États-Unis : la difficile existence des écologistes du Green Party face au bipartisme
Par Maïwenn Bordron
Howie Hawkins, 67 ans, récemment investi par le Green Party qu'il a confondé, tente de faire entendre son programme vert face aux candidats républicain et démocrate, plébiscités par le système bipartisan américain. Éclairage sur sa démarche et retour sur l'histoire de ces écologistes.
Le système bipartisan aux États-Unis met en lumière deux partis lors de la course à la présidentielle, tous les quatre ans : les candidats républicain et démocrate. Il est très difficile pour d'autres formations d'exister politiquement et médiatiquement face à ce bipartisme. Pourtant, face à Donald Trump et Joe Biden, d'autres candidats se présentent à la Maison blanche, comme la candidate libertarienne Jo Jorgensen, le rappeur Kanye West ou encore le candidat écologiste Howie Hawkins, sous la bannière du Green Party. Le parti écologiste américain peine à se faire entendre dans cette campagne très polarisée autour de la figure du président sortant, Donald Trump. Mais cela n'a pas toujours été le cas, notamment lors de l'élection présidentielle de 2000 au cours de laquelle le Green Party s'est véritablement fait connaître. Retour sur son histoire, marquée par des soubresauts et des passages à vide.
De la création du Green Party au premier succès électoral en 2000
Le début du mouvement écologiste aux États-Unis date de 1984. "Il y a un premier rassemblement à Saint-Paul, après la publication d'un ouvrage qui s’appelle Green Politics : the Global promise, écrit par Charlene Spretnak, une militante féministe écologiste. Elle s'inspire du mouvement du Parti vert en Allemagne", retrace Gelareh Yvard, professeure en civilisation américaine à l'Université d'Angers, qui travaille sur l'écologie aux États-Unis.
"C'est la première fois que les écologistes aux États-Unis se réunissent. Ils créent une organisation nationale qui s'appelle Green Committees of correspondence, des comités de correspondance vert. Ils basent leur programme sur dix valeurs clés : la sagesse écologique, la démocratie de base (grassroots democracy), la justice sociale et l’égalité des chances, l’économie locale et équitable, la décentralisation, la non-violence, le féminisme et l'égalité des genres, le respect de la diversité, l'implication personnelle et globale, le développement durable. Elles existent encore aujourd'hui dans le programme du Parti vert", ajoute Gelareh Yvard.
Quatre ans plus tard, Howie Hawkins, le candidat du Green Party pour l'élection présidentielle de 2020, "fonde un réseau : le left-wing network", au sein duquel "il propose une sorte alternative radicale verte par rapport aux partis existants, c'est-à-dire le Parti démocrate ou le Parti républicain. Il propose un mouvement vert décentralisé basé sur la justice sociale et sur l'écologie", précise la professeure en civilisation américaine. Ces initiatives demeurent à l'échelle locale : certains militants veulent créer un parti politique, d'autres souhaitent seulement adhérer à un mouvement social. Le "Green Party USA" est finalement créé en 1991, il fédère toutes les initiatives locales créées jusque-là.
Le Parti vert investit un candidat à la présidentielle pour la première fois lors de l'élection de 1996. Ralph Nader, un jeune avocat pionnier dans la défense des consommateurs, se lance dans la campagne, se présente dans 22 États et obtient 0,7% des voix au niveau national. Mais "là où il a vraiment fait la différence, c'était en 2000", confirme Gelareh Yvard.
Le Green Party n'a jamais eu de candidats très visibles jusqu'à l'élection présidentielle de 2000.
Michael Kraft, professeur émérite en sciences politiques à l'Université du Wisconsin à Green Bay

Nicolas Labarre, professeur de civilisation américaine à l'université Bordeaux-Montaigne, précise dans un article pour les Presses de Sciences Po que "cet "'icône' à l’influence considérable sur les politiques publiques dans les années 1960 et 1970 sera le représentant d’un parti auquel il n’adhérera pas, qu’il tiendra à distance mais auquel il parviendra à donner une visibilité inédite". Et d'ajouter sur le fond que :
Sur les points pour lesquels une option radicale est évoquée – comme l’abandon progressif des combustibles fossiles, le basculement vers les énergies renouvelables – ni calendrier ni objectif contraignant ne sont proposés. À l’inverse, des mesures de portée moindre sont détaillées et accompagnées de plans d’action complets.
Nicolas Labarre, professeur de civilisation américaine à l'université Bordeaux-Montaigne
"Le Green Party a gagné pas mal de votes en 2000 dans plusieurs États, notamment en Floride. Cette année-là, Al Gore, le candidat le plus connu en matière environnementale dans le pays, a perdu l'élection en Floride parce que Ralph Nader lui a pris des voix et c'est ce qui a permis à George W. Bush d'accéder à la Maison blanche", analyse Michael Kraft, un professeur émérite en sciences politiques à l'Université du Wisconsin à Green Bay, spécialiste en questions environnementales. Dans l'État de Floride, "la différence entre George W. Bush et Al Gore était de 537 voix", selon Gelareh Yvard, "alors que Ralph Nader a obtenu plus de 97 000 voix". "Cela a coûté à Al Gore l'élection comme Président", confirme Michael Kraft.
Après cette percée électorale en 2000, le Green Party "n'a pas eu un impact politique très important", souligne Gelareh Yvard, de l'Université d'Angers.
"Cette année, le Green Party est particulièrement faible"
Il faut ensuite attendre l'élection de 2016 pour que le Green Party refasse parler de lui sur la scène nationale. La candidate écologiste, Jill Stein, qui s'était également présentée quatre ans auparavant, obtient 0,98% des suffrages, contre 0,36% des voix lors de l'élection présidentielle de 2012. Si le résultat a fait couler beaucoup d'encre, ce n'est pas tant qu'il met en lumière un intérêt grandissant des Américains pour les valeurs écologistes, mais parce que, selon certains observateurs, Jill Stein a fait perdre la présidentielle à Hillary Clinton face à Donald Trump.

"Si Jill Stein ne s'était pas présentée, Hillary Clinton aurait été élue présidente des États-Unis. Je suis absolument certain qu'Hillary Clinton a perdu à cause de Jill Stein", affirme Michael Kraft, professeur émérite en sciences politiques à l'Université du Wisconsin à Green Bay. En d'autres termes, les voix exprimées en faveur de Jill Stein auraient pu permettre à Hillary Clinton, la candidate démocrate, de battre Donald Trump dans certains États clés. "Dans le Michigan, la marge entre Donald Trump et Hillary Clinton était de 10 000 voix alors que Jill Stein a obtenu plus de 51 000 voix dans cet État", souligne Gelareh Yvard. De même, dans l'État du Wisconsin : "Trump a eu une marge de 22 000 voix de plus qu'Hillary Clinton, tandis que Jill Stein a obtenu 31 000 voix", précise la professeure en civilisation américaine à l'Université d'Angers.
Si les voix pour Jill Stein avaient été pour Hillary Clinton, Trump n'aurait pas été élu président.
Michael Kraft, professeur émérite en sciences politiques à l'Université du Wisconsin-Green Bay
Les militants écologistes ont les résultats de 2016 en tête pour l'élection de cette année dont le scrutin s'annonce serré entre les deux principaux candidats, Donald Trump et Joe Biden. Certains analystes voient dans cette élection un référendum pour ou contre le président Donald Trump. Face à ce contexte politique tendu, "c_ette année, le Green Party est particulièrement faible_", commente Michael Kraft. "Je pense même qu'après l'annonce des résultats de l'élection, personne ne parlera du Green Party, ce n'est pas pertinent", ajoute-t-il. Cela s'annonce compliqué pour le candidat du Green Party, Howie Hawkins, d'autant plus que son nom sur le bulletin de vote n'apparaît pas dans tous les États. "Le Parti vert n'apparaît pas dans le scrutin de plusieurs États, comme en Pennsylvanie, dans le Wisconsin, le Montana ou l'Indiana", affirme Gelareh Yvard.
Le programme de Joe Biden comporte plusieurs volets importants sur l'écologie. Howie Hawkins risque donc de faire les frais d'un vote utile contre Donald Trump. "Joe Biden a un agenda très progressif pour lutter contre le réchauffement climatique, ou sur des infrastructures vertes, l'économie verte ou les énergies renouvelables", précise Michael Kraft. Howie Hawkins propose de son côté un "Green New Deal", un programme vert proche des idées de Bernie Sanders, le candidat déchu à l'investiture démocrate : un passage à zéro émission de CO2 ou 100% d'énergies propres d'ici 2030 par exemple ou encore la création de 38 millions d'emplois en dix ans et la nationalisation des entreprises pétrolières et gazières. Ainsi que la légalisation de la marijuana.
Les difficultés auxquelles est confronté le Green Party pour exister sur la scène politique nationale ne sont pas liées au parti mais au système politique. "Les États-Unis ont un système bipartisan qui rend très difficile voire impossible pour un candidat d'un troisième parti de s'en sortir lors d'une élection au niveau national", rappelle Michael Kraft.