dans un marathon fastidieux fait de rencontres, de rallyes, de débats télévisés et de confrontations avec les journalistes... Jusqu'au premier mardi de novembre, jour de l'Election Day, depuis 1845. Une date déterminée par le Congrès selon l'article 2 de la Constitution et jusqu'à présent jamais contestée, même en temps de guerre.
Les citoyens votent alors pour les 538 grands électeurs qui constituent un collège électoral en charge de désigner leur candidat. Les États-Unis étant une fédération, chaque État possède ses propres grands électeurs, dont le nombre varie en fonction de sa démographie. En effet, ce nombre correspond à celui des membres élus au Congrès de Washington : deux sénateurs et un ensemble de députés proportionnel à la population de l'État. Tous les États n'ont donc pas le même poids.
Le cas des swing states
Au sein d'un État, il suffit de la majorité simple pour remporter la totalité des grands électeurs : c'est la liste qui arrive en tête qui décroche toutes les voix. Lorsqu'un parti arrive en tête dans un État, tous ses grands électeurs sont élus, indépendamment du nombre de voix. C'est la règle du winner-takes-all. Ainsi, certains présidents des Etats-Unis ont été élus sans avoir obtenu le plus grand nombre de voix dans le « vote populaire », ce qui est le cas de Donald Trump en 2016. À l'inverse d'autres ont perdu tout en ayant eu plus de voix, comme Al Gore en 2000. Le choix des grands électeurs est donc déterminant quant au scrutin final.
Pour certains États, l'issue est courue d'avance, car ils sont historiquement ancrés dans la mouvance d'un parti. Le Texas vote ainsi républicain depuis près de quarante ans, tandis que l'État de New York se revendique systématiquement démocrate. Il reste néanmoins une poignée d'États où la majorité peut basculer d'une élection à l'autre, c'est ce qu'on appelle les swing states ou États pivots. Au nombre de six (Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin, Caroline du Nord, Arizona, Floride), c'est sur eux que repose principalement la dernière phase de la campagne présidentielle. Car l'enjeu est de taille. En 2016, contre toute attente, Donald Trump l'avait remporté sur Hilary Clinton grâce au basculement des swing states du côté républicain, parfois pour seulement quelques milliers de voix.
Une investiture pour quatre ans
Bien que l'on connaisse généralement le nom du gagnant dès l'élection du collège électoral, ce n'est que le premier lundi qui suit le deuxième mercredi de décembre, que celui-ci désigne officiellement le président. Le dépouillement n'est effectué que deux semaines plus tard, au Sénat. C'est à ce moment-là que le vainqueur des élections est nommé. Il lui aura fallu remporter au moins 270 voix, sur les 538. Le 20 janvier, lors de l'Inauguration Day, le président nouvellement élu prononce son discours d'investiture avant de prêter serment, une main sur la Bible, devant le Capitole à Washington.
Pourquoi les élections de 2020 s'annoncent difficiles ?
On l'aura compris, la mécanique électorale américaine est bien huilée, mais il peut arriver que la machine s'enraye. Parfois, c'est le résultat d'un vote très serré qui peut faire craindre un cafouillage. Cette année, sur fond de crise sanitaire, c'est le président sortant lui-même qui semble alimenter la peur d'un chaos électoral. Donné perdant par les sondages, Donald Trump déclare d'ores et déjà la possibilité d'une contestation au vu d'une élection qui s'annonce troublée et où les votes anticipés et à distance connaissent un taux de participation record.
L'accès au scrutin, un enjeu politique
C'est une tradition américaine, mais cette année, elle atteint des sommets : le vote anticipé, en personne ou par correspondance, a su séduire un nombre inédit d'américains. L'engouement s'explique en premier lieu par la crainte du contexte sanitaire. Les États, eux-mêmes, en ont facilité les conditions : il n'est parfois plus nécessaire de motiver ce choix, auparavant obligatoirement justifié par des raisons professionnelles ou médicales. Mais l'enjeu est aussi, et véritablement, politique. Pour beaucoup, les débats et la campagne n'ont pas eu d'impact, le vote étant principalement perçu comme un référendum sur la personne de Donald Trump. Les inquiétudes à l'égard d'une possible contestation liée au scrutin par correspondance et les déclarations du président républicain sur de potentielles « fraudes » tendent à faire du processus électoral un choix partisan.
Mais si retard sur la proclamation des résultats il y a, ce sera plus la conséquence de la pandémie que celle d'une tentative de corruption. Le vote par correspondance qui devrait peser davantage que les autres années pourrait repousser l'échéance, le temps de le comptabiliser. Et il est principalement, tout comme le vote anticipé, le choix de citoyens démocrates. Et notamment, des couches populaires. Une raison de plus qui pourrait pousser le candidat républicain à mettre en question les résultats... Et par là, les retarder.
La Cour suprême peut-elle jouer un rôle dans l'élection présidentielle ?
En désignant la magistrate conservatrice Amy Coney Barett, Donald Trump fait entrer la Cour Suprême dans l'équation de ses calculs électoraux, à seulement huit jours de la présidentielle. Par le pouvoir que représente cette institution centrale dans l'échiquier démocratique américain, cette ultime victoire politique républicaine pourrait ne pas être sans conséquence sur l'élection. Potentiellement serrée, elle pourrait faire peser l'issue finale sur un seul État, ce qui conduirait à des recomptages, des contestations et des accusations d'intimidation ou de fraude. Plusieurs cas de figure qui porteraient un grand nombre de questions devant la Cour Suprême, statuant en dernier recours, après délibération des instances judiciaires locales.
Constituée de 9 juges, dont un président, il ne s'agit pas d'une simple cour de justice, mais du sommet du système judiciaire américain. Ses décisions, sans appel, ne peuvent être contestées que par elle. En cela la nomination de ses membres est un sujet sensible, parce que très politique. Bien que la Cour suprême ne prenne aucune part au débat, ces nominations répondent à une véritable logique partisane.
C'est ce qu'expliquait le professeur de civilisation américaine François Vergniolle de Chantal dans la Question du jour le 22 septembre dernier :
Les juges de la Cour suprême sont nommés par le président (des Etats-Unis), c'est-à-dire désignés par le président. (...) C'est une procédure qui est extrêmement politisée dans la mesure où, depuis des décennies, les présidents américains utilisent ce pouvoir pour renforcer leur leg et pour faire en sorte que l'interprétation de la loi soit favorable aux décisions qui sont prises pendant leur mandat.
Ainsi, l'importance de la Cour suprême pour la classe politique s'est illustrée à de multiples reprises, notamment dans le cas du verdict rendu dans l'affaire opposant les candidats George W. Bush et Al Gore. La décision de la Cour Suprême scella ainsi l'issue de l'élection présidentielle de 2000, en octroyant la victoire au candidat républicain.